Le monde dans l'oeil des femmes reporters

Sophie Soukias
© BRUZZ
06/05/2019

Géopolis s’associe aux Halles Saint-Géry pour mettre à l’honneur les femmes photojournalistes. L’occasion rêvée d’interroger trois photographes de renom qui incarnent, chacune à leur manière, le renouveau du genre. Les femmes voient-elles le monde autrement ? Le photoreportage reste-t-il la chasse gardée des hommes ? Réponses avec Fabiola Ferrero, Ilvy Njiokiktjien et Mashid Mohadjerin.

Fabiola Ferroro

Fabiola Ferrero

Née en 1991 à Caracas, la photographe et journaliste, associée à l’Agence VII, couvre les convulsions qui secouent le Venezuela et la Colombie. À travers des images intensément émotionnelles, elle tente de dresser un portrait psychologique de la société qui l’a vue grandir.

Femme reporter, vous en rêviez depuis toujours.
FAUX. Je rêvais d’être écrivaine. J’écrivais dans un journal local au Venezuela et j’ai commencé à me munir d’un appareil photo pour illustrer mes textes. La tendance s’est rapidement inversée et je me suis retrouvée à faire beaucoup plus de photographie.

Il existe un regard proprement féminin.
FAUX. Je pense que c’est davantage une question de personnalité que de genre. On a souvent tendance à penser que les hommes se lancent dans des sujets violents et pleins d’action, là où les femmes photographieraient avec plus de tendresse. Mais le contraire existe. J’ai des collègues masculins qui s’expriment avec beaucoup de douceur et de fragilité. Parallèlement, des collègues féminines, comme Meridith Kohut, ont couvert la crise au Venezuela au cœur de la violence, avec un regard très dur.

Les femmes photographes n’ont plus besoin d’expositions et de concours exclusivement féminins pour percer.
FAUX. Ces expositions et concours servent à combler le vide qui existe depuis des décennies dans le monde de la photographie. La société ne peut que se réjouir de voir que l’industrie de la photographie intègre de nouvelles voix pour nous parler de l’actualité, que l’homme blanc occidental n’est plus le seul à nous montrer à quoi ressemble le monde. Aujourd’hui, les regards sont beaucoup plus diversifiés, ils viennent des femmes, de la communauté LGBT, d’Afrique, d’Asie, … Par contre, je pense que les femmes photographes ne doivent pas se limiter aux concours qui leur sont spécifiquement dédiés. Elles doivent briguer les grands concours internationaux. J’espère que d’ici quelques années, les concours pour femmes photographes ne seront plus nécessaires.

Les femmes photographes galèrent plus que leurs collègues masculins.
VRAI. Mais ça devient de plus en plus facile pour les femmes. Les hommes ont l’avantage sur certains sujets, mais c’est aussi le cas dans l’autre sens. En tant que femmes, nous devons surtout veiller à ouvrir la voie pour les nouvelles générations et s’assurer qu’aucun retour en arrière ne soit possible.

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Ilvy Njiokiktjien

Membre de l’Agence VII, la photographe néerlandaise née en 1984 dépeint la jeunesse d’Afrique du Sud avec une rare force narrative. Ses images puissantes et poétiques questionnent la société post-apartheid et rendent hommage à la persévérance et la résilience des nouvelles générations.

Femme reporter, vous en rêviez depuis toujours.
FAUX.
J’ai compris à l’âge de 17 ans que je voulais devenir reporter. C’était pour moi une excuse pour me rapprocher des gens et raconter des histoires.

Il existe un regard proprement féminin.
FAUX.
J’ai toujours pensé que pour faire une bonne image, il fallait avoir une certaine sensibilité, ce dont les hommes sont capables aussi. On ne m’a jamais dit que j’avais un regard féminin et je pense que cela s’explique justement par le fait que je travaille dans des zones de grande criminalité, des quartiers de Cape Town où l’on n’imagine pas qu’une femme puisse se balader seule. Or c’est tout à fait possible, il suffit d’être prudente et de bien s’entourer. C’est sûr qu’en tant que femme, des gens mal intentionnés peuvent penser qu’on est une proie plus facile mais, jusqu’à présent, je n’ai jamais eu de mauvaise expérience. Il m’est déjà arrivé dans le passé de me sentir en danger, mais on est toujours venu à mon aide.

