Enclume: la fabuleuse histoire d'un studio d'animation à Molenbeek

Niels Ruëll
© BRUZZ
30/10/2020

Les vacances d'automne en France et en Belgique auraient dû être égayées par un studio d'animation situé à Molenbeek et son film Petit Vampire, signé Joann Sfar. En attendant que les salles de cinéma soient réinvesties, Enclume Animation se donne à corps perdu dans la réalisation de son propre premier long-métrage d'animation : Yuku et la fleur d'Himalaya.

Bande-annonce 'Petit Vampire'

Enclume Animation ? Les voisins d'en bas n'en ont jamais entendu parler. Mais au dernier étage d'un bâtiment industriel sur le canal à Molenbeek, près du Petit Château, se trouve le studio d'animation Enclume. "Vous ne pouviez pas tomber à un moment plus calme", dit Jérémie Mazurek qui explique spontanément pourquoi tant d'ordinateurs déconnectés attendent des utilisateurs dans la salle de travail. C'est le calme avant la tempête. Nous sommes en pleine préparation de Yuku et la fleur d'Himalaya. En février, huit animateurs et huit assistants plus deux chefs d'équipe travailleront ici. »
Enclume a le vent en poupe. Le studio a apporté sa modeste contribution à L'Extraordinaire Voyage de Marona. Cette perle du cinéma d'animation sur un chien de rue victime d'un accident a ouvert le festival Anima au printemps.

Si les salles de cinéma n'avaient pas été contraintes de fermer leurs portes à cause des nouvelles règles sanitaires, Enclume aurait été sous les feux de la rampe cette semaine avec la sortie d'un film dont il a animé une grande partie. Petit Vampire, particulièrement imaginatif et amusant, raconte l'histoire d'un vampire qui a déjà trois cents ans et qui s'ennuie à mourir. Le garçon vit dans une maison hantée avec des monstres qui sont en fait gentils et très humains. Il se rebelle contre ses parents en allant secrètement à l'école (des humains). Joann Sfar, le réalisateur français du long-métrage Gainsbourg (vie héroïque) et du film d'animation Le Chat du Rabbin, a lui-même adapté son dessin animé culte Petit Vampire.

"Techniquement, il est intéressant de bosser sur ce genre de projet. La barre est haute. C'est un chouette défi à relever. Deuxièmement, c'est quand même un projet qui a une aura. Joann Sfar est un auteur connu. Le film sort dans beaucoup de salles de cinéma", explique Paul Jadoul. "Nous y avons travaillé pendant un an avec quelque dix-huit animateurs, principalement des jeunes talents qui se sont essayés à une œuvre de grande envergure. Pour eux comme pour nous, un tel projet offre une sacrée visibilité. Dans ce milieu, il faut montrer son savoir-faire. On est des artisans. Notre vitrine, ce sont les projets auxquels on participe", ajoute Mazurek.

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© Ivan Put | Les locaux d’Enclume sont situés à Molenbeek, foyer de plusieurs studios d’animation à Bruxelles.

Les réalisateurs Paul Jadoul et Jérémie Mazurek ont fondé Enclume avec deux autres réalisateurs : Rémi Durin et Constantin Beine. Ils viennent respectivement de Neufchâteau, Dunkerque, Reims et Bruxelles. Ils ont fait connaissance au cours de leur formation en animation à l'école d'art de La Cambre et n'ont jamais quitté Bruxelles. Cette année, Mazurek est même devenu citoyen belge.

Hooverphonic dans un kot étudiant
"À La Cambre, on s'est rendu compte qu'on était très complémentaires. On a les mêmes affinités artistiques mais techniquement, on n'a pas les mêmes qualités. On se donnait constamment des coups de main. Rien que les discussions autour de nos différents projets étaient super enrichissantes. On a voulu perpétuer ça", dit Mazurek. "On était un peu livré à nous-mêmes à La Cambre", complète Jadoul. "Donc on s'est fort serré les coudes. On a eu l'idée de faire ce studio avant de sortir des études. Notre premier projet commun était le générique pour le Festival Anima."

Mais comment fait-on pour monter un studio ? Le quatuor savait presque tout de l'animation, mais de la gestion d'entreprise quasi rien. "On a beaucoup réfléchi. Comment s'organiser ? Comment commencer à travailler ?" dit Jadoul. Pendant un moment, les quatre se sont demandé s'il ne serait pas préférable que chacun acquiert de l'expérience dans un studio existant. "Mais nous avions peur que notre projet tombe à l'eau après. Quand on s'habitue à un certain confort, l'esprit d'aventure disparaît. Nous nous sommes lancés tous les quatre quand nous étions encore des étudiants fauchés. Nous n'avions littéralement rien à perdre. C'est plus facile de prendre des risques", dit Mazurek en riant.

Par un mailing, il a fait savoir à tous les groupes de musique belges qu'ils avaient créé un studio d'animation et qu'ils étaient impatients de se lancer. Un seul groupe a répondu. Hooverphonic a pensé à un clip animé pour la chanson 'Gentle Storm'. "Geike Arnaert était encore la chanteuse à l'époque. On nous a donné un mois pour faire le clip. En fait, c'était beaucoup trop peu, mais on n'a pas osé le dire. On y a bossé comme des fous", se souvient Jadoul. "On était méga flippés de leur présenter nos idées." Le quatuor n'avait pas encore d'espace de travail à l'époque. Ils ont reçu Hooverphonic dans le kot étudiant d'un des appartements du père de Constantin Beine.

