Interview

David Numwami: ‘Je n’ai jamais eu envie de changer d’air’

Nicolas Alsteen
© BRUZZ
18/06/2021

Élégant, toujours souriant, David Numwami fausse compagnie à Sébastien Tellier et Charlotte Gainsbourg pour s'affirmer en solo. Entre pop moderne et chanson française, l'artiste bruxellois dévoile sa vision du monde : plaisir, délicatesse et extase à tous les étages.

David Numwami en quelques dates

1994. Naissance de David Nzeyimana au Rwanda, quelques mois avant le début du génocide.
2000. Premiers cours de solfège à Bruxelles.
2009. Le guitariste joue du Pink Floyd, du Frank Zappa ou The Allman Brothers dans un groupe de reprises.
2015. Publie un premier EP avec Le Colisée, un quatuor bruxellois branché mélodies éthérées.
2019. Enregistre l’album Concrete And Glass avec Nicolas Godin, la moitié du groupe Air.
2020. Le Bruxellois est sacré révélation de l’année lors des Red Bull Elektropedia Awards.
2021. Sort son album solo Numwami World.

Le retour du soleil, l’arrivée de l’été, le déconfinement : David Numwami sort de sa cachette au meilleur moment. Décontractée, chaleureuse et super rêveuse, sa musique se prête parfaitement à l’air du temps. Comme pour passer à autre chose, dilapider les frustrations et oublier les privations des derniers mois, les mélodies brodées sous la pochette de Numwami World distribuent des sourires au détour d’un piano ou d’une guitare en lévitation.

Dès les premières secondes du disque, une voix féminine invite d’ailleurs les auditeur.ice.s à pénétrer à l’intérieur de cette petite bulle de pop moderne. La voix en question évoque l’intelligence artificielle imaginée par Spike Jonze dans le film Her. Conçue pour tromper l’angoisse et feindre la passion, cette interface vocale venait rappeler une cruelle vérité : l’amour absolu s’adresse toujours à un partenaire fantasmé, à un être absent, mais ardemment désiré.

David Numwami - Beats! (Official)

David Numwami le sait mieux que quiconque. « Je suis né au Rwanda, une semaine avant le début du génocide », retrace le chanteur et multi-instrumentiste. « Pendant la guerre, j’ai perdu mon père. Heureusement, je ne me souviens de rien. J’étais trop petit. Pourtant, cet épisode a plané comme une ombre sur ma vie de famille. Mes sœurs et moi avons grandi sans notre papa, mais nous connaissons les raisons de son absence… Grandir en ayant une conscience aussi aiguë de la mort, c’est l’antithèse du bonheur. »

Un monde à part
C’est à Bruxelles que David Numwami découvre la guitare. « Au début, je détestais en jouer », dit-il. « À cause des cordes, j’avais des coupures sur le bout des doigts. Le sang coulait et je ne comprenais pas pourquoi je devais subir un tel sort. Ma mère m’a forcé à apprendre la musique… Elle avait lu dans un magazine que cela permettait d’apaiser les pulsions les plus extrêmes. Elle était persuadée que la guitare m’aiderait à lâcher prise. Entre l’école et l’académie, j’avais surtout l’impression de cumuler les obligations. »

Ma mère m’a forcé à apprendre la musique… Elle avait lu dans un magazine que cela permettait d’apaiser les pulsions les plus extrêmes

David Numwami

Le petit râleur remise finalement sa mauvaise humeur au placard en découvrant l’existence des rock stars. « À dix ans, j’ai pris une énorme claque en écoutant un morceau de Jimi Hendrix. C’était une révélation. Puis, j’ai capté qu’il y avait des groupes comme Bloc Party ou The Strokes. À partir de là, je ne pensais plus qu’à jouer de la guitare électrique. » Grâce à cet instrument, David Numwami s’invente un univers parallèle. « C’était comme un portail vers un monde réconfortant. Chaque jour, après les cours, je me précipitais dans ma chambre et je jouais jusqu’à m’endormir avec ma guitare. C’était ma meilleure amie. À ses côtés, j’avais la garantie de passer du bon temps. Aujourd’hui encore, dès que je me réveille, mon premier réflexe, c’est de plaquer quelques accords. Il s’agit d’une bonne façon d’échapper aux problèmes du quotidien. C’est exactement ce que je raconte dans le morceau ‘Beats!’. Mon nouveau disque procède du même délire : Numwami World, c’est le lieu dans lequel je me réfugie. C’est le monde parallèle dans lequel j’ai grandi. »

