Bertrand Belin : passage de cap

Nicolas Alsteen
© Agenda Magazine
25/11/2015
(© Philippe Lebruman)

Écrivain, homme de théâtre, équilibriste du verbe, jongleur de mots, Bertrand Belin nous revient en chanteur. Tiré à quatre épingles dans son costume préféré, le dandy imprime sa marque de fabrique sur la chanson française avec l’album Cap Waller.

Dans la langue d’Alain Bashung, Bertrand Belin est ce qu’il est convenu d’appeler un héros. Un homme capable de renverser la vapeur à lui tout seul. Une guitare à la main et des histoires plein la tête, le chanteur français a parcouru un sacré chemin depuis le succès rencontré avec Parcs, son précédent essai. Sur un plan littéraire, il s’est fait les dents avec Requin, un premier roman salué par la critique et largement plébiscité par le public. Ailleurs, on a aperçu Bertrand Belin sur les planches, mais pas dans une salle de concert. Depuis peu, l’homme s’est métamorphosé en bête de scène dans la pièce de théâtre Spleenorama (de Marc Lainé). Embarqué sur le pont du renouvellement avec onze nouvelles compositions, l’artiste breton signe Cap Waller, un cinquième album qui tend à répéter une formule, à trier les mots, à viser l’épure pour, toujours, réduire la voilure et traverser les flots en produisant un maximum d’effets. Un bel ouvrage signé des initiales B.B.

Écrire un roman ou s’investir au théâtre, ça témoigne de l’envie de quitter le simple cadre de la chanson ?
Bertrand Belin : Pour moi, ce ne sont pas des domaines disjoints. Il s’agit du même projet que j’alimente avec d’autres idées. Ça prend simplement des formes différentes. Mais je ne le vis pas comme des choses si séparées que ça. J’ai toujours écrit, et voulu écrire, autre chose que des chansons. Avec Requin, j’ai eu le sentiment d’être confronté à un texte qui avait l’air de vouloir arriver quelque part. Au niveau de l’écriture des chansons, on sait que l’épure vous obsède.

Peut-on voir dans la chanson Le mot juste une manifestation de cette obsession lexicale ?
Belin : Cette chanson, je la trouve encore assez explicite, pas particulièrement épurée. L’épure, c’est plus radicalement vrai dans des morceaux comme Soldat ou Folle Folle Folle… Pousser l’épure plus loin, c’est possible. Là, j’ai quand même l’impression d’avoir enregistré un disque assez généreux. Je pense qu’on peut encore accentuer l’économie de mots. Mais ça ne fait pas partie de mes projets. Je vous assure que quand j’écoute Cap Waller, je le trouve assez nourri. L’épure n’est pas un problème en soi, c’est simplement une esthétique.

Cette esthétique était déjà bien présente dans Parcs. Ici, vous touchez quand même à une forme de climax, non ?
Belin : Non, parce que le climax a déjà été atteint par ailleurs. Philippe Katerine, par exemple, a fait des réussites qui sont allées beaucoup plus loin. Même si sa personnalité et son « pedigree » artistique sont à des années-lumière de mon univers. Moi, je veux enregistrer des chansons, de la musique pop, pas un projet littéraire.

Peut-on considérer le premier single Folle Folle Folle comme le modèle réduit de ce que vous vouliez faire sur Cap Waller ?
Belin : Oui, mais uniquement a posteriori. Car entre les deux, j’ai écrit l’album Parcs. Cette chanson, Folle Folle Folle, je l’avais en stock pour l’album précédent. Quand j’ai commencé à composer pour Cap Waller, j’avais Altesse, Que tu dis et Douves. Et puis je suis retombé sur Folle Folle Folle. Tout à coup, j’ai eu envie de l’incorporer au casting du disque. Ça me semblait évident. Alors qu’à l’époque de Parcs, elle ne s’intégrait pas du tout… Mais a posteriori, c’est vrai que ce morceau prend un peu la forme du centre nerveux de Cap Waller.

Ce Cap Waller, géographiquement, est un lieu qui n’existe pas. Que signifie cet endroit irréel pour vous ?
Belin : Pour moi, c’est un endroit réel. Je ne veux pas en faire un lieu imaginaire. C’est comme si c’était un cap dont on n’avait jamais entendu parler, mais qui existerait vraiment. Il ne s’agit pas d’un conte, ce n’est pas du Lewis Carroll. Ici, on n’est pas en présence d’un endroit merveilleux, étrange ou mystérieux. C’est simplement que j’avais envie d’appeler cet album par le nom de quelque chose qui pourrait symboliser le passage d’un état à un autre, comme un pont, un tunnel ou un cap. Parmi les caps existants, peu de noms me plaisaient. Ou alors ils étaient trop vite chargés de significations antérieures – le Cap Horn ou le Cap de Bonne-Espérance. J’ai donc cherché un nom qui pouvait apporter plus de virginité à l’idée de cap.

Dans la presse, on vous rapproche souvent d’Alain Bashung. Pour le meilleur ou pour le pire ?
Belin : Ce n’est pas quelque chose que je dénigre. L’héritage de Bashung est important. Même si je ne dispose d’aucun de ses albums chez moi, je peux affirmer que c’est un parallèle légitime. À certains égards du moins. Certains considèrent que c’est un bon signal de s’inscrire dans la lignée de Bashung. Ils y voient une relève. D’autres, au contraire, me jugent en imposteur. Mais bon, moi, je sais où est ma place dans tout ça. Même si je comprends qu’on me glisse plutôt dans cette catégorie-là que sous l’étiquette du « nouveau Renaud ».

Sur le disque, les thèmes de l’abandon et de l’isolement reviennent assez souvent. C’est d’ordre autobiographique ?
Belin : Je suis chanteur, je suis entouré, je ne suis pas quelqu’un qui vit en rupture de la société, dans la solitude ou le déclassement. Je crois que c’est ma position de citoyen qui me met au contact de gens dont c’est le lot quotidien. Je suis très sensible à la situation que vivent des centaines de milliers de personnes à Paris, la grande ville où je vis. Je suis extrêmement perméable à ces destins. Je m’interroge souvent sur la nature de leur regard, sur ce qui se déroule devant leurs yeux, le théâtre de la société qui continue de se dandiner devant eux.

BERTRAND BELIN
28/11, 19.30, Botanique, www.botanique.be

Ce concert est annulé ! Bertrand Belin revient au Botanique le 26 janvier.

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