Interview

Le son de vie de Roméo Elvis : ‘Aujourd’hui, je joue cartes sur table à tous les niveaux’

Nicolas Alsteen
© BRUZZ
02/06/2022

Disparu des écrans radar et des réseaux sociaux au lendemain d’un triste passage par une cabine d’essayage, Roméo Elvis revient dans l’actualité avec un costard taillé de toutes parts. Fruit d’une solide remise en question, son deuxième album confesse erreurs et errances du passé avec le regard tourné vers l’avenir. Toujours impardonnable, mais désormais transfiguré et marié, l’artiste met le cap sur un disque sincère. Interview sans langue de bois.

Roméo Elvis en quelques dates

Fils de Laurence Bibot et de Marka, Roméo, Johnny, Elvis, Kiki Van Laeken est né à Uccle, le 13 décembre 1992.
Il s’essaie d’abord au rap en solo ou en compagnie des copains de L’Or du Commun .
En 2013, Roméo collabore avec Le Motel sur deux volumes de Morale et signe le tube « Bruxelles arrive » avec Caballero.
En 2019 sort l’album Chocolat avec des invités comme Damon Albarn, Zwangere Guy ou -M- et fait ses débuts au cinéma dans Mandibules de Quentin Dupieux.
Septembre 2020, le rappeur est accusé d’agression sexuelle.
Mai 2022, sortie de son deuxième album solo intitulé Tout Peut Arriver .

Maillot de foot du RWDM sur le dos, Roméo Elvis monte sur le terrain afin de répondre à nos questions. « TPA » tatoué sur l’avant-bras pour ne rien oublier, l’artiste le sait : « Tout Peut Arriver ». Le meilleur comme le pire. Du succès à la déchéance, du soleil à l’éclipse totale, la vie du rappeur se raconte aujourd’hui en musique. Parti de Linkebeek pour bosser comme caissier dans un supermarché, le frère d’Angèle trouve sa voie et son flow aux côtés de L’Or du Commun dès 2013. Cette expérience collective lui sert de tremplin vers les sommets. Célébré en Belgique, en France et à l’étranger, il devient le fer de lance du rap bruxellois. Rien ne semble pouvoir l’arrêter… Le 8 septembre 2020 pourtant, un post Instagram met un coup d’arrêt à son ascension. Accusé d’agression sexuelle dans une cabine d’essayage, l’artiste reconnaît les faits... Ses excuses publiques n’y changeront rien. Le retour de bâton est immédiat : de nombreux sponsors lâchent le Bruxellois qui, fort logiquement, voit le petit croco Lacoste lui filer entre les doigts, tout comme sa collaboration avec le chocolatier Galler. Dans le même temps, Damso renonce à un duo prévu de longue date. Persona non grata, Roméo Elvis s’efface alors du monde et des réseaux sociaux. Vingt mois plus tard, le rappeur refait surface sur la Grand-Place de Bruxelles lors d’un concert surprise. Dans le pogo, les fans sont (toujours) là, le bourgmestre aussi. Venu tester sa cote de popularité à la veille d’une date en petit comité prévue au Botanique, Roméo Elvis dévoile le contenu de son deuxième album. Conçu au plus près du cœur et en compagnie de différents producteurs (Myd, Vynk, JeanJass, Vladimir Cauchemar, DeeEye, etc.), le nouveau Tout Peut Arriver pose des mots sur une véritable traversée du désert… Entre aveux et remise en question, ironie (du sort) et sens de la répartie, Roméo Elvis délivre son projet le plus personnel.

En septembre 2020, vous êtes accusé d’attentat à la pudeur. Cet épisode a-t-il changé votre rapport au monde ?
Roméo Elvis :
Cet événement est à l’origine d’une profonde remise en question. Je déteste m’entendre dire ça, parce que cela laisse supposer qu’il fallait que tout ceci arrive. Alors que non, clairement, ça n’aurait jamais dû se passer… Quand on foire comme je l’ai fait, il faut supporter le poids de ses responsabilités. À partir du moment où je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même, il était nécessaire de piger comment j’en étais arrivé là... Déjà, il y avait des soucis dans mon comportement. De l’extérieur, ce n’était pas spécialement visible. Mais intérieurement, j’étais sérieusement détraqué : j’avais le sentiment d’avoir les pleins pouvoirs et la toute-puissance. J’étais seul dans ma tour d’ivoire, complètement déconnecté des réalités du monde. Quand j’ai capté tout ça, j’ai vécu l’enfer. Puis, je me suis fait lâcher de toutes parts. Cette vague de désolidarisation m’a plongé dans un puits de solitude. Pour remonter la pente, j’ai dû comptabiliser la somme de mes défauts et compter sur la solidité de mon entourage. Ma femme et mes potes m’ont aidé à trouver la force d’avancer.

