Interview

Pink Screens: le cri du clitoris

Sophie Soukias
© BRUZZ
29/10/2019
©Ivan Put

Hourra! Le festival Pink Screens est de retour dans la capitale avec ses films coups de poing et novateurs qui abordent les questions de genre et de sexualité sans chichis et sans tabous, pour notre plus grand bien. Comme dans Mon Nom est Clitoris, le documentaire bruxellois de Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet où le clitoris parle enfin pour lui-même.

Bande-annonce "Mon Nom est Clitoris"

Longtemps invisibilisé, sujet à des interprétations psychanalytiques douteuses et objet de fantasmes et de haine pour sa fonction unique de plaisir, le clitoris s’en est pris plein le gland à travers les âges. Porté par la vague #metoo et acteur de poids dans ce phénomène historique de libération de la parole, le clitoris réclame aujourd’hui sa place dans la sexualité féminine et dans l’espace public, plus largement.

Aux côtés du clitoris: les réalisatrices Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet. Dans leur premier long-métrage Mon Nom est Clitoris, les deux diplômées de l’INSAS signent un documentaire libérateur et générationnel où des filles de leur tranche d’âge (la vingtaine entamée) s’expriment face caméra sur leur sexualité, sur le plaisir et sur leur corps. Mais aussi sur leurs questionnements, sur l’absence de connaissances et les tabous paralysants qui entourent l’anatomie et la sexualité féminines au point de nuire gravement au plaisir et à l’épanouissement.

« On voulait réaliser un documentaire qui fait du bien », expliquent Leblond et Billuart Monet, assises sur le lit de cette dernière. Une brève plongée dans les conditions de tournage intimistes de leur film, où chaque fille (douze au total) est interviewée entre les murs de sa chambre à coucher.

Parlez-nous un peu du choix du décor dans Mon Nom est Clitoris.
Lisa Billuart Monet: On voulait un environnement où les filles puissent se sentir bien et libres de parler. Parce que c’est un exercice qui nous paraissait très difficile. On leur demandait non pas de parler de sexualité de manière globale mais de leurs expériences personnelles. Comme nous n’étions que deux – Daphné au son et moi à l’image – l’ambiance était très intime, en mode soirée pyjama. On filmait en lumière naturelle et on ne changeait pas la disposition de leur chambre. Je pense que tout ça a favorisé une parole libre.
Daphné Leblond: Notre cinéma documentaire pose pas mal de questions éthiques et nous ne voulions en rien manipuler nos sujets pour obtenir quelque chose d’elles. On a choisi des filles qui avaient le même âge que nous, on voulait être au même niveau. On partageait avec elles les mêmes soucis et les mêmes questionnements. Ça ne se voit pas au montage, mais on s’est confiées autant qu’elles se sont confiées.
Billuart Monet: Ce qui a aidé, c’est qu’avec notre film, on répondait à un besoin. Les filles qui ont accepté de répondre à nos questions, ne l’ont pas fait pour nous faire plaisir. Elles l’ont fait parce qu’il y avait un besoin de le faire, parce que c’était important pour elles. En partageant leurs expériences, elles espèrent faire changer les mentalités, pour que des jeunes femmes et hommes ne se retrouvent pas face aux mêmes problèmes qu’elles.

Comment passe-t-on de la prise de conscience du manque de connaissances sur le clitoris et le plaisir féminin à la réalisation d’un long-métrage documentaire ?
Leblond: Pour moi, c’est parti de questions que je me posais notamment autour de la masturbation et dans mes rapports amoureux. Lorsqu’on était étudiantes à l’INSAS avec Lisa, on a eu une longue discussion sur ces questions et la décision de faire un film a été quelque chose de l’ordre de l’impulsion, une sorte d’élan spontané qui nous a portées.
Billuart Monet: Daphné avait 24 ans et moi 21, c’était il y a quatre ans. On a parlé de masturbation et de pénétration obligatoire dans les rapports hétérosexuels et je me suis sentie beaucoup moins seule. C’était une des premières fois que j’abordais concrètement le sujet. On s’est dit que se mettre à en parler avec d’autres jeunes femmes de notre âge, allait nous faire du bien à nous et à elles aussi. On était dans des sections techniques à l’INSAS et c’est le sujet qui nous a donné envie de passer du côté de la réalisation.

