Ibeyi : sœurs complémentaires

Tom Peeters
© Agenda Magazine
25/02/2015
(© Flavien Prioreau)

La mort, la vie, la tradition, la famille : ce ne sont probablement pas les thèmes préférés des adolescentes. Mais les jumelles franco-cubaines Lisa-Kaindé et Naomi Díaz, alias Ibeyi, les emballent dans leur électro-spirituals très soul avec tellement de fraîcheur et d’inventivité qu’on n’en a jamais assez.

Les choses sont claires : ces deux jeunes filles de 19 ans sont des jumelles. Non seulement Ibeyi signifie « jumelles » en yoruba, la langue africaine qu’elles mettent à l’honneur dans leur musique, mais elles se complètent aussi joyeusement les phrases et les pensées l’une de l’autre. Pourtant, leurs caractères semblent diamétralement opposés. Naomi (à droite), qui prend en charge les rythmes, la production et la seconde voix, est la plus intuitive des deux. Son amour du hip-hop et de l’elektronika contraste avec le faible que Lisa-Kaindé, chanteuse et compositrice, plus rationnelle et plus posée, a pour la soul et le jazz des origines. Ensemble, elles plongent sur leur premier album dans les secrets de la culture yoruba que leur a transmis pendant leur jeunesse à Paris leur mère vénézuélienne, qui les accompagne aujourd’hui en tant que manager. « Elle chantait les chansons qui ont traversé l’océan il y a plusieurs siècles avec les esclaves qu’on transportait du Nigeria et du Bénin vers Cuba », explique Lisa-Kaindé. Encore plus que leur célèbre père, Miguel « Anga » Díaz, conguero acclamé notamment au sein du Buena Vista Social Club, c’est elle qui a jalonné la vie de ses filles. « Nous avions 11 ans lorsque papa est subitement décédé d’une crise cardiaque », dit Naomi. « Heureusement, dès nos 2 ans, maman nous a toujours emmenées à ses concerts. Je nous vois encore assises dans la poussette au milieu des mélomanes. Ce sont de beaux souvenirs ».

La première chose qui me frappe, c’est que vous êtes encore très jeunes et pourtant vous abordez des thèmes durs, qui exigent beaucoup d’introspection.
Lisa-Kaindé Díaz : Ce n’est pas si étrange quand on a perdu très jeune certains membres très proches de sa famille.
Naomi Díaz : Deux ans après papa, nous avons aussi perdu notre sœur aînée Yanira. C’est ce qui explique que notre regard sur la mort est différent de celui de la plupart des gens de notre âge. Mais ça ne nous a pas effrayées.
Lisa-Kaindé : Au contraire. On arrive toujours à tirer quelque chose de positif d’un grand chagrin, pour ensuite réussir quand même aller de l’avant.
La musique vous aide dans ce processus ?
Lisa-Kaindé : Oui, on ne peut pas le nier. Chasser la douleur en chantant a toujours été la meilleure thérapie pour nous.
Naomi : À Cuba, tout le monde danse et chante. Je ne peux pas imaginer la vie sans musique.
Lisa-Kaindé : Ça fait tout simplement partie de notre vie. Avant, je voulais devenir prof de musique, mais ça, c’est encore mieux.

C’est grâce au clip live de Mama Says qu’on vous a proposé un contrat ?
Lisa-Kaindé : Oui. Quelqu’un a mis le clip sur Internet et Richard Russell, le grand patron de XL, l’a vu. Quand maman a dit qu’il avait téléphoné et qu’il voulait nous rencontrer, on a dit : « c’est qui ? » (Rires) C’est seulement quand on a tapé son nom sur Google qu’on a découvert qu’il avait travaillé avec Radiohead, The xx et Gil Scott-Heron. Et lorsqu’on l’a rencontré....
Naomi : ... on a su que c’était lui...
Lisa-Kaindé : ... qui produirait notre disque.

Qui est Oya de la chanson qui porte ce titre ?
Lisa-Kaindé : C’est la déesse du vent mais aussi des cimetières chez les Yorubas. Je chante « Take me Oya, je ne veux plus, si je ne peux pas être près de toi, je trouve que la vie ne vaut pas la peine ». Ça a peut-être l’air déprimant, mais ça ne l’est pas. C’était ma manière de faire mes adieux à quelqu’un que j’aimais. Au moment où j’ai écrit cette chanson, j’étais très mal, mais lorsque je l’ai terminée, j’ai soudain eu le sentiment que j’avais surmonté ça.

Est-ce toujours facile de comprendre les textes de ta sœur, Naomi ?
Naomi : Pas toujours, mais dans l’ensemble oui. Même si c’est souvent très personnel. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui peuvent se reconnaître dans ce que Lisa écrit.
Lisa-Kaindé : Mes textes ne sont pas vraiment très compliqués. Une chanson d’adieu comme Think Of You, que j’ai écrite en hommage à mon père, pourrait aussi concerner d’autres personnes.
Naomi : Nous chantons parfois en yoruba mais je n’ai pas l’impression qu’il faut vraiment comprendre cette langue pour sentir ce qui est chanté. Ça nous touche de toute façon.
Quels sont vos autres projets, en dehors de la tournée qui suit cet album de la révélation ?
Lisa-Kaindé : Nous avons déjà plein d’idées pour un prochain album. Ma sœur voudrait y impliquer un rappeur et moi je voudrais collaborer avec des rockeurs et des musiciens de soul. Richard le produira à nouveau. Peut-être qu’on expérimentera plus avec l’elektronika. On continuera de toute manière à explorer le patrimoine yoruba. Je voudrais mêler le côté plus commercial de la pop avec ce qu’il y a de plus profond et de bizarre en nous.
Naomi : Et surtout, on voudrait faire des albums qu’on trouve nous-mêmes bons.

Juste avant votre premier concert en Belgique, à l’Archiduc l’automne dernier, vous avez allumé des bougies. Vous faites ça lors de chaque concert ?
Naomi : Oui, et il y en a toujours deux : une pour notre sœur et une pour papa. Nous sommes aussi à deux. Ça fait longtemps qu’on fait ça et on trouve ça bien.

Pour finir, de quel trait de caractère êtes-vous jalouse l’une de l’autre ?
Lisa-Kaindé : Du côté intuitif de Naomi !
Naomi : Et moi du côté rationnel de Lisa ! Ne serait-ce pas l’idéal d’avoir un peu des deux ?

Mais c’est justement l’interaction entre ces deux extrêmes qui est votre plus grand atout. Ne changez rien !

IBEYI • 2/3, 20.00, SOLD OUT!, Ancienne Belgique, boulevard Anspachlaan 110, Brussel/Bruxelles, 02-548.24.24, www.abconcerts.be

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