Festival Moussem Cities: Alger le poing levé

Sophie Soukias
© BRUZZ
28/01/2020

Après avoir célébré Damas l'année dernière, le festival Moussem Cities met Alger à l'honneur pendant tout le mois de février. Une édition placée sous le signe de la résistance puisque celle que l'on surnomme "La Mecque des révolutions" est en pleine effervescence depuis près d'un an.

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Qui est Collective 220?

Collective 220 est un collectif de photographes basé à Alger qui désire, par une approche personnelle et subjective, porter un nouveau regard sur l’Algérie aujourd’hui. Infos: www.collective220.net

"Tu as obscurci la lumière et bloqué toute issue, Le navire que tu as longtemps commandé est désormais perdu ». Le 3 mars 2019, Souad Massi prêtait sa voix et son chaâbi (chant populaire algérois dérivé de la musique arabo-andalouse) à la révolte du peuple algérien en entonnant son nouveau morceau Fi-Bali ("pleine conscience") au milieu de l'exaltation de la place de la République à Paris. Le premier rendez-vous d'une longue série.

"Bien sûr, j'aurais voulu manifester dans les rues d'Alger mais je ne suis pas sollicitée en Algérie en ce moment, je pense que mes textes dérangent", dit Souad Massi, qui posait ses valises en France à la fin des années nonante, au beau milieu de la "décennie noire" algérienne, c'est-à-dire la guerre civile qui a vu s'opposer islamistes et gouvernement militaire, causant des centaines de milliers de victimes entre 1991 et 2002.

« La plupart des révolutions ont été rythmées par la musique. Les mélodies et les slogans sont là pour nous donner du courage »

Souad Massi

Écrit en majeure partie avant la révolution et les cris de colère qui finiront par avoir raison du Président grabataire Abdelaziz Bouteflika en avril 2019, le nouvel album de Souad Massi Oumniya ("mon souhait"), qui sera présenté lors de Moussem Cities (15/2, Bozar), fait office de prémonition. Sur cet opus chaâbi-folk – "j'ai cherché à mettre en lumière le lien profond entre ces deux cultures musicales qui partagent les mêmes thématiques de la vie de tous les jours, la même tristesse de la solitude" - il n'est pas seulement question de critiquer la situation politique dans le pays qui l'a vue naître et grandir, mais aussi d'amour, d'éducation et d'émancipation des femmes.

"Je désire être une actrice de la société et cela se reflète évidemment dans ma musique," dit la chanteuse qui se réjouit de l'ampleur que la musique a prise dans la contestation. "Ce qui se passe est assez magique. Une mélodie apparaît et se propage sans que quelqu'un l'ait écrite forcément."

Ainsi La Casa del Mouradia, composée par un groupe de supporters d'un club de foot algérois en référence au siège de la résidence présidentielle et à la série antisystème La Casa Del Papel, s'emparait des rues d'Alger et de YouTube pour devenir l'un des hymnes les plus populaires de la révolution. "J'ai beaucoup de respect pour ces gens car ils n'hésitent pas à sortir en famille et à prendre des risques pour libérer le pays", dit Souad Massi.

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"Les mélodies et les slogans sont là pour nous donner du courage. La plupart des révolutions et des guerres ont été rythmées par la musique et le son des tambours", dit la chanteuse. "Pendant la Guerre de Libération nationale (Guerre d'Algérie dans son appellation occidentale, 1954-1962, NDLR), il y a même eu des chanteurs tués pour avoir composé des chansons contre le pouvoir français. Il s'agissait de chansons très revendicatives en arabe et en kabyle", dit la chanteuse d'origine kabyle, confiant vouloir "se pencher sur la langue berbère" sur son prochain album.

Pour l'heure, Souad Massi continue de se raccrocher à la promesse de nouveaux lendemains algériens, malgré les élections présidentielles très contestées de décembre dernier d'où sortait vainqueur Abdelmadjid Tebboune, ancien ministre d'Abdelaziz Bouteflika. "Nous, les artistes, sommes là pour donner l'espoir."

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Indésirables permanents

"On est passé d'un sentiment de révolte individuel à une révolution collective", explique Mustapha Benfodil, journaliste, écrivain et dramaturge basé à Alger. Dans sa nouvelle pièce de théâtre Fièvres, élaborée avec le metteur en scène Kheireddine Lardjam à l'occasion d'une résidence à Avignon, l'auteur propose une suite à leur spectacle End/Igné dans lequel il imaginait le destin tragique d'un jeune blogueur dans une ville du Sud algérien bordant les champs de pétrole. Poursuivi en justice pour s'être attaqué aux notabilités locales, le jeune homme finira par s'immoler par le feu. "L'histoire est inventée mais elle s'inspire beaucoup des modes de révolte qui ont travaillé au corps de nombreux de mes concitoyens à partir de 2004 environ."

Un phénomène de repli individuel que Benfodil impute au traumatisme des années d'émeutes et de répressions violentes qui ont suivi les grands mouvements en faveur des droits de l'homme et de la femme dans les années quatre-vingt. "Cette violence énorme, qui a fait des centaines de milliers de morts, a profondément déstructuré la société, il ne faut pas s'étonner que le tissu associatif, les partis politiques, les intellectuels, les artistes aient eu la réaction naturelle de vouloir se reposer."

