Interview

Naomi 'Namglam' Waku: ‘Mon maquillage est une affirmation magique’

Sophie Soukias
© BRUZZ
14/04/2021

Phénomène sur Instagram et TikTok, la jeune Bruxelloise Naomi Waku aka Namglam inspire toute une génération de femmes avec ses créations makeup. Pour l’exposition collective Beautés bruxelloises, l’artiste et influenceuse sort de sa bulle virtuelle pour sublimer les murs de l’espace Qartier dans la station de métro Bourse

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Avec 75 000 followers sur Instagram au moment de l’interview et 77 000 au moment de rédiger ce papier, le tout assorti 28 600 abonnés sur TikTok, l’aura de Naomi Waku aka Namglam grandit chaque jour un peu plus. La Bruxelloise de 27 ans s’est fait un nom dans le make-up art avec des créations audacieuses et éclectiques voyageant du maquillage de soirée light et glamour à la transformation totale. Selon son inspiration et ses états d’âme, Namglam devient tantôt créature cosmique, tantôt masque africain ou démon de la nuit. Son visage, entièrement recouvert de make-up, n’est alors plus qu’une toile ovale accueillant son imagination débridée.

Challengeant les codes de la beauté en célébrant la beauté d’être soi, c’est toute une génération de femmes dont Naomi Waku se fait la porte-parole et le visage. Un statement que l’influenceuse traduit depuis peu sur des toiles entre peinture et tissu, où elle invoque toujours plus fort les pouvoirs du masque. Après un premier passage dans l’expo collective Congo Eza, curée par la Wetsi Art Gallery et Café Congo, les créations de Naomi Waku sont à voir en ce moment aux côtés de celles de l’artiste visuelle et peintre Zeinabou Hamidou Diori dans l’espace Qartier du Métro Bourse (une collaboration entre Bruxelles Mobilité, la STIB et Zinnema à l’initiative du cabinet Pascal Smet) à l’occasion de l’exposition Beautés bruxelloises.

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La curation est assurée par les trois femmes inspirantes derrière Résidences Art : Florence Akyams, Nola N’Guessan et Audrey Kauer. Confinement oblige, nous avons fait la connaissance de Naomi Waku via Zoom parmi ses petits pots de peintures make-up, une vaste sélection de pinceaux et un imposant ring light.

La communauté Instagram vous connaît sous le pseudo de Namglam. C’est quoi pour vous le glamour ?
Naomi Waku: Ah, le glamour ! (rires) Pour moi c’est le fait de se sentir belle mais avec un extra. Quand on se prépare pour aller en soirée, ça va être le rouge à lèvres ou le petit trait d’eye-liner qui va venir sublimer la beauté. C’est cette chose en plus qui te fait te sentir extra-belle.

Est-ce que le glamour a très tôt fait partie de votre vie ?
Waku: Quand j’étais ado, je suis passée par tous les styles possibles et imaginables, j’ai même eu ma période emo (rires). Je me maquillais pas mal. Le fait qu’il m’était quasi impossible de trouver du maquillage pour ma carnation me forçait à être créative. Lorsque j’allais faire un tour dans les magasins de cosmétiques avec des copines, j’étais constamment confrontée au fait qu’il n’y avait pas d’anticernes ou de fond de teint pour moi. Avant d’être artiste make-up, je pensais que les rouges à lèvres clairs n’étaient pas pour moi. Pareil pour les fards à paupières qui n’avaient pas de pigments. Je me souviens que j’utilisais du eye-shadow de chez MAC pour faire du contouring (rires). Ça n’allait pas du tout ! Mais je n’avais pas le choix. À l’époque, je me maquillais pour me sentir belle et cacher mes boutons (rires). Maintenant, quand je me maquille, c’est un statement. Je ne me maquille presque pas dans la vie de tous les jours parce qu’aujourd’hui, je suis à l’aise au naturel.

En commençant le make-up, je ne voyais pas ça comme de l’art. Aujourd’hui, j’apprécie ce que je fais mais je le respecte aussi comme de l’art.

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Après vos études secondaires à Bruxelles, vous intégrez l’Académie de Mode d’Anvers, classée parmi les trois meilleures du monde.
Waku:
À l’époque, j’avais 18 ans. Je savais dessiner et un peu coudre mais je n’avais pas encore un univers bien à moi. Je ne savais pas du tout comment construire un concept et je pense que l’Académie d’Anvers correspond mieux aux gens qui ont déjà un certain bagage. Ça n’a pas fonctionné pour moi parce que je n’ai pas vraiment été accompagnée et on m’a plus cassée qu’autre chose. À force qu’on me dise que ça n’était pas pour moi, j’ai fini par y croire. Ce qui est dommage parce que la mode, c’était vraiment mon rêve. J’ai arrêté pour préserver ma santé mentale et s’en est suivi une période assez difficile. Mais finalement, tout ça n’est pas vraiment très grave parce qu’aujourd’hui je continue à ma manière.