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Dans « 3 cafés », vous parlez justement du besoin de faire un tri dans votre cercle amical. Par ailleurs, la chanson contient un sample de Frédéric Courant (Fred dans l’émission C’est pas sorcier) qui évoque le tri des déchets. Après avoir plaidé massivement en faveur de la gourde, la pochette de TPA vous montre en train de boire à la paille dans un gobelet en plastique. N’est-ce pas un brin paradoxal ?
Roméo Elvis :
Sur cette pochette, mon personnage a le regard perdu dans le vide, un peu comme s’il regardait passivement la fin du monde depuis son environnement aseptisé. L’idée est de confronter l’omniprésence du plastique à la couleur verte qui, artificiellement, vient évoquer la nature. Ce visuel souligne nos inactions, notre incapacité à gérer la pollution. Au niveau de l’engagement écologique, j’ai changé mon fusil d’épaule. Désormais, je préfère m’investir à travers mes chansons plutôt que dans des actions. Je suis très heureux de la campagne menée en faveur de la gourde. Mais dans mon processus de remise en question, je me suis rendu compte d’une incohérence : je ne peux pas vendre des milliers de gourdes, tout en prétendant m’investir dans une bonne action. Ce double-jeu ne fonctionne pas. Parce qu’au fond, vendre des gourdes, c’est mener une entreprise commerciale. Aujourd’hui, je joue cartes sur table à tous les niveaux. Dès lors, pas question de sombrer dans le greenwashing.

Avez-vous parfois l’impression de vous être perdu dans la jungle mainstream ?
Roméo Elvis :
Réussir dans la musique, c’est se confronter aux aléas du succès, aux chiffres de vente. C’est un phénomène vicieux qui tend à modifier les comportements d’une personne. Je suis bien placé pour le savoir… À un certain niveau de succès, il y a inévitablement des formes de calculs qui viennent ébranler la spontanéité des débuts. Aujourd’hui, j’ai le sentiment de revenir à une formule spontanée, plus proche de celle de Morale. Le secret pour y arriver ? Ne surtout pas penser à l’argent…

Chaque morceau de l’album enferme des indices sur l’évolution de votre mode de vie. Dans le morceau d’ouverture (« Flanchin »), par exemple, vous dites : « J’ai placé ma frustration en agglomération... » La vie dans le centre-ville bruxellois, c’est terminé ?
Roméo Elvis :
Voilà deux mois que j’ai quitté Forest pour vivre dans une maison située à deux pas de Bruxelles. À un moment, je devais franchir un cap et quitter ma chambre d’ado. L’environnement étriqué dans lequel j’évoluais ne me permettait plus d’avancer, de grandir, de changer. La crise sanitaire a précipité ma décision. Pendant le confinement, je rêvais de grands espaces et, surtout, d’un jardin. D’un point de vue personnel et médiatique, j’avais surexploité les capacités de mon petit appartement. Toute ma vie tournait autour de cet endroit. Je suis incapable de dénombrer la quantité de story Insta postées depuis mon premier appartement…

« Pendant un an, j’ai juste arrêté d’être Roméo Elvis. J’ai mis mon personnage public au placard pour prendre le temps de tout remettre en question »

Roméo Elvis

Instagram a longtemps été un atout dans la construction de votre carrière. Jusqu’au jour où la machine s’est retournée contre vous. Au point de devenir un élément destructeur. Votre rapport aux réseaux sociaux a-t-il changé ?
Roméo Elvis :
À chaque fois que je prends une photo ou que je fais une vidéo, j’ai encore envie de la poster immédiatement sur Instagram. Mais désormais, je ne poste plus rien dans l’instant, sans réfléchir… Depuis peu, j’entrevois les bons et les mauvais côtés des réseaux sociaux, des médias et, plus largement, de la célébrité. Ces dernières années, j’ai été terriblement naïf et, pour ne rien arranger, j’avais pris la grosse tête. La confiance en soi débordait largement du cadre. L’ego avait pris le dessus sur ma personnalité… Évidemment, c’est facile de dire tout ça a posteriori. Parce qu’il faut bien admettre que les réseaux sociaux m’ont aidé à construire un personnage. Mais la réalité est venue me rappeler qu’il était nécessaire de m’en détacher. Pendant un an, j’ai juste arrêté d’être Roméo Elvis. J’ai mis mon personnage public au placard pour prendre le temps de tout remettre en question.

Le morceau « Rappeur Préféré » est une sorte de règlement de compte ironique, sur fond de name-dropping. Les noms de Kylian Mbappé, Omar Sy, Nekfeu ou Angèle sont notamment cités pour jauger votre cote de popularité. La notoriété, ça reste un objectif ?
Roméo Elvis :
C’est un phénomène qui concerne tout le milieu artistique. Mais personne ne l’assume... Dans les faits, pourtant, les artistes se livrent une concurrence de chaque instant. La vérité ? C’est que ça fait chier de voir les autres réussir ! Celles et ceux qui disent le contraire mentent comme des arracheurs de dents. J’en ai déjà discuté avec ma sœur ou Lomepal, c’est pareil pour eux. Nous sommes habités par l’envie de plaire, de rencontrer le succès. C’est pour ça que nous sommes là, que nous avons tout sacrifié pour y arriver.

