(© Heleen Rodiers)

Chaque semaine, AGENDA plonge dans les sons et les images du bassin créatif bruxellois. Cette fois, c’est la peintre Marie Rosen, amatrice de rigueur mathématique, de représentations naïves et d’accidents, qui nous accueille à Saint-Gilles.

De grands yeux bruns qui vous fixent ou semblent perdus dans le vide, des traits jeunes, réguliers, apaisés, une peau lisse, sans imperfection : les visages que peint Marie Rosen ont l’immobilité sereine des portraits du Fayoum, représentations funéraires de l’Égypte romaine réalisées sur plaquettes de bois ou sur toile de lin et destinées à être insérées au niveau du visage de la momie. Des souvenirs figés pour l’éternité. Ils semblent aussi les héritiers des personnages hiératiques de la période classique de Picasso, quand le génial Espagnol s’inspirait de la statuaire antique. Quant à l’attitude de ces personnages, elle est parfois illogique, manifestement artificielle. « Je glane des images qui sont des prétextes à peindre », explique l’artiste bruxelloise sortie de La Cambre en 2008. « J’utilise pas mal de photographies du début du XXe siècle, des portraits assez anciens pour que ce soit impersonnel, je ne veux pas peindre quelqu’un de précis, quelqu’un que je connais ». Une de ces photos se trouve sur son espace de travail : un jeune homme habillé avec élégance prend appui sur un tabouret, support mis en scène dans le studio qui favorisait l’immobilité forcée des sujets de ces photographies au long temps de pose. On trouvait comme on pouvait des astuces pour le sujet bouge le moins possible et que le résultat ne soit pas flou.
À côté de cette photo, il y a un chevalet. L’atelier de Marie Rosen, un box partagé dans un ancien parking de Saint-Gilles, est un vrai atelier de peintre comme on les imagine : avec de multiples pinceaux, des tubes de diverses couleurs, des flacons d’huile de lin et d’essence de térébenthine, des chevalets où reposent des œuvres en train de sécher. Marie Rosen aime la technicité de la peinture à l’huile, mais elle en détourne légèrement les règles ancestrales et les outils pour peindre à sa façon. Ses couches sont extrêmement fines et se superposent à l’envi. Ses coups de pinceau sont, la plupart du temps, quasiment invisibles. Elle ponce et polit ses surfaces pour obtenir un aspect lisse, patiné parfois. Depuis de nombreuses années, les coins de ses panneaux de bois sont arrondis, ce qui confère à ses tableaux un degré supplémentaire de douceur. « Si je me retrouvais à travailler sur un format strictement carré, je ne saurais pas quoi faire de ces quelques millimètres », confie-t-elle.
Les tableaux de Marie Rosen sont empreints de silence et de quiétude et pourtant, quelque chose trouble. S’agit-il de ses personnages, si naïfs et simples qu’on se demande si ce ne sont pas des poupées ? S’agit-il des espaces construits où, dans la succession des plans, entre posters épinglés et panneaux verticaux, on ne sait plus très bien ce qui est réalité et ce qui est représentation ? S’agit-il des ombres, dédoublées, irréelles, comme si les scènes étaient plongées dans la lumière des projecteurs d’un théâtre ? S’agit-il des infimes vibrations, petits accidents acceptés avec joie, qui s’emparent des lignes de fuite ou de la succession des motifs quasi omniprésents dans ses œuvres ?
« Comme pour les personnages, j’ai un stock d’images de motifs. Je les simplifie, je les adapte. Certains sont complètement inventés, mais il y a toujours à la base des supports visuels qui sont des sortes de déclencheurs. Il y a des motifs de papiers peints, d’autres qu’on retrouve dans les carrelages des maisons de maître bruxelloises. Tout ce qui est foyer, intérieur, m’interpelle. Le soir à Bruxelles, je ne peux pas m’empêcher de regarder l’intérieur des sous-sol des maisons quand il n’y a pas de rideaux. J’ai l’impression que dans ma peinture, même quand il n’y a pas de personnages, je parle du corps et de l’espace qu’on prend chez soi. On a cette habitude bizarre de tapisser les murs, de disposer des plantes et des objets autour de soi, dans l’espace de vie qu’on se crée ».
Autour de cette interrogation sur le rapport du corps à l’espace, la nomenclature des tableaux de Marie Rosen se décline en boîtes en carton, prises électriques, étagères, lits, tables, chaises, tabourets, piscines (« un espace où tout notre corps est en contact »), avec parfois une sorte de confusion entre ce qui est intérieur et extérieur. Comme si les ciels n’étaient qu’un simulacre, une toile de fond semblable à celles utilisées dans les photos de classe. « Tout cela forme des espèces de nœuds dans l’image, que l’on peut décrypter au fur et à mesure. Je n’aime pas que les choses soient trop évidentes. Je veux que ceux qui regardent puissent lire mes tableaux chacun à sa façon, sans figer le discours ». Ces nœuds que tisse Marie Rosen, on n’a pas fini de les dénouer, et c’est très bien ainsi.

(© Marie Rosen)

Dédoublements
Les tableaux de Marie Rosen sont comme des maisons de poupées, des espaces dans lesquels elle s’amuse à disposer des objets et des personnages en jouant aussi, parfois, sur la multiplication du même. Dans la série qu’elle présente chez Rossi Contemporary, dont le format s’est agrandi par rapport à sa production antérieure, Marie Rosen a représenté plusieurs personnages doubles, comme ces deux jeunes filles en robe bleue dont l’ombre est elle aussi dédoublée. « J’essaie de toujours peindre exactement les mêmes, mais en fait, c’est impossible. Dans mes tableaux, je laisse vivre les irrégularités et les accidents quand ils me plaisent. Il faut que je sois en train de peindre pour que les choses se construisent dans ma tête. Ce que je sais au préalable, c’est la sensation que je recherche. Mes peintures passent par tellement de stades... Les meilleures sont les plus longues : celles où il y a le plus de sous-couches ».

Commune : Saint-Gilles
Expo : Marie Rosen: Dividuels, > 4/7, Rossi Contemporary, www.rossicontemporary.be
Info : www.marierosen.be

Photos © Heleen Rodiers

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