Les femmes photographes n’ont plus besoin d’expositions et de concours exclusivement féminins pour percer.
FAUX.
Ces vitrines sont une manière de dire aux éditeurs: regardez ce qu’on sait faire, il est temps de vous adapter. C’est d’autant plus important de soutenir les femmes journalistes qu’elles ont accès à des sujets spécifiquement féminins que leurs homologues masculins peuvent difficilement approcher. Je pense, par exemple, aux portraits de femmes dans les pays musulmans.

Les femmes photographes galèrent plus que leurs collègues masculins.
VRAI.
Il y a encore beaucoup d’éditeurs qui sont persuadés que les hommes feront un meilleur boulot parce qu’ils sont plus forts physiquement et mentalement. Beaucoup pensent aussi qu’une femme ferait mieux d’être à la maison à s’occuper des enfants, et qu’elle n’a pas le temps de devenir reporter. Le rédacteur en chef d’un très grand journal m’a un jour demandé quelle était ma situation familiale et si j’avais l’intention d’avoir des enfants. Ce qui est purement inadmissible.

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Mashid Mohadjerin

Ambassadrice Canon et professeure à la LUCA School of Arts, la Bruxelloise née en Iran en 1976 a consacré ses derniers travaux au rôle joué par les femmes dans les récentes révolutions du monde arabe. Son regard sensible et concerné déjoue les clichés sur le monde arabe et sur les femmes.

Femme reporter, vous en rêviez depuis toujours.
FAUX. Je n’ai jamais planifié d’être photographe, j’étais passionnée par la peinture et le dessin. Ayant grandi avec différentes langues dans diverses parties du monde, le support visuel a toujours représenté pour moi une certaine stabilité. Je me suis tournée vers la photographie parce que j’éprouvais le besoin de sortir de la solitude de ma chambre pour observer le monde et en faire partie.

Il existe un regard proprement féminin.
VRAI. Il existe un regard féminin, absolument. Et je suis très heureuse que dans le monde de la photographie, et dans le monde en général, une attention grandissante soit donnée à de nouvelles voix. Des voix orientales, des voix en provenance des cultures du Sud. Il est crucial de multiplier les regards et cela passe par davantage d’inclusion féminine.

Les femmes photographes n’ont plus besoin d’expositions et de concours exclusivement féminins pour percer.
FAUX. Les femmes, particulièrement dans le monde du photojournalisme, ont moins confiance en elles que les hommes. Nous avons besoin de ces plateformes pour nous aider à moins douter, même s’il faut espérer que bientôt elles ne seront plus nécessaires. Trop de femmes aujourd’hui ne participent pas aux grands concours car elles sont persuadées, à tort, de ne pas avoir le niveau.

Les femmes photographes galèrent plus que leurs collègues masculins.
VRAI. Et ce sont, en partie, des obstacles que l’on se crée soi-même. On a, par exemple, le sentiment que ça n’est pas socialement acceptable pour une jeune mère de partir faire régulièrement des reportages à l’étranger. Les temps changent, mais pendant très longtemps, les éditeurs envoyaient bien plus facilement un homme en zone de conflit qu’une femme, même si tous les deux exprimaient la même envie de s’y rendre. Je me souviens que quand je travaillais à New-York, mes collègues masculins étaient perçus comme plus actifs et assertifs. Si on m’envoyait sur le terrain, c’était parce qu’une photographe femme avait été spécifiquement sollicitée.

TOUR DU MONDE DE FEMMES PHOTOJOURNALISTES 8/5 > 30/6, Géopolis & Halles Saint-Géry, geopolis.brussels

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