Avez-vous le sentiment que dans le monde du make-up il y avait davantage d’espace pour vous exprimer ?
Waku: Oui, vraiment ! Il y a tellement de possibilités dans le make-up. Et puis, quand j’ai commencé, il n’y avait pas tellement de filles noires comme moi qui faisaient du maquillage artistique. Je me suis fait mon petit nid et aujourd’hui, je constate que nous sommes très nombreuses et c’est super.

Sur Instagram, vous soutenez abondamment vos collègues make-up artists noires via une série de hashtags.
Waku: C’est vraiment important. Parce qu’en tant qu’influenceuse ou content creator noire, on a beaucoup moins de visibilité. Une de mes collègues a créé le #editorialblk qui nous permet de nous soutenir les unes les autres. C’est génial parce que désormais, Instagram est notre plateforme à nous aussi. Ça nous encourage aussi à être plus vocales. Si on voit que des marques ne nous prennent pas en compte pour des fonds de teint, par exemple, on va l’exprimer. Aujourd’hui ça ne passe plus. Les marques se doivent d’inclure tout le monde et ça, c’est vraiment chouette.

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Vos followers sont également mis à l’honneur dans vos posts Instagram, vous vous tournez régulièrement vers eux pour des suggestions ou un avis.
Waku: Comme j’ai de plus en plus de gens qui me suivent, j’ai envie qu’ils participent et je veux leur faire plaisir. Et de là, on avance tous ensemble.

Quelle est la chose la plus surprenante ou la plus inspirante qu’un follower vous ait suggéré ?
Waku: Une fois, une femme qui me suit aux États-Unis m’a demandé de lui envoyer une photo d’un de mes looks pour l’imprimer et l’accrocher dans son salon. Bien que je reçoive énormément de commentaires et de soutien, j’ai parfois le sentiment que mes followers ne s’adressent pas à moi mais à Namglam. Là, tout semblait tout à coup très réel.

Aujourd’hui, Instagram est une galerie d’art au même titre que les galeries physiques.
Waku: C’est une galerie et c’est une carte de visite. En commençant le make-up, je ne voyais pas ça comme de l’art. Aujourd’hui, j’apprécie ce que je fais mais je le respecte aussi comme de l’art. Le make-up, c’est comme de la peinture. En fait, « c’est » de la peinture. À l’avenir, j’aimerais vendre davantage des impressions de mon travail.

L’exposition Beautés bruxelloises à voir à l’espace Qartier, où vous mêlez make-up et peinture sur toile, contribue à sortir votre travail du monde virtuel.
Waku: C’est une très belle opportunité et je remercie les curatrices de Résidences Art ainsi que Zinnema pour leur confiance. Comme j’avais carte blanche autour du titre Beautés bruxelloises, j’ai pensé aux tantines de Matongé, ces femmes très excentriques qui font partie du paysage bruxellois. Ce sont nos mamans, nos tantes, nos grands-mères. Des femmes congolaises, africaines, qui nous entourent.

Le make-up m’a permis de développer plein de choses qu’auparavant, en tant que fille noire, je ne pensais pas explorer. Aujoud'hui, je me dis qu'il n'y a pas de limites.

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Qu’est-ce qui vous inspirait particulièrement chez ces tantines ?
Waku: C’est en allant faire mes cheveux à Matongé que je les ai découvertes. Leur personnalité opulente, leur look et maquillage improbables m’ont toujours percuté. Certaines s’habillent avec des habits traditionnels, d’autres vont porter des matières fortes comme du cuir et des talons. Ça peut être considéré comme tacky mais avec le temps, c’est le genre de « mauvais goût » que je me suis mis à apprécier. Les tantines s’en foutent du regard des autres et n’ont pas l’intention de changer. J’adore ce genre d’énergie et j’avais envie de montrer une beauté à laquelle je peux m’identifier. Mes toiles mêlent les tantines à mes imaginaires sur les masques africains et leur côté très ornemental. Je reproduis ensuite ces tableaux sur mon visage pour les incarner.

