Emma De Swaef s'immerge dans l'AfricaMuseum

Gilles Bechet
© BRUZZ
13/12/2018

Ce magnifique gâteau !, le nouveau film d’animation en stop motion réalisé par Emma De Swaef et Marc James Roels est une sombre épopée, pathétique et onirique sur cinq personnages attirés par le fantasme du Congo de Leopold II. Une belle occasion pour inviter l’artiste à parcourir les salles du nouveau musée de l’Afrique centrale à Tervuren qui s’ouvre au public après cinq années de transformation.

Le public s’est pressé en masse ce dimanche sous la pluie pour l’ouverture du nouveau musée de Tervuren, attiré par la boîte en verre posée dans le parc, un peu en retrait du vénérable musée.
À côté de la billetterie, un shop tout neuf devant lequel nous retrouvons la cinéaste-animatrice Emma De Swaef. « C’est ici qu’on a trouvé une de nos grandes sources d’inspiration: Congo (belge) de Carl De Keyzer. Le photographe y a sélectionné et recadré les photos les plus intéressantes conservées dans les archives du musée. C’est en regardant ce livre qu’on a eu l’idée de découper notre histoire en chapitres avec chaque fois un autre personnage et un autre décor. Au début, on avait une vingtaine d’histoires différentes et puis ça a pas mal évolué pour arriver à cinq, ce qui permet de suivre un peu plus longtemps chaque personnage.»
Pendant la longue gestation de son film Emma a plusieurs fois visité le Musée d’Afrique centrale à Tervuren. Elle voulait comprendre la mentalité du colon belge au Congo, parti chercher une vie meilleure pour se retrouver seul ou malade. Le film qui s’ouvre sur un rêve de Léopold II, errant dans les Serres de Laeken, se poursuit dans les quatre chapitres suivants avec d’autres personnages dans le Congo du début du XXe siècle.
Onirique et surréaliste, le film n’est pas une charge frontale contre le colonialisme mais plutôt une méditation, parfois surréaliste, sur les zones d’ombre de l’âme humaine.
Comme dans leur premier film Oh Willy... Emma De Swaef et Marc James Roels créent avec l’animation en stop motion un univers unique où la douceur des poupées de feutrine et de laine leur permet d’exprimer toute une gamme d’émotions, de l’humour tendre aux propos les plus noirs.

1642 AfricaMuseum 2

Le salon des refusés
Pour accéder aux collections, il faut descendre sous terre et s’engager dans un long couloir blanc. On y retrouve la longue pirogue surmontée de la citation du sociologue Luc Huyse, « Tout passe sauf le passé », inscrite en quatre langues en lettres miroirs. Rien n’est oublié, mais rien ne sera comme avant.
Comme s’il fallait régler les choses avant de commencer la visite, on a remisé les gloires du passé dans une petite salle voûtée : la salle des rebuts. Parquées dans un enclos métallique, s’entassent les statues déboulonnées, symboles de la propagande coloniale d’un autre temps. Le redoutable homme-léopard menaçant sa victime ou le méprisant marchand d’esclaves tiennent désormais compagnie aux bustes de généraux à moustaches et aux poitrails gonflés de médailles. Comme des accessoires de théâtre d’une mauvaise pièce que l’on préfère oublier. En guise de clin d’œil, une toile de l’artiste contemporain congolais Chéri Samba montre un déménagement improvisé de ces infamantes idoles.
Encore un escalier et on accède au musée dont les salles thématiques se déploient autour de la cour intérieure. Pas de parcours obligé, on peut suivre ses envies sans risque de se perdre.
Le grand projet de ce nouveau musée décolonisé est de changer le regard sur les collections et ce qui est exposé. Au regard exclusif du colon blanc, se substitue un regard partagé, contradictoire parfois, entre Africains et Européens sur l'Afrique centrale. Fini la vision idéalisée d’une Afrique où la civilisation de l’homme blanc contraste avec la nature intacte, sauvage et paradisiaque.
Le bâtiment étant classé, les salles ont gardé leurs décorations, y compris les 42 monogrammes de Léopold II, ainsi que les vitrines d’origine astucieusement intégrées dans une scénographie ouverte et éclatée. Place à une vision humble et foisonnante avec un souci permanent de confronter les collections du passé avec l’Afrique contemporaine, par des témoignages vidéo, des peintures de scènes de la vie quotidienne, des BD ou par des œuvres d’artistes contemporains. « Beaucoup de choses ont changé, mais ça me rappelle une de nos premières visites au début de nos recherches. On avait été très impressionnés par les masques et les costumes de cérémonie au point qu'on avait pensé reprendre des scènes de danse dans le film. Mais on y a renoncé parce qu’on trouvait que ce n’était pas à nous de montrer des Africains qui dansent. Ce sont des rituels qui leur appartiennent. »

