Interview

Smahlo : Congo with the flow

Nicolas Alsteen
© BRUZZ
29/06/2022

Corps d’ogre, cœur d’ange, Smahlo s’invite en ouverture du festival Congolisation. Élevé dans la foi et la spiritualité, l’artiste bruxellois offre une nouvelle vie au gospel africain via quelques détours par le rap, la soul et la chanson française. Convié aux célébrations des 60 ans d’indépendance du Congo, cet héritier de Franco Luambo et Koffi Olomidé s’impose désormais comme l’une des voix les plus captivantes de sa génération.

Smahlo en quelques dates

1997 : Naissance à la maternité d’Ixelles.
2004 : Début dans les chœurs de Malaika, chorale d’enfants de l’église protestante.
2005 : Premiers cours de batterie à l’académie de musique.
2009 : Smahlo découvre le Congo lors d’un voyage en famille.
2012 : Fan absolu de Shaquille O’Neal, le musicien s’inscrit dans un club de basket.
2014 : Smahlo enregistre ses premières démos dans un véritable studio.
2021 : L’artiste signe un contrat avec le label Wagram Music (-M-, Orelsan, etc.).

Le 30 juin 1960: campé dans un costume d’une blancheur aveuglante, le Roi Baudouin écoute attentivement le discours prononcé par l’homme qui se tient debout à ses côtés. Droit, imperturbable, Patrice Lumumba ne mâche pas ses mots. Déclaration d’indépendance, mais aussi critique virulente du colonialisme, l’allocution du Premier Ministre entre à jamais dans l’histoire, redéfinissant au passage les relations entre la Belgique et le Congo. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts…
Du côté de Bruxelles, Congolisation rattrape d’ailleurs le temps sacrifié à la pandémie pour enfin commémorer le 60ème anniversaire de l’indépendance. Festival multidisciplinaire jalonné d’expos, de théâtre, de danse, mais aussi de conférences et de musique, l’événement expose, trois jours durant, toute la diversité artistique de la diaspora congolaise. Installé aux abords de la place du Jeu de Balle, Smahlo s’apprête à participer à la fête.
À la veille de ses 25 ans, l’artiste bruxellois se profile comme l’une des plus belles promesses de sa génération. Signé sur le même label qu’OrelSan, cet enfant de l’immigration fusionne les forces vives de sa culture familiale pour servir une musique connectée aux réalités de sa ville natale. Le regard tourné vers l’avenir, le chanteur belgo-congolais s’attable avec Bruzz le temps d’une interview servie sous un soleil de plomb. Chaud devant !

1806 Smahlo

Le festival Congolisation est un événement hautement symbolique. Que représente-t-il à vos yeux ?
Smahlo :
C’est avant tout une fabuleuse plateforme d’expression artistique pour toutes les personnes issues de la diaspora. C’est une belle occasion de partager nos traditions et notre culture avec un public venu de Belgique ou d’ailleurs. En ce qui me concerne, je joue un concert ce 30 juin à La Madeleine. La date est importante, le lieu aussi. Me produire dans une salle aussi prestigieuse le jour des commémorations de l’indépendance, ça me touche. Parce que j’ai grandi dans une famille dont les racines sont profondément ancrées au Congo. Mais je suis né ici, en Belgique. J’ai grandi en écoutant les musiques de Jacques Brel et de Papa Wemba. Je me situe au carrefour de deux cultures.

Avez-vous hésité un instant avant de prendre part au festival Congolisation ?
Smahlo :
La proposition des organisateurs est arrivée au moment où je préparais mon propre anniversaire. Cette semaine, je fête mes 25 ans ! Un quart de siècle, ce n’est pas rien... Alors, oui, j’ai hésité quelques minutes. Car je comptais organiser un repas avec toute ma famille le jour de la date proposée pour Congolisation. Cela étant, je n’ai pas tergiversé bien longtemps. Je me devais de participer à cette manifestation. Pour un enfant de la diaspora congolaise, c’est un événement important, un rendez-vous riche de sens.

« Comme tous les artistes d’origine congolaise, je rêve de me produire un jour au stade des Martyrs, à Kinshasa »

Smahlo

Il y a quelques jours, la Reine Mathilde et le Roi Philippe sont rentrés d’un voyage offi ciel en République démocratique du Congo. Quel regard portez-vous sur l’évolution des relations entre la Belgique et son ancienne colonie ?
Smahlo : Nous sommes désormais engagés dans la bonne direction. Depuis l’indépendance, en 1960, les relations entre les deux pays n’ont pas toujours été au beau fixe. Certains chapitres du récit ne sont pas glorieux... Mais aujourd’hui, nous cherchons à nous comprendre. Le Congo et la Belgique ont tout intérêt à s’unir et coopérer. Je vois donc cette visite royale d’un bon œil. C’est une image positive. À titre personnel, je n’ai pas vécu les réalités de la colonisation. Je connais les histoires racontées par les anciens. Mais je pense que ma génération n’a aucune raison de nourrir des ressentiments. Nous nous devons d’aller de l’avant, de prôner l’union et le pardon. Ressasser de vieilles rancœurs, pour les gens de mon âge, ça n’a franchement aucun intérêt. Pour qu’un pays se développe, il est tenu d’avancer sur des bases saines et constructives. La diaspora congolaise doit être le miroir de cet état d’esprit.