Artistes et chefs d'entreprise
Ils ont appris la création et la gestion d'entreprise sur le tas. "Ce fut un long processus. Nous avons commencé comme collectif, il a fallu deux ans pour créer une asbl et quatre autres années pour devenir une entreprise. C'était en 2013, on travaillait ensemble depuis sept ans."
Ces derniers mois, Enclume a pu s'adonner à de longs films d'animation mais l'argent est entré pendant des années en tant que studio de prestation. "On a fait beaucoup de films de commande et de publicité. On est moins disponible sur ce marché-là pour l'instant. Même si parfois, il y a des chouettes défis à relever, je trouve que c'est moins excitant", dit Jadoul.

« Nous n’avons plus envie de travailler 24 heures sur 24 sur un film publicitaire qui doit être terminé sans délai »

Jérémie Mazurek

"Ces travaux publicitaires sont un bon laboratoire : avec un peu de chance, vous pouvez expérimenter de nouvelles techniques. Mais ce sont des missions courtes qui demandent beaucoup d'énergie. Je suis le seul des quatre à ne pas avoir d'enfants. Nous n'avons plus envie de travailler 24 heures sur 24 sur un film publicitaire qui doit être terminé sans délai. Sur Petit Vampire ou Yuku, nous travaillons aussi très dur, mais sur une période beaucoup plus longue. Cela donne beaucoup plus de satisfaction", explique Mazurek.

"Chef d'entreprise, c'est pas ma vocation", confesse Jadoul. "Je le fais pour servir le studio. C'est l'aspect artistique que j'aime vraiment : travailler sur des films. Dans notre format, c'est parfois compliqué de concilier les ambitions artistiques et nos obligations de chef d'entreprise. Parfois, on a tendance à trop se focaliser sur les questions artistiques et un peu moins sur la gestion."

Molenbeek comme épicentre
Enclume n'est pas le seul studio d'animation de Molenbeek. Walking the dog, Studio Souza et Squarefish ont également trouvé une place ici. "Les studios d'animation ont besoin d'une surface relativement importante. Dans les zones industrielles de Molenbeek, on peut encore en trouver à un prix abordable", explique Mazurek. "Je préfère travailler et vivre dans une grande ville avec une vie culturelle dynamique. Je ne pourrais pas vivre à Wavre. Il est également plus facile d'y faire venir des employés de l'étranger."

"Le choix de Bruxelles n'a jamais été fait délibérément. Nous avons étudié ici et nous y sommes restés. Il ne faut pas chercher plus loin", pense Jadoul. Ce choix a des conséquences. Pour boucler les budgets, chaque producteur compte également sur les mesures de soutien économique d'un pays ou d'une région. Mais cela implique de dépenser l'argent dans le pays ou la région en question. "L'emplacement n'est en effet pas un détail", explique Mazurek. "Nous avons perdu la moitié du travail sur un projet qui a soudain reçu le soutien de la Région wallonne. Mais grâce au soutien de Screen Brussels, nous avons une part plus importante dans Yuku."

Lire sur les lèvres d'Arno
Avec Yuku, Enclume est confronté au plus grand défi de son histoire. Yuku sera un long-métrage d'animation belge et cela reste très exceptionnel. Taxidermia de Raoul Servais, Cafard de Jan Bultheel, Panique au village de Stéphane Aubier et Vincent Patar... les réalisateurs ne trouvent pas d'autres exemples comme ça.

Yuku, une jeune souris qui s'aventure dans le monde pour trouver une fleur d'Himalaya pour sa grand-mère mourante, est un projet d'Arnaud Demuynck. Le producteur, scénariste et réalisateur expérimenté a fait appel à Enclume. "Je fais le développement graphique et Rémi Durin coréalise avec Arnaud (Demuynck, NDLR)", précise Jadoul.

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© Ivan Put | Jérémie Mazurek (à gauche) et Paul Jadoul se sont rencontrés sur les bancs de l’école d’art La Cambre. Leur collaboration se poursuit aujourd’hui entre les murs d’Enclume Animation.

"On s'est donné pour défi de réussir un chouette film à petit budget. Arnaud aurait pu avoir plus de budget en France mais on se serait fait avaler par la France. On aurait dû déléguer plusieurs tâches créatives et artistiques. En choisissant un petit projet, on peut garder le gros de la production en Belgique. Les ambitions sont raisonnables." Yuku est destiné aux tout-petits. Ce n'est pas courant au cinéma.

Yuku sera également une comédie musicale. Pour chanter les chansons, ils ont frappé à la porte de la célèbre réalisatrice et actrice française Agnès Jaoui et de la légende bruxelloise Arno. Les enregistrements sont à peine terminés. Jadoul : "Nous avons besoin des voix avant de commencer à animer. Cela nous permet d'adapter les mouvements de la bouche des personnages au chant. La façon de chanter influence aussi les personnages. Arno a chanté la chanson d'un rat avec le blues. Il l'a fait dans son style bien connu mais un peu plus lent et un peu plus essoufflé que ce que nous avions imaginé. Nous allons probablement rendre le rat un peu plus âgé, plus lent et nonchalant que prévu initialement."

À la question de savoir où se situera Enclume dans cinq ans, Jadoul sourit. "C'est l'éternel débat entre nous. Vers quoi on va ? En fait, est-ce qu'on contrôle quoi que ce soit ? Surtout artistiquement, on a beaucoup de plans dans les cartons." "Le rêve pour le studio, c'est de pouvoir garder les équipes", dit Mazurek. "Les moments les plus chouettes ici au studio, c'est quand on est entouré d'une quinzaine de personnes créatives. Maintenant, on doit les laisser partir après chaque projet. Si on a une envie, c'est de pouvoir garder une équipe. Mais pour cela, il faudrait enchaîner les projets."

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