Lorsqu'à partir de fin 2010, les Printemps syrien, lybien ou encore égyptien frappent à la porte de l'Algérie, le régime n'hésite pas à réveiller les traumatismes et à appuyer sur les blessures des années nonante pour s'assurer l'immobilisme de sa population. Jusqu'à la fameuse goutte d'eau qui allait faire déborder un vase rempli de rancœur et de colère.

« Le public algérien est effroyablement privé d’une bonne partie de la création des artistes algériens »

Mustapha Benfodil

"Ce qui a suscité le ras-le-bol, c'était le mépris affiché par le clan Bouteflika. Réélu pour un quatrième mandat, sachant qu'il était extrêmement malade et clairement en état de mort présidentielle, ça a été l'humiliation de trop", dit Benfodil qui a couvert la majorité des manifestations à Alger pour le journal francophone indépendant El-Watan ("la patrie").

Dans Fièvres, Dounia, la petite amie d'Aziz, le blogueur qui s'était donné la mort dans le précédent spectacle, reprend le flambeau de l'homme qu'elle a aimé. "On entre dans un temps mythique où va se construire patiemment cette organisation de ce qui va s'appeler 'révolution'. Mais moi ce qui m'intéresse, c'est la construction intime de la révolte."

Si Fièvres sera montré à Bruxelles lors de Moussem Cities (21 & 22/2, Kaaitheater), la pièce n'est pas la bienvenue en Algérie. "La censure dépend vraiment des disciplines", explique Benfodil. "Tous mes livres sont publiés en Algérie mais ma mère et mes filles n'ont jamais vu une seule de mes pièces de théâtre. Le public algérien est effroyablement privé d'une bonne partie de la création produite par des artistes algériens. Cela engendre une espèce de rupture non voulue entre les artistes et le public et fait d'eux des indésirables permanents. Voilà pourquoi la révolution demande la libération des médias publics et des salles de spectacle."

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Les oubliés

"Les gens réclament la justice et la vérité. Les Algériens ont montré à ceux qui les gouvernent qu'on n'est plus dans les années soixante. Aujourd'hui, on ne peut pas nous faire croire n'importe quoi. À l'ère d'internet, un seul clic d'information traverse toute la planète", dit Oussama Tabti, artiste basé à Bruxelles, diplômé des écoles d'art d'Alger et d'Aix-en-Provence, régulièrement exposé en Afrique et en Europe.
Dans sa toute première installation Deuxième partie, conçue en 2010, Tabti dénonçait déjà la manipulation de l'information au service de la propagande. "J'y parle de l'histoire de l'Algérie telle qu'elle est enseignée à l'école et montrée dans les médias", dit l'artiste. "Le focus sur l'histoire de la colonisation, toujours racontée à la gloire des Algériens, est un moyen pour le pouvoir en place de se donner une légitimité" – le FLN (Front de libération nationale, principal moteur de l'insurrection algérienne pendant la Guerre d'Algérie) est au pouvoir depuis l'indépendance du pays en 1962.

Cette révolte nous a un peu réconciliés. Ceux qui nous ont gouvernés jusqu'à présent nous ont tellement montés les uns contre les autres

Oussama Tabti

Lors du festival Moussem Cities, Oussama Tabti présentera deux installations représentatives de son œuvre (Bozar). Pour Stand By (2011), l'artiste a scanné les fiches de prêt des livres de la bibliothèque de l'Institut français d'Algérie. Ce faisant, Tabti pointe l'absence totale de mobilité des ouvrages entre 1994 et 1999, période correspondant à la fermeture des bibliothèques et des institutions culturelles en pleine "décennie noire". Témoignage d'un temps et d'une pensée arrêtés, expression par l'absence et le vide du traumatisme de la guerre civile.

Autres absents de l'Histoire : les Chabanis, à savoir "les anciens". Dans sa récente installation Sweet Home (2019), Tabti s'intéresse aux vieillards maghrébins qu'il croise régulièrement alors qu'il est installé à Marseille. Venus en France pour participer à l'engouement économique des Trente Glorieuses (1946-1975), ils ne touchent aujourd'hui qu'une maigre pension. "J'ai appris qu'en arrivant en Europe, ils vivaient dans des bidonvilles, des sous-sols d'immeubles, dans des hôtels délabrés, à parfois six personnes par chambre." Dans une vidéo, Tabti demande aux Chabanis de dessiner leur logement de fortune tout en livrant une description de celui-ci. La vidéo est installée sur une table en bois fabriquée à partir de matériaux de construction, où sont posés d'autres dessins.

Installé aujourd'hui à Bruxelles, Oussama Tabti continue d'exposer à Alger et suit de près les soulèvements auxquels il s'est mêlé à deux reprises. "Cette révolte nous a appris qu'on ne réfléchit par tous de la même manière. Dans la rue, le communiste, l'athée, l'islamiste, la féministe et l'étudiant marchent côte à côte. Ça nous a un peu réconciliés. Ceux qui nous ont gouvernés jusqu'à présent nous ont tellement montés les uns contre les autres", dit Tabti. "Désormais, il y a un avant et un après 22 février 2019. En plus c'était mon anniversaire ! Je l'ai pris comme un cadeau."

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