David ou Numwami ?
Le monde de David Numwami s’est construit au contact des autres. Après une expédition collective avec son groupe (Le Colisée), le multi-instrumentiste bruxellois a mis sa polyvalence au service des chansons de Frànçois and The Atlas Mountains, Sébastien Tellier, Charlotte Gainsbourg ou Nicolas Godin. « Cette dernière collaboration m’a ouvert les yeux », explique David Numwami. « Les albums que Nicolas a enregistrés avec Air reposent, tous, sur des choix judicieux. Grâce à Nicolas Godin, j’ai capté un truc essentiel : un bon morceau tient avant tout aux ingrédients choisis. C’est comme la cuisine italienne. Très simple sur papier, mais d’une grande précision dans la recette. Par le passé, j’avais tendance à multiplier les prises, à empiler différentes versions d’un même morceau... Nicolas Godin, lui, ne conserve absolument rien. Il va à l’essentiel. J’ai reporté son exigence sur mon propre travail. »

1758 David Numwami2

« 'Numwami World', c’est le lieu dans lequel je me réfugie. C’est le monde parallèle dans lequel j’ai grandi », dit l'artiste en évoquant le titre de son premier album solo.

Accompagnateur privilégié des stars françaises à l’étranger, le Belge profite des tournées internationales pour façonner les contours de sa carrière solo. « Entre deux concerts, j’enregistrais mes démos dans des chambres d’hôtel. Puisque j’avais composé tout seul, j’ai pris la décision d’assumer les chansons en solitaire. Au début, je voulais les jouer sous le nom de Davidou. Mais mon entourage professionnel m’en a dissuadé. Comme je ne voulais pas me présenter sous ma véritable identité, j’ai opté pour Numwami. En fait, il s’agit de mon nom de naissance. Mais il était très connoté Tutsi. Par sécurité, mes parents l’avaient remplacé à l’état civil… »

La vie en prime time
David Numwami inaugure aujourd’hui sa discographie avec l’allant d’un jeune rookie. Dans les faits, pourtant, l’artiste maîtrise les ficelles du métier tel un vieux briscard. À 27 ans, le Bruxellois s’est déjà produit au Primavera Sound ou sur la grande scène du festival Coachella. « Dans ma carrière, j’ai eu la chance d’entrevoir ce qui pourrait, éventuellement, m’arriver. En accompagnant Charlotte Gainsbourg en tournée, j’ai suivi un cours préparatoire au succès. Aller jouer sur des plateaux de télévision en prime time, par exemple, ça permet d’appréhender les rouages du système. Ces rendez-vous médiatiques peuvent avoir un côté hyper déstabilisant. Moi, j’ai eu la chance de les vivre de façon détachée. Récemment, je suis retourné sur un plateau télé pour parler de ma musique. J’y suis allé sans stress. »

La pression, pourtant, David Numwami connaît. « Certains morceaux du disque ont déjà quelques années au compteur. Mais je n’osais pas les sortir. Je nourrissais une certaine appréhension. D’une part, il y avait la peur d’être jugé par le public. D’autre part, il y avait l’obligation d’assumer les chansons. Quand j’ai sorti le clip du morceau ‘Beats!’, la pression est retombée. Les gens semblaient apprécier. Il n’y avait donc plus aucune raison d’angoisser. Désormais, je prends les choses comme elles viennent, tout simplement. »

1758 David Numwami1

Entre mélodies du cœur chantées en anglais (‘Milky Way’) et ritournelles fredonnées en français (‘Thema’), David Numwami embarque toute sa fantaisie dans la mélodie de ‘Bruxelles - Sud’, morceau itinérant et gentiment mélancolique.

Bruxelles ma belle
Entre mélodies du cœur chantées en anglais (‘Milky Way’) et ritournelles fredonnées en français (‘Thema’), David Numwami embarque toute sa fantaisie dans la mélodie de ‘Bruxelles - Sud’, morceau itinérant et gentiment mélancolique. « Cette chanson évoque le retour aux sources, à l’amour, aux amis. C’est un titre à mettre en perspective avec mes tournées à l’étranger. Quand j’arrive avec ma valise à la gare du Midi, je me sens bien. Malgré les concerts à l’autre bout du monde, je n’ai jamais eu envie de changer d’air. Bruxelles, c’est vraiment la ville que j’aime. L’ambiance, les lumières, l’odeur, les gens : ici, tout me plaît bien plus qu’ailleurs. »

DAVID NUMWAMI: NUMWAMI WORLD
19/6, 21.00, Cirque Royal,
www.fetedelamusique.be
Sortie: 18/6

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