« C’est important que l’on sente la gêne pour avoir conscience du pas énorme qui est en train d’être franchi »

Lisa Billuart Monet

Comme le montre votre documentaire, ce sont des sujets qui sont finalement peu traités entre filles.
Leblond: On n’en parle pas trop mais je pense qu’il y a tout de même un espace de parole chez les filles lors de ces fameuses soirées pyjama et tout ce qui est lié à ce qu’on dévalorise comme étant du gossip et du commérage. Alors qu’il s’agit en fait d’un espace où les filles s’expriment sur l’amour et sur leurs émotions.
Billuart Monet: Dans le film, une des filles dit qu’on parle souvent de sexe à deux et beaucoup à travers les hommes, mais qu’on parle peu de son propre plaisir comme un sujet en soi. C’est ce qu’on essaie de faire dans le film.

Pour beaucoup de filles qui s’expriment devant la caméra, c’était la première fois qu’on leur posait ce genre de questions sur leur sexualité. Vous attendiez-vous à une parole aussi abondante et libérée ?
Billuart Monet: Je me mets à leur place et si on me posait la question aussi frontalement de savoir si j’ai déjà simulé ou si je me suis déjà masturbée, je ne sais pas si j’aurais eu le courage de répondre.
Leblond: On ne s’attendait pas à une telle liberté de parole et pas si rapidement.
Billuart Monet: Même si c’est vrai qu’elles ne sont pas si gênées que ça de parler, je trouve que c’est important que l’on sente la gêne pour avoir conscience du pas énorme qui est en train d’être franchi. Il ne faut pas qu’on s’imagine que c’est facile.
Leblond: Aujourd’hui, il y a autre chose qui demande du courage. Ces filles ont évolué depuis le tournage et doivent accepter que ce soit une image d’elles d’il y a trois ou quatre ans qui va exister dans le film. Certaines se trouvent naïves après coup, d’autres ont beaucoup changé.
Billuart Monet: On a en tête un deuxième projet « quatre ans plus tard », pour leur donner l’espace pour ajouter des choses.

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© Ivan Put | Pink Screens (c) Ivan Put

En quatre ans, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Le tsunami #metoo a fait son effet et les documentaires visant à libérer la parole sont de plus en plus nombreux à voir le jour (voir Sans Frapper de la Bruxelloise Alexe Poukine).
Leblond: Ce qui me frappe dans cette explosion, c’est que chacun travaille dans son coin, qu’on a le sentiment d’être un peu seul et puis, d’un coup, tout sort en même temps et on comprend qu’on fait partie d’un ensemble. À l’époque, on a décidé de se lancer dans ce documentaire précisément parce qu’il n’existait pas encore. Pour reprendre une citation de l’essayiste américaine Toni Morrison : « S’il y a un livre que vous souhaitez lire mais qu’il n’a pas encore été écrit, alors il faut l’écrire vous-même ».

Le documentaire n’est-il pas le médium idéal pour briser un tabou en le rendant visible ?
Billuart Monet: On a vu des documentaires où les femmes étaient floutées ou anonymisées. Pour nous, s’attaquer à ce tabou nécessitait de le montrer concrètement. On s’est dit qu’on voulait incarner la parole et qu’un podcast n’était pas encore suffisant. On avait envie de faire du cinéma et le documentaire nous apparaissait comme la forme idéale.
Leblond: Il y a de très beaux podcasts qui ont été faits sur le sujet. Je pense que les deux médiums sont complémentaires. Le documentaire était l’occasion pour nous de filmer des personnes auxquelles on puisse s’identifier, parce que pour l’instant c’est beaucoup de stars du cinéma qui sont les visages de la vague #metoo.

Vous ne vous contentez pas de montrer des femmes qui s’expriment, vous montrez également le clitoris sous tous ses angles et vous allez jusqu’à l’exposer sur la place publique dans la scène finale du film.
Billuart Monet: On voulait aussi répondre à des questions et non pas seulement en poser. On a fait beaucoup de recherches pour savoir comment représenter le clitoris et son emplacement. Il n’y a pas tellement de schémas sur internet et ils ne sont pas forcément faciles d’accès. C’est pareil lorsqu’il s’agit de représenter la zone G : qu’est-ce qui est innervé, qu’est-ce qui réagit lors de l’orgasme ? Ce genre de réponses aide à ressentir le plaisir dans son propre corps. Le clitoris devient un symbole d’indépendance parce qu’il suffit à notre propre plaisir. La séquence de fin, lorsqu’on graffe des clitoris sur les murs de Bruxelles avec les autres filles, est un acte politique. On sort des chambres et ensemble, dans une énergie sororale, on vient se réapproprier l’espace public.