AfricaMuseum in Tervuren

Ce sont les salles les plus spectaculaires ou interactives qui drainent ces premiers visiteurs parmi lesquels on compte une large proportion d'afro-descendants, souvent venus en famille. On se presse dans la salle Langues et Musiques pour s’y perdre dans la musicalité des 2000 langues recensées au Congo ou autour des instruments où l’on trouve les tambours à fente aussi bien que les guitares de la Rumba. Le xylophone d’exposition a son petit succès, deux fillettes s'y essayent à la mélodie de Frère Jacques. La salle Paysages et Biodiversité reste un point d’attraction. Les animaux ont été libérés de leurs cages de verre. Ils sont désormais à portée de main. Un lion, prêt à bondir est ramassé au-dessus d’une vitrine. On vient y photographier les enfants devant les zèbres ou la girafe. « C’est une bonne idée d’avoir sorti les animaux des vitrines, c’est plus immersif mais je crois qu’ils l’ont fait aussi en pensant à Instagram. Les photos sont devenues obligatoires aujourd’hui et photographier un animal derrière une vitrine, ça passe moins bien. » Désormais, la nature n’est plus un paradis inviolé, on parle de la déforestation, du braconnage dans le parc des Virunga et de la vie difficile des populations locales. Moseka, le robot roulage, deviendra très vite un repère pour les visiteurs du musée. L'impressionnante créature de métal de 2,90 mètres de haut a pris place dans les principaux carrefours urbains de Kinshasa et des grandes villes congolaises. Incorruptible et insensible aux insultes, il s’est révélé bien plus efficace que les pandores en chair et en os. Agrémenté de 540 ampoules led, il peut aussi pousser la chansonnette. Prouesse de technologie low-cost, il tourne avec un moteur d’essuie-glace. C’est aussi un témoignage de la créativité kinnoise, résolument inscrite dans le XXIe siècle. « À Johannesburg d’où Marc est originaire, les gens parlent de robots pour les feux de circulation. Et c’est quelque chose qu’on a adopté entre nous deux. Donc je trouvais assez marrant d’en voir un ici pour faire la circulation dans le musée. »

Le musée ne peut pas se permettre des positions aussi tranchées. Heureusement, les cinéastes le peuvent.

Emma De Swaef

L’Afrique, centrale
L’autre axe de la décolonisation du musée, c’est la visibilité plus marquée des premiers concernés, les Africains. Cela se vérifie dans toutes les salles. Plus particulièrement dans Afropea qui évoque la longue présence des populations africaines en Europe. Des femmes amazones exhibées dans les cirques à Zap Mama qui a conquis fièrement les hit-parades, en passant par tous ces anonymes, patiemment identifiés par les équipes du musée dont les photos témoignent du passage en Europe. De simples objets comme une valise, des cuillères ramenées d’Europe ajoutent des bribes d’histoires qui diffusent leur charge émotionnelle. Histoire coloniale et Indépendance n’est pas un réquisitoire, mais presque. « Pendant nos recherches, on s’est surtout intéressés à la période 1900-1908, qui était très sombre et atroce. En voyant le musée, j'étais un peu déçue qu’on ne mette pas plus en évidence ce qui a été un génocide, mais en même temps, je comprends que le musée ne peut se permettre des positions aussi tranchées. Heureusement, les cinéastes peuvent se le permettre. Personnellement, j’aurais même ajouté un buste de Léopold II au salon des refusés. » Comme le bâtiment est classé, on n’a pas touché à la liste gravée avec des noms de tous les Belges morts au Congo. Une sorte d’équilibre se dessine de façon subtile puisque sur les vitres qui font face à l’énumération des pertes « blanches » ont été sablés les noms des victimes Africaines, dont les sept Congolais, pions du zoo humain de l’exposition universelle de 1897, qui sont morts, sans doute de pneumonie loin de chez eux.
Dernière étape avant de quitter le musée par les sous-sols, l’Africa Tube se propose de devenir une bibliothèque virtuelle qui connecte le musée au web africain. Des écrans, des écouteurs pour dialoguer avec des blogueurs et des artistes qui confirment à ceux qui en doutent que l’Afrique est aussi entrée dans le cyberespace.

CE MAGNIFIQUE GÂTEAU!: Dir.Emma De Swaef, Marc James Roels, sortie: 19/12

AFRICAMUSEUM: www.africamuseum.be

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