Votre nom de scène fait allusion à votre ressemblance physique avec The Notorious B.I.G., alias Biggie Smalls. C’est aussi une référence à la notion de pardon (« smahli » en arabe). À vos yeux, est-ce important de cultiver l’indulgence ?
Smahlo : Je suis un homme de paix. Je sais très bien que les guerres ne mènent à rien. Au quotidien, j’ai parfois tendance à m’emporter face à des situations agaçantes ou déplaisantes. Je suis irritable et impulsif, mais aussi très conscient et compréhensif. Ça peut sembler paradoxal. Pourtant, c’est la base de mon équilibre. Je m’énerve vite, mais je me calme rapidement.

Votre mère était cheffe de chœur dans une chorale gospel. Quelle place occupe cette musique dans vos chansons ?
Smahlo : Le gospel joue un rôle essentiel dans mon équilibre spirituel. Je n’en parle pas sur les réseaux sociaux, mais la religion occupe une place importante dans ma vie. En Afrique, le gospel témoigne de la ferveur des croyants. C’est un style musical très présent au Congo, en Afrique du Sud ou au Nigéria. Cette façon de louer le Seigneur me connecte aux chants sacrés de mes ancêtres. Cela me touche au plus profond de mon être. C’est une émotion assez indescriptible que je cherche à transposer au cœur de mes propres compos.

Avez-vous grandi en écoutant de la musique congolaise ?
Smahlo : La musique populaire congolaise est arrivée assez tardivement dans ma vie. Je devais avoir dix ans quand j’ai découvert Papa Wemba, par exemple. Ma mère ne jurait que par le gospel. Pour elle, toutes les autres formes de musique relevaient du profane. Les paroles des chansons de Koffi Olomidé lui semblaient ridicules et insignifiantes. À la maison, il s’agissait avant tout de « marcher droit » ! C’est mon père qui m’a finalement donné l’opportunité de découvrir des artistes comme Franco Luambo ou Papa Wemba.

Retrouve-t-on des infl uences congolaises dans votre musique ?
Smahlo : Bien sûr. Un morceau comme « Scénario », par exemple, s’abreuve à la source de mon expérience en chorale. En grattant un peu, on peut aussi y trouver des clins d’œil à Mike Kalambay ou Matou Samuel, deux chanteurs pour lesquels j’éprouve le plus grand respect.

Avez-vous déjà voyagé en République démocratique du Congo ?
Smahlo : Je rends régulièrement visite à ma famille au Congo. La première fois que j’y suis allé, j’avais onze ans. Jusqu’alors, ma vision du pays tenait aux quelques anecdotes racontées par mon père qui, durant le règne de Mobutu, était intégré dans l’armée. Mon père a très mal vécu les années de dictature... Au-delà de ça, mes parents sont toujours restés discrets là-dessus. J’ai donc grandi à l’écart des clichés et des généralités sur le Congo. Quand j’y suis allé, je me suis approprié les réalités locales par mes propres moyens.

Rêvez-vous de jouer des concerts dans le pays de vos parents ?
Smahlo : Comme tous les artistes d’origine congolaise, je rêve de me produire un jour au stade des Martyrs, à Kinshasa. C’est là que l’équipe nationale de foot joue ses matchs officiels. L’endroit est aussi connu pour ses concerts mythiques. Koffi Olomidé, Werrason ou Papa Wemba s’y sont notamment produits devant 60.000 personnes. Jouer là-bas, ce serait ma plus grande fierté.

« Écrire de bonnes chansons et véhiculer des émotions, c’est une chose. Mais il faut aussi être en mesure de s’imposer dans la durée. Cela demande de la discipline et des efforts quotidiens »

Smahlo

Pour plusieurs médias, vous êtes la relève du hip-hop bruxellois. Pourtant, vous évitez volontiers de vous présenter en tant que rappeur. Pourquoi ?
Smahlo : Les gens m’associent bien souvent au rap. Ça ne me dérange pas spécialement, mais ça reste un peu réducteur. À titre personnel, je suis ouvert à tous les styles musicaux. Mes sources d’inspiration sont à chercher dans la soul, le gospel, le rap ou la chanson française. Quand je compose, je ne m’enferme jamais dans un genre en particulier. Je laisse libre cours à mes intuitions. D’ailleurs, quand il s’agit d’évoquer mon métier, je ne me présente jamais comme un chanteur, mais plutôt comme un artiste. Je pense que c’est plus proche de la vérité.

Depuis peu, votre nom est associé à 3e Bureau, filiale du groupe Wagram Music. Être signé sur le même label qu’OrelSan, c’est une forme de pression ?
Smahlo : Plutôt une source de motivation. En tant qu’artiste, je rêve de parcourir le monde et de partager ma musique avec le plus grand nombre. Pour y arriver, le label 3e Bureau est un bon partenaire. Après quelques mois de travail, je peux déjà observer des changements. Sur les plateformes de streaming, par exemple, mon audience plafonnait jusqu’alors à 2 000 écoutes par mois. Désormais, je peux compter sur 50 000 auditeurs mensuels. Sur YouTube, je progresse aussi. Avant, mes vidéos atteignaient péniblement les 50 000 vues. Aujourd’hui, mes clips touchent près de 500 000 personnes. Je pense donc avoir fait le bon choix en signant un contrat avec cette structure.

Existe-t-il une recette pour percer dans l’industrie musicale ?
Smahlo : Je n’en connais qu’une : ne pas baisser les bras. Certains pensent que la musique est un métier un peu frivole, voire facile. C’est tout le contraire. Écrire de bonnes chansons et véhiculer des émotions, c’est une chose. Mais il faut aussi être en mesure de s’imposer dans la durée. Cela demande de la discipline et des efforts quotidiens. Il faut donc rester solide et confiant, croire en soi et en ses qualités. Sans jamais douter.

FESTIVAL CONGOLISATION
30/6, 20.00, La Madeleine, www.la-madeleine.be

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