Mon Nom est Clitoris
© Ivan Put

Le clitoris a été évacué du récit didactique et des cours d’éducation sexuelle. Dans votre documentaire, vous prenez un ton didactique assumé pour mieux le détourner. Est-ce que l’éducation reste centrale dans le changement des représentations ?
Billuart Monet: On s’est dit qu’on allait détourner le matériel didactique existant parce que c’était aussi une manière de raconter le tabou. Quand on pense que l’émission de vulgarisation scientifique C’est Pas Sorcier n’a jamais parlé de plaisir féminin, c’est affolant.
Leblond: Cette volonté pédagogique n’a pas toujours été facile à défendre auprès des productions parce qu’elles se positionnent du côté du cinéma. On a voulu démontrer que les deux n’étaient pas incompatibles.
Billuart Monet: On est en contact avec un planning familial qui a écrit un dossier pédagogique qui pourra s’appuyer sur des extraits du film. On est également en train d’organiser des projections scolaires.
Leblond: Pour nous, l’école reste le meilleur endroit pour essayer de donner la chance à toutes et à tous d’avoir une éducation correcte.

Dans Mon Nom est Clitoris, vous choisissez de « rester entre filles ». Les hommes ne sont pas sollicités pour parler du plaisir féminin. Un choix évident dès le départ ?
Billuart Monet: Qu’est-ce qui est le plus fort : savoir qu’un homme ne connaît pas le corps d’une femme ou qu’une femme ne connaît pas son propre corps ? On voulait donner la parole aux principales concernées. Dans l’histoire, il y a beaucoup d’hommes qui ont pris la parole à la place des femmes, donc cette non-mixité était volontaire dès le départ.
Leblond: C’était l’occasion de parler entre nous et de ne pas être contredites ou freinées par l’interprétation des hommes sur la question.

« On voulait montrer la banalité des expériences douloureuses et leur donner leur poids et leur gravité »

Daphné Leblond

Le fait d’interroger une quinzaine de filles aux profils différents permet de prendre conscience qu’il n’y a pas un modèle de sexualité féminine mais une multitude. C’est plutôt rassurant.
Leblond: Si on avait pu mettre 200 filles dans le documentaire, on l’aurait fait.
Billuart Monet: Derrière chaque nana, il y a un vécu différent. On a eu envie de faire un film qui fait du bien pour ne plus se sentir seules et ne plus se sentir bizarres. La norme est finalement très étroite et personne ne se sent vraiment correspondre à cet idéal féminin.

Votre documentaire montre également à quel point il peut être douloureux voire dangereux de ne pas comprendre son propre corps et ne pas pouvoir identifier ses désirs.
Leblond: Ce sont des problèmes qui continuent d’être sous-estimés parce qu’on estime qu’ils ne sont pas « si graves ». Dans le film, on prend le parti de ne pas aborder d’incidents dramatiques comme l’excision. On voulait montrer la banalité des expériences douloureuses et leur donner leur poids et leur gravité. Certaines expériences ne sont pas forcément graves sur le coup mais c’est le cumul de celles-ci qui peuvent avoir des conséquences désastreuses.
Billuart Monet: Nombreuses sont les femmes qui n’arrivent pas à ressentir de plaisir et c’est grave. Pas seulement dans leurs rapports amoureux mais dans leur vie tout court, dans leur rapport à leur corps et au bonheur.
Leblond: Dans les manuels scolaires et les cours d’éducation sexuelle, on parle des risques de maladie et de grossesse mais il y a deux autres types de risques, qui sont celui du non-consentement et celui des discriminations (racisme, grossophobie, LGBT-phobies), dont on ne parle pas du tout et qui sont complètement minimisés.
Billuart Monet: Lorsqu’on demandait aux filles si elles voulaient ajouter quelque chose à la fin de l’interview, trois filles sur quatre désiraient parler du consentement.

Je me permets de faire comme vous. Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter à cette interview ?
Billuart Monet: Oui. Même si on donne la parole à une multitude de filles dans le film, il y a des questions que l’on n’aborde pas et certaines expériences qui ne sont pas représentées. On a donc prévu de réaliser des capsules vidéo visant à élargir le spectre des sexualités. On a le projet d’interviewer des femmes excisées, asexuelles et des personnes trans. Ces vidéos seront postées sur les réseaux sociaux dans une visée pédagogique et seront assorties de podcasts pour approfondir ces questions.

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