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Longread

Street Photography Festival: la rue nous appartient

Sophie Soukias
© BRUZZ
18/10/2016

Pendant une semaine, Bruxelles se transforme en capitale de la street photography à l'occasion d'un festival tourné vers le grand public et accueillant les grosses pointures de la discipline. Ouvrez grand les yeux lorsque vous vous promenez en ville, vous pourriez bien croiser Harry Gruyaert.

Alors que vous marchez dans la rue, une scène humoristique, particulièrement esthétique ou inhabituelle attire votre regard, vous sortez rapidement votre smartphone pour immortaliser l’instant. Peut-être même qu’en tant que chasseur d’images aguerri, vous êtes muni d’un véritable appareil photo reflex. Si vous vous retrouvez dans cette description, c’est que vous avez l’âme d’un street photographer. Ce qui signifie également que le Brussels Street Photography festival est fait pour vous.

Pendant une semaine, des grands noms de la photographie belge et internationale sont invités à partager leur savoir-faire sous la forme de workshops, discussions, projections, lectures de portfolios et balades photographiques. Dans la galerie Ravenstein, deux expositions, l’une rassemblant les photos des gagnants du concours organisé par le BSPF, l’autre montrant le travail des photographes invités, permettront d’engager la réflexion sur cette discipline aux contours flous.

Au fond, qu’est-ce que la street photography ? En choisissant de rassembler aussi bien des purs photographes de rue comme Harry Gruyaert (Magnum) et Rohit Vohra que des photographes dont le travail n’est pas directement associé au genre comme Bieke Depoorter (Magnum) et Satoru Toma, on en déduit que le BSPF envisage la définition de la street dans son acceptation la plus ouverte : la photographie de scènes prises sur le vif dans un espace public incluant des éléments urbains et nous disant quelque chose de cet environnement et des gens qui l’occupent, étant entendu que les scènes n’ont pas été manipulées. Mais il y a toujours des exceptions pour venir confirmer la règle, comme le fameux Baiser de l’Hôtel de Ville (1950) de Robert Doisneau, qui est le fruit d’une mise en scène.

La street photography est généralement associée à l’idée - imputée au photographe d’après-guerre Henri Cartier-Bresson - du « moment décisif », l’instant T où le(s) sujet(s), les éléments environnants et la lumière se positionnent harmonieusement dans le cadre de manière à faire d’une situation ordinaire, une image exceptionnelle. Si la composition a son importance, elle n’est pas une règle absolue. Par exemple, lorsque Diane Arbus prenait des clichés dans les rues de New York dans les années 60, elle était davantage obsédée par l’émotion se dégageant d’un visage ou d’un regard que par la perfection du cadrage.

Mais quid de la street aujourd’hui ? Cette catégorisation a-t-elle encore un sens ? Et comment, en tant que photographe de rue, se démarquer du flot d’images amateur et professionnelles qui nous envahit chaque jour ? Réponse avec cinq invités du BSPF qui se livrent sur la discipline et partagent, aussi, quelques-uns de leurs secrets. À bon entendeur.

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HARRY GRUYAERT
Photographe belge né en 1941 et basé à Paris, membre de l’agence Magnum depuis 1981. Grand maître de la street photography, il se distingue par son utilisation créative et sensible de la couleur.

« Personnellement, je me considère comme un photographe de rue. Pour moi, la street photography, c’est capter le hasard, la vie. Ce n’est pas essayer de traduire ce qui se passe dans la rue mais tenter de composer quelque chose qui a du sens, quelque chose qui va capter l’atmosphère d’un endroit précis à un moment donné. Dans la rue, moi j’attire des choses, et des choses m’attirent. Le « moment décisif », c’est une rencontre où, tout à coup, les éléments se complètent, l’image prend sens. C’est d’autant plus compliqué quand on travaille en couleur.

Je n’accorde pas trop d’importance à l’évolution de la street photography, l’important c’est d’être soi-même. De toute façon, on change naturellement avec le temps. Je ne fais pas la même chose que quand j’avais vingt ans, j’évolue mais le monde évolue également, on s’adapte. Un simple exemple, l’Europe est beaucoup plus nivelée qu’auparavant. Avant, il y avait beaucoup de différences entre la France et la Belgique, la Belgique et la Hollande. C’est beaucoup moins le cas maintenant, on retrouve partout les mêmes chaînes de magasins, les gens s’habillent pareil, ça n’est pas inintéressant pour le photographe de rue, c’est juste qu’il va proposer autre chose. Si on compare mon travail sur la Belgique réalisé dans les années septante à ce que je fais aujourd’hui, on reconnaît mon style, mais ça n’est pas le même endroit, ça a évolué, mes photos sont donc différentes.

