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Livre: Sandrine Lopez photographie le bain de Moshé

Sophie Soukias
© BRUZZ
24/10/2017

Le livre Moshé est né de la rencontre fortuite dans une rue de Bruxelles entre la photographe Sandrine Lopez et un vieux rabbin. Leur relation, singulière, se développe autour d’un rituel hebdomadaire : celui d’un bain que la première donne au second en échange de quelques images.

« Il faut se fier à son instinct et tenter », dit Sandrine Lopez, photographe française installée à Bruxelles (diplômée du 75), talent émergent à suivre de près dont le travail a transité l’année dernière par le Musée de la Photographie de Charleroi et le Musée Dr. Ghislain à Gand. Moshé, son premier livre, dont la sortie est accompagnée d'une exposition chez Peinture Fraîche, est parti, comme c’est souvent le cas dans son travail artistique, d’une image latente : une image qui lui trottait dans la tête depuis longtemps, formée par la littérature, le cinéma et d’autres sources d’inspiration nourrissant ses obsessions et fascinations.

L’image ? Celle d’un homme âgé, maigre et nu, allongé sur un lit. « Un soir, je marchais rue de la Glacière près de chez moi et j’ai croisé un vieil homme dans la tenue typique du rabbin : long manteau noir, chapeau, barbe blanche, ... On s’est regardés. Au début, je n’ai pas osé, je m’inventais mille excuses pour ne pas l’aborder. J’ai marché quelques pas avant de faire demi-tour. Je lui ai simplement dit la vérité : que je le trouvais beau et que j’aurais aimé faire son portrait », explique la photographe.

Flatté, Moshé accepte de l'accueillir chez lui la semaine d’après. « J’ai fait quelques portraits dans son salon, dans sa cuisine. À la fin de la séance, il m’a demandé de l’aide pour prendre son bain, tout à fait naturellement. Et là, je me suis retrouvée face à ce corps maigre, osseux, cette peau épuisée, éprouvée, fragile. J’étais fascinée devant quelque chose de sublime et de parfaitement terrifiant à la fois ».

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Une sorte de marché s’installe entre Sandrine Lopez et le rabbin de 89 ans. La possibilité de prendre un bain pour l’un, la possibilité de photographier ce rituel pour l’autre. « En photographie, on a toujours l’impression de prendre beaucoup plus que l’on ne donne. Ici, j’avais la chance d’avoir quelque chose à offrir en échange. Lui, était dans une dimension presque hédoniste. Le bain est quelque chose qu'on aime tous mais les personnes âgées y ont moins accès à cause du risque d’accident. Si c’est jouable, il y a du repos, de l’abandon, quelque chose de l’ordre de la régression aussi ».

Profondément vivant
Ce rendez-vous qui se répétera, chaque semaine, pendant plus de deux ans, donnera naissance au livre Moshé. Une série intime, poétique, mystérieuse et confrontante, au champ d’interprétation inépuisable. Sur la peau ridée et tachée de Moshé, c’est un parchemin sans fin qui se donne à lire.

La texture granuleuse des images tantôt en noir et blanc, tantôt colorées, presque monochromes, ne fait que multiplier les couches de cette histoire universelle, celle de la vie et, inexorablement, celle de la mort. Celui qui s’appelle Moshé et dont le corps a traversé la noirceur du vingtième siècle, appartient-il seulement aux vivants ou a-t-il depuis longtemps déjà rejoint les survivants ?

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Au milieu de son livre, la photographe a rassemblé sur des feuilles en papier japonais translucide, une série d'écrits du vieux rabbin. Des cours destinés à être dispensés à la synagogue, la préparation de la gravure de la pierre tombale de son épouse, des souvenirs aussi. Une écriture intense, énergique et continue, certes tremblante, envahit l’espace de chaque feuille.

« Je voulais parler de ce que ce corps abritait de spiritualité », explique Sandrine Lopez. « Je pense que cette activité très vive autour de la foi et de la transmission du savoir rend Moshé profondément vivant. Son épouse, que j’allais voir avec lui à l’hôpital et que j'ai également photographiée, symbolise le corps vidé de la spiritualité qui maintient en vie ».

Plus qu’un corps ridé, plus qu'un vieux rabbin, Moshé incarne la complexité humaine dans ce qu’elle a de plus fascinant, de plus troublant. « Bien qu’il soit pratiquant, orthodoxe, il y a chez Moshé une force du rapport à soi qui se situe au-delà des restrictions. Il n’avait aucune raison ‘acceptable’ de se laisser photographier : je suis une femme, je ne suis pas juive, je pouvais être impure quand je lui donnais le bain. Tout ça est quelque peu ‘diabolique’. Il n’est pas dans le déni mais il refuse de sacrifier ce moment unique qu’est le bain, même au nom de ce à quoi on devrait tout sacrifier ».

Quand on observe, page après page, le corps fragile de Moshé s’enfoncer dans le liquide chaud de sa baignoire, on ne peut s'empêcher de se demander s’il va en ressortir ou s’il va disparaître, à jamais, sous le bain bulle, pour rejoindre quelque chose d’infiniment plus grand, ce quelque chose qui l’a vu naître. Son corps et son visage, apaisé, semblent nous indiquer qu’il est prêt.

« Moshé est extrêmement tranquille avec la mort, il se dit que ce n’est pas lui qui décide. Sa foi, son rapport décomplexé à son corps, m’ont sans doute facilité la tâche, m’éloignant du pathétisme que je cherchais absolument à éviter. Je peux comprendre que mon travail puisse mettre mal à l’aise ou choquer mais je ne pense pas qu’il soit pour autant morbide. La morbidité est un rapport maladif à la mort. Moshé a plutôt été cathartique. J’aime le cru et le brut, pas le cruel et le brutal ».

> SANDRINE LOPEZ : MOSHÉ
> Livre: Frédérique Destribats, d&b / l’éditeur du dimanche, 78 p., €65
> Exposition: 02/11 > 18/11, Peinture Fraîche, Ixelles

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