« Nous sommes habités par l’envie de plaire, de rencontrer le succès. C’est pour ça que nous sommes là, que nous avons tout sacrifié pour y arriver »

Roméo Elvis

Dans le titre « Fin du monde », vous évoquez la date de votre union avec la mannequin Lena Simonne. Que représente le mariage à vos yeux ?
Roméo Elvis :
Le mariage est une source de stabilité. Il s’agit d’une promesse à l’autre : faire notre vie ensemble et tout donner pour aller jusqu’au bout à deux. Aujourd’hui, quand je parle de Lena, je ne dis plus « ma copine », mais « mon épouse »). C’est un changement de statut, mais aussi une autre réalité. Le mariage n’est clairement pas la solution à tous les problèmes, mais c’est un engagement sur le long terme. Depuis notre union, je ne tourne plus autour de mon nombril. Je pense d’abord à mon couple, à Lena.

Dans « Kalimba », il est aussi question de paternité. À la veille de la trentaine, c’est un sujet qui vous préoccupe ?
Roméo Elvis :
Autour de moi, plusieurs potes sont devenus papas. Je suis impatient de vivre cette expérience. D’autant que j’ai toujours eu un rapport hyper sain, naturel et facile avec les enfants. J’arrive à un stade de ma vie où je ressens un besoin de transmission. J’ai envie de donner du bonheur, des émotions, de partager mes connaissances. Quand j’étais petit, mes parents m’emmenaient voir des expos au musée, des films au cinéma. Ils m’ont donné accès à la culture, à l’humour, à la musique. J’ai accumulé des tonnes d’informations. Aujourd’hui, je n’ai plus envie de les garder pour moi. J’ai envie de partager tout ça en famille, de redistribuer tout ce qu’on m’a offert par le passé.

Votre album est disponible depuis quelques jours dans quatre versions différentes. Pourquoi sortir ce disque sous quatre pochettes différentes ?
Roméo Elvis :
En 2022, les gens écoutent la musique via les plateformes numériques, mais ils restent encore attachés au support physique. À titre personnel, j’utilise Spotify du matin au soir. Mais dès que je kiffe un truc, je me procure directement un CD ou un vinyle. Quand j’écoute ces supports à la maison, j’ai l’impression de passer un moment privilégié avec l’artiste. Puis, voir qu’un mec comme Orelsan vend encore des milliers de disques physiques, c’est un signe encourageant. Tout Peut Arriver existe dans une version Foot, une version Bx, une version standard et une version Acrylique. Ces quatre variantes en disent long sur ma personnalité. J’aime Bruxelles, je suis fan de foot et j’adore peindre et dessiner.

Roméo Elvis

Durant la période Chocolat, vous avez fait vos débuts au cinéma dans Mandibules, un film de Quentin Dupieux. Est-ce le début d’une grande carrière d’acteur ?
Roméo Elvis :
Je ne me sens pas légitime dans le monde du cinéma. En tant que rappeur, je connais mon taf. Mais je ne prétends pas connaître celui des autres. Moi, les Youtubeurs qui font de la musique, par exemple, ça m’agace. Les actrices et les acteurs, il faut les voir en action pour le croire. Adèle Exarchopoulos, par exemple, c’est une machine de guerre ! Moi, en comparaison, je ne vaux rien. Quentin Dupieux m’a juste demandé de jouer mon rôle. Ma seule composition, c’était d’avoir une mèche de cheveux de travers et de m’appeler Serge, comme mon père. Depuis cette apparition dans Mandibules, on m’a proposé d’autres rôles dans des films d’auteur. J’ai décliné parce que je ne me reconnaissais dans aucun personnage. Dernièrement, j’ai refusé de jouer le Cardinal de Richelieu dans Les Trois Mousquetaires. Je trouvais ça étrange de revenir avec un nouvel album de rap et d’être déguisé en évêque à l’écran.

Le disque précédent contenait des collaborations avec des pointures comme Damon Albarn ou Matthieu Chedid (-M-). Cette fois, tout l’album découle d’une performance solitaire. Comment expliquer l’absence d’invités ?
Roméo Elvis :
À la base, je me voyais bien revenir avec des collaborations. Mais plus j’écrivais, plus je développais mes propres productions et moins je me voyais partager tout ça avec une personne extérieure. Certains sujets abordés ici sont très intimes. C’est un disque sans filtre. J’y vais en solo, à cœur ouvert, sans auto-tune ni featurings. C’est sincère et serein. C’est avec ce deuxième album que le public va en apprendre le plus sur moi. Parce que j’ai pris le temps de faire le point...

Lisez-vous encore les coupures de presse et interviews qui vous sont consacrées ?
Roméo Elvis :
Depuis septembre 2020, je suis incapable de me lire, de me voir ou de m’écouter dans les médias. Il y a une partie de moi qui me dégoûte. J’espère que ça va passer. Là, je suis dans une phase de destruction de l’ego. J’ai l’impression d’être sur la bonne voie. Mais je sais qu’il y a encore du chemin à parcourir...

ROMÉO ELVIS
TPA est sorti le 27/5 (STRAUSS Entertainment/ Universal)
7/6, 19.30, Botanique, www.botanique.be

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