Pour être un bon photographe, il faut être honnête dans sa démarche, trouver sa voie et ne pas se laisser trop influencer par le travail des autres. Quand je regarde une image, je dois pouvoir entrer en communication avec le photographe qui se trouve derrière, en d’autres mots, reconnaître sa personnalité. C’est la même chose en peinture, en sculpture, dans tous les arts visuels. Personnellement, je suis plus influencé par des peintres et des réalisateurs que par des photographes. Mais je reconnais que le métier est particulièrement difficile aujourd’hui parce qu’il y a trop d’influences. Les gens cherchent à faire comme d’autres ou à reproduire ce qu’ils ont vu ailleurs. »
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BIEKE DEPOORTER
Photographe belge née en 1986. La plus jeune membre de l’agence Magnum photographie aux quatre coins du monde des hommes et des femmes dans leur intimité, souvent à l’intérieur de leur maison.

« Si j’envisage la street photography comme une catégorie à part ? Je n’aime pas mettre les choses dans des cases. Je pense surtout que chacun doit faire ce qu’il aime. D’ailleurs, j’apprécie quand les différents genres photographiques se superposent, cela donne de très bons résultats.

Pendant mes études, j’étais une grande fan du street photographer Alex Webb. À cette époque, j’étais obsédée par la composition, le « moment décisif ». Parfois vous prenez conscience que vous faites partie d’un moment où tous les éléments visuels nécessaires sont présents pour faire une bonne image, celle qui va réussir à communiquer l’atmosphère dont vous faites partie.

Une bonne photo est avant tout une photo dont l’impact s’inscrit sur le long terme. Lorsque vous voyez une image pour la première fois, vous devez avoir envie de la revoir, encore et encore… Ce n’est pas le genre de photo que vous regardez en un coup d’œil. Une bonne image est une image qui comprend différentes couches, différents niveaux de lecture, si vous voulez. Pour être un bon photographe, il est important de ne pas rester braqué sur le type de photographe qu’on veut être. Tout ça n’a pas tellement d’importance. Laissez-vous guider par ce qui vous touche, tout simplement.

En ce qui concerne la concurrence des images amateur, je sais que ça pose problème à beaucoup de photographes professionnels, mais personnellement cela ne me dérange pas. Je suis contente que la photographie soit accessible. Ce que j’espère surtout c’est que les photographes professionnels vont pouvoir à nouveau avoir la possibilité d’être financés pour des projets de qualité, réalisés sur le long terme. »
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SATORU TOMA
Photographe né en 1976 au Japon et basé à Bruxelles depuis 2005, il s’intéresse aux espaces abandonnés, aux terrains vagues et autres lieux marginaux présents dans la ville mais que notre regard évite.

« Qu’est-ce que la street photography ? Bonne question. Je dirais que c’est photographier dans la rue sans mise en scène. Aujourd’hui les approches des photographes de rue sont très diverses. Si le « moment décisif » a son importance, il est aussi tributaire du type d’appareil photo que vous utilisez. Le moment décisif ne sera pas le même selon que vous utilisez un appareil léger et rapide comme un reflex ou un appareil grand format.

Personnellement, je travaille plutôt lentement. Il m’arrive d’utiliser un trépied, d’attendre de longs moments avant de déclencher, de revenir plusieurs fois sur un lieu que j’aimerais photographier. Alors à la question de savoir si je crois au moment décisif, je dirais : oui et non. Je travaille essentiellement en argentique ce qui implique un certain nombre de surprises au tirage, d’accidents.

Je trouve ça positif que les nouvelles technologies rendent la photographie accessible, ce qui me gêne plus c’est qu’avec le numérique les gens regardent une photo sur l’écran de leur ordinateur ou de leur téléphone et puis c’est fini, ça reste des images virtuelles. Pour moi l’aspect physique d’une photo est très important.