Le masque est un des fils rouges de votre travail. Sur Instagram, il vous arrive d’opter pour un arrière-plan complètement noir avec une lumière éclairant la partie maquillée de votre visage, de sorte qu’il n’y ait plus qu’un masque qui émerge de l’obscurité.
Waku: J’ai une fascination pour le masque. Me maquiller, c’est revêtir un masque.

Comment on se sent quand on porte ce masque ?
Waku: C’est une transformation magique qui opère : je me regarde et je suis une autre personne. Je me dis : waouw ! Le maquillage me permet d’exprimer des émotions enfouies à l’intérieur de moi. Si j’ai le blues, il m’arrive de le maquiller en bleu. C’est presque thérapeutique.

Les créations entre makeup et peinture sur toile de Naomi Waku sont à voir en ce moment aux côtés de celles de l’artiste visuelle et peintre Zeinabou Hamidou Diori dans l’espace Qartier du Métro Bourse

Il vous arrive aussi d’opter pour des maquillages plus creepy avec une petite tendance pour le gore. Est-ce que c’est la partie sombre de vous qui s’exprime ?
Waku: Cette partie de mon travail est liée à mes démons intérieurs. Je suis quelqu’un de très heureuse mais il m’arrive d’avoir des moments de down. Quand mon maquillage devient plus dark, ça veut dire que ça ne va pas si bien que ça (rires). Dans ces cas-là, la peinture m’aide. Me maquiller, c’est une manière de transcender ces idées noires, d’en faire quelque chose.

Vous utilisez aussi beaucoup le liner blanc.
Waku: Longtemps, j’ai pensé que ça n’était pas beau de mettre trop d’attention sur mon visage. J’étais persuadée que le blanc et les couleurs flashy allaient trop ressortir et qu’il était mieux pour moi de m’en tenir à une palette très neutre. Et puis, petit à petit, j’ai osé, jusqu’à vraiment faire des couleurs une force. Je me suis déconstruite par rapport au maquillage en prenant conscience que des couleurs sur une peau mate, ça peut être très beau. Aujourd’hui, je vais sciemment vers les couleurs qui ont un impact.

Le make-up vous a-t-il aidée dans votre processus de déconstruction ?
Waku: Oui, il y a beaucoup de choses que je pensais ne pas être pour moi et aujourd’hui, je me dis qu’il n’y a pas de limites. Même au niveau de ma perception de moi-même. Toucher à tout ce qui est make-up m’a aidée à me sentir plus belle. C’est un peu triste dit comme ça, mais c’est la vérité. Le make-up m’a permis de développer plein de choses qu’auparavant, en tant que fille noire, je ne pensais pas explorer.

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Par manque de modèles ?
Waku: Quand tu grandis et que tu ne vois pas de gens qui te ressemblent, ça a un impact sur toi. Il n’y a pas à dire, Instagram, qui est un outil très fort en matière de représentation, a fait beaucoup de bien. C’est la même chose pour tout ce qui est bodypositivity. Le fait de voir des corps différents sur Instagram ou dans des défilés de mode, c’est génial. Tu te dis que tu n’es pas effacée, que tu existes. Ça permet aux gens de se déconstruire et d’avoir un regard nouveau sur eux-mêmes. De se dire : I matter !

La musicienne et mannequin française Yseult, qui vit désormais à Bruxelles, joue un rôle phare dans ces changements de paradigmes.
Waku:
Il faut que je la rencontre ! (rires) On connaît des gens en commun en plus. Quand je l’ai découverte j’étais émerveillée. On se ressemble un peu d’ailleurs. Il y a quelque chose ! (rires). Ce que fait Yseult est très beau à voir. C’est génial de tomber sur les réseaux sociaux sur des choses qui te font plaisir. Quand j’ai commencé à me mettre sur Instagram, je suivais énormément d’instamodèles. Mon feed, ça n’était que ça, et ça me disait : tu n’es pas assez bien, tu ne leur ressembles pas. J’avais des moments où mon image de moi-même était au plus bas. Le fait de commencer à suivre des gens comme Yseult, ça a vraiment changé la donne.

Aujourd’hui, avec plus de 77.000 followers sur Instagram, vous comptez vous aussi parmi ces sources d’inspiration. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Waku: Je commence tout doucement à prendre conscience de l’impact que mon travail peut avoir sur les gens. Ça me rend heureuse de savoir que ce que je fais inspire les autres. J’ai le sentiment d’avoir accompli quelque chose de bien.

BEAUTÉS BRUXELLOISES
> August 2021, Espace Qartier (Beurs/Bourse pre-metro station), www.zinnema.be & residencesart.com

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