Steve Michiels : Crépuscule civil

Kurt Snoekx
© Agenda Magazine
03/10/2013
Steve Michiels ne lésine pas sur le nombre de godemichés dans sa B.D. - ou s’agit-il plutôt d’une « étude d’art » ? – Crépuscule civil. Même si la mention « Nudity inside » sur la couverture ne fait pas seulement référence aux soirées Tupperware un peu particulières d’une société bourgeoise bien nourrie et assoupie. Un coup d’œil derrière le rideau d’un artiste en dieu plein de doutes.
B.D. | Crépuscule civil ●●●
Steve Michiels Frémok, 164 p., €22

Après les exploits absurdes du Cowboy Henk de Kama & Seele, ce sont aujourd’hui les escapades civiles de Steve Michiels qui causent pas mal de remous dans ce lieu de perdition que la plate-forme bruxelloise Frémok entretient si bien dans les marges de la bande dessinée. Cette zone floue va comme un gant au dessinateur, illustrateur, professeur et auteur de B.D. Steve Michiels. Dans Crépuscule civil, il met - littéralement - à nu la riante banlieue alors que le soir tombe et que les rideaux se ferment. À la frontière du rêve et de la réalité, il brosse la face cachée des faubourgs en dessins pleine page fortement évocateurs, aux doux dégradés de gris, aux ombres obscures et à la magnifique lumière artificielle. Madame reçoit ses amies à la maison, Monsieur - qui subit déjà des pollutions nocturnes en pensant à la panoplie de sex-toys qui prendra place sur la table lors de cette croustillante soirée Tupperware - est invité à aller au café. « Sexe, meurtre, feu et fragilité » se déroulent juste à côté du personnage principal qui s’enfonce, son imposant nez en l’air, dans une nuit surréaliste. Avec en bouquet final une scène impressionnante où l’un de ses copains n’a pas sa langue dans sa poche quand un groupe de bikers et, un peu plus tard, un vendeur de roses stéréotypé débarquent dans son café habituel.

Steve Michiels dresse un portrait à la fois hilarant et perturbant de l’homme qui, avachi dans le canapé de son confort matériel, a perdu l’amour, l’amitié et son humanité. « La société est foutue », c’est vrai, mais Crépuscule civil n’est pas un pamphlet facile. De retour chez lui, le personnage principal ouvre une trappe et entre dans le bunker chichement aménagé du créateur revêtu d’un long et lourd manteau (l’auteur comme exhibitionniste, le lecteur comme voyeur ?) : « Dis, tu m’aimes encore ? » La mèche que Steve Michiels allume à ce moment-là aboutit au baril de poudre que l’écrivain et le lecteur sont pour eux-mêmes et l’un pour l’autre. L’auteur n’est pas ici un créateur, mais un malfaiteur - responsable de la nudité, du froc souillé du personnage principal, de l’humiliation de Rebecca qui indécemment veut transformer sans complexe le thé entre copines en soirée Tupperware érotique. Ou est-ce plutôt un réalisateur ? Ses personnages (qui n’ont parfois pas du tout lu le scénario) se sentent utilisés : « Parfois j’ai l’impression que notre vie est une mise en scène ».
À la fin du livre, le personnage principal prend lui-même la parole : « Je suis affligé de voir comment il manipule – et avec préméditation s’il vous plaît – ma vie et celle des gens qui m’entourent, et comment il ose même nous mettre en danger ». Dans cette réaction émancipée, le pouvoir absolu de l’auteur est simultanément envoyé au tapis. Il semble que « la toute-puissance du dessinateur » ne soit pas si toute-puissante finalement : le récit graphique est la nue-propriété du créateur qui doit tenir compte du temps, du matériel et de ses aptitudes. Et du lecteur ! La « nuditiy inside » semble être la nudité intérieure du créateur (scanographie du cerveau comprise), qui offre dans tous ses doutes sur la forme et la narration un regard beau et passionnant sur son (calvaire de) processus de création. « J’en ai marre de dessiner des godes », soupire-t-il derrière le rideau.

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