La photographie est un merveilleux prétexte pour accéder à des lieux et faire des rencontres qu’on ne ferait pas habituellement. Je suis personnellement attiré par les univers particuliers, l’étrangeté que peut procurer un paysage, une lumière bien précise. En somme, le mélange entre la réalité et quelque chose d’autre. Une forme de surréalisme, de poésie. Ça peut être quelque chose de l’ordre de la peinture ou de la sculpture. Cette approche d’auteur existe également en street photography. Ce qui s’apparente au reportage ou à la documentation me parle moins. »

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ROHIT VOHRA
Photographe de rue et co-fondateur du magazine APF, il vit et travaille en Inde. Ses photographies mettent en relation les êtres humains et leurs conditions de vie souvent précaires.

« Si je devais me décrire je dirais que je suis un photographe qui adore la street photography. Pour moi c’est un moyen d’expression et aussi une des formes les plus pures en photographie, une des plus difficiles aussi, d’ailleurs. C’est difficile parce qu’il y a tellement de choses à contrôler dans l’environnement.

Ce que j’apprécie en street photography c’est l’incertitude, le défi, la joie d’immortaliser l’instant parfait où tous les éléments se rencontrent : la lumière, la texture, les sujets, etc. De belles histoires se déroulent sous notre nez tous les jours et si nous sommes suffisamment attentifs et capables de voir les signes que la nature nous offre, alors on parvient à accéder au « moment décisif ».

La photographie de rue est en constante évolution et les gens se perdent un peu dans toutes les définitions possibles. Mais je ne dirais pas que le genre a tellement changé avec les années. Le principe est le même : il s’agit de prendre des photos sur le vif, d’être honnête, et de représenter la réalité. Le tout est d’éduquer son œil. L’anticipation est primordiale, il n’y a pas de raccourci, il faut être patient. La photographie de rue implique de faire beaucoup d’erreurs. En plus de la persévérance, il faut pouvoir prendre les bonnes décisions au moment de la sélection.

Avec le temps, vous savez presque instantanément si une photo marche ou pas. Le sujet doit tenir la route, les compétences techniques doivent suivre, de même que le talent de composition. La street photography consiste rarement à simplement raconter une histoire, il faut pouvoir rendre l’ordinaire extraordinaire. Une bonne photo est une bonne photo, tout simplement, qu’importe qu’elle ait été prise par un amateur ou un professionnel. »

GAËL TURINE
Photographe belge né en 1972, membre de l’agence Vu. Il est connu pour ses reportages au long cours réalisés en Afrique de l’Ouest, en Afghanistan, en Inde et au Bangladesh.

« Pour moi la street photography appartient à la même catégorie que la photographie documentaire. C’est un enregistrement du quotidien, de son environnement ou d’un environnement qu’on a visité.

Personnellement, les photographes de rue comme William Klein, Henri Cartier-Bresson, Alex Webb, ou encore le photographe belge Michel Vanden Eeckhoudt m’ont énormément influencé. Je n’ai pas pratiqué la street moi-même sauf pour le travail que je réalise pour l’instant à Port au Prince où j’ai décidé de ne pas m’enfermer dans des univers trop clos, comme à l’intérieur d’une prison ou d’une école, mais plutôt d’aller dans la rue. Je reconnais que c’est un solide exercice car à partir du moment où on est dans la rue, on doit faire face au regard des gens, ceux-ci peuvent plus facilement intervenir. Rien de tel pour se confronter au réel.

Pour moi, le photographe de rue est avant tout un flâneur qui saisit ce qui se passe autour de lui. C’est un état d’esprit, si vous voulez. On peut être un street photographer dans un village ou à la campagne. Quant au mythe du « moment décisif », même s’il ne correspond à tous les types de photographie, je pense qu’il est toujours d’actualité parce qu’il permet justement aux photographes de se démarquer des millions de photos qui sont produites tous les jours et dont on est gavés, cela va du selfie, à la photo du copain, la photo de vacances, toutes ces photos amateur que l’on voit passer sur les réseaux sociaux, sur le web et même dans les banques d’images. En plus de ça, le photographe doit pouvoir justifier un réel propos et le décliner à travers un travail sur le long terme, sous la forme d’une série. »

BRUSSELS STREET PHOTOGRAPHY FESTIVAL
Festival 26/10 > 2/11, expositions 28/10 > 11/11,
Galerie Ravenstein, www.bspfestival.org

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