Guérin Van de Vorst : 'J'aime filmer ce que je connais, là où je vis'

Sophie Soukias
14/03/2018

Avec La Part sauvage, le Bruxellois Guérin Van de Vorst signe un premier long-métrage ancré dans son temps et dans la ville. Nous l’avons accompagné sur les traces du tournage, le long du canal à Molenbeek: « Une zone peu présente au cinéma et pourtant très cinégénique ».

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Aveuglée par les rayons de soleil, on croit distinguer la silhouette effilée de Guérin Van de Vorst. Veste noire rembourrée, lunettes aux verres photochromiques et incontournables sneakers blanches, l’homme souriant à la trentaine finissante avance vers nous d’un pas décontracté. Le ciel est radieux. L’air, glacial. On sort vite fait les mains des poches pour se saluer.
On a rendez-vous du côté de l’écluse de Molenbeek devant le garage qui a servi à tourner plusieurs scènes de son premier long-métrage La Part sauvage, avec la star française Vincent Rottiers dans le rôle de Ben, un jeune papa fraîchement sorti de taule, où il s’est converti à l’islam, qui tente de renouer avec la société et avec son fils, Samir. « Vincent est un acteur avec qui je rêvais de travailler », dit Van de Vorst. « Il a un hors-champ incroyable. Il est jeune mais il porte un vécu. Son côté sauvage convenait parfaitement pour le rôle ».

Dans le film, Ben est engagé comme apprenti dans le garage d’un ami désireux de lui donner une seconde chance. « Je voulais que Ben ait quelque chose à faire avec ses mains, qu’il doive bricoler comme il essaie de bricoler avec sa vie, avec son fils », explique le réalisateur. Quant au choix du garage : « Je voulais qu’il soit proche du canal et je trouvais la devanture jaune défraîchie de celui-ci magnifique ».

On a à peine eu le temps d’échanger quelques mots que Pepe, le propriétaire du garage, soulève triomphalement la porte coulissante de son établissement :
« Entrez ! C’est ici le fameux garage ! ». Des pièces de voiture pendent au plafond, les murs sont tapissés d’outils de toutes sortes. « Ça, faut pas montrer ! » s’exclame Pepe en pointant de la tête un calendrier coquin.

« Ça ne me viendrait pas à l’idée de faire un film à l’autre bout du monde avec des gens que je ne connais pas »

Guérin Van de Vorst

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Le garagiste est en grande forme, il va bientôt céder son business pour ouvrir un café-brasserie sicilien où finir ses vieux jours. «Il y aura de la tripe, de la saucisse italienne, … Le samedi soir ce sera karaoké », se réjouit-il. Après quarante années de service et vingt-cinq ans dans le même garage, Pepe en a « vu de toutes les couleurs ». À l’évocation du film, il se souvient avoir lui aussi pris un apprenti sous son aile. « Il avait seize ans, il venait d’un mauvais quartier d’Anderlecht. Un jour, il a volé nos vidanges. J’ai dû prévenir son grand-père car son père était en prison. Je n’ai plus jamais eu d’apprenti ».

Après avoir promis à Pepe de passer tester sa nouvelle enseigne, on se remet en route. Sur les bords de l’écluse, les mouettes dansent au-dessus de nos têtes tandis que le vent agite l’eau trouble du canal. On se croirait presque à la mer du Nord, abstraction faite des habitations hétéroclites aux façades fanées. « Il y a des gens qui trouvent ça moche, moi je trouve que le canal a une belle présence. Cette zone est peu présente au cinéma. Pourtant, elle a un énorme potentiel », dit ce fils de comédiens bruxellois, amoureux déclaré de sa ville qu’il parcoure le plus souvent à pied.

Le cinéma de Van de Vorst est au plus proche de lui. Il filme sa ville et ses ambiances, s’inspire des gens qui l’entourent, d’amis parfois. « J’ai eu la chance de fréquenter une école très mixte au niveau des origines sociales et ethniques. Ça a influencé ma vie et, fatalement, mon cinéma ».

Ça sent le quartier

Les personnages de Van de Vorst ont en commun d’évoluer sur le fil du rasoir, de flirter avec la marge. Comme dans son court-métrage documentaire Ulysse (2016) qui capte avec sensibilité et poésie les tourments d’un ami d’enfance qui tente de survivre dans Bruxelles alors qu’il est atteint de schizophrénie. « Ça ne me viendrait pas à l’idée de faire un film à l’autre bout du monde avec des gens que je ne connais pas », dit le réalisateur diplômé de l’IAD, tombé dans le cinéma à 22 ans après « deux ans de philo et pas mal de conneries dans la rue avec les copains ».

La Part sauvage est né d’une conversation avec un ami . « Il m’a raconté que quand il était petit, son père a débarqué dans sa vie du jour au lendemain. Il a commencé à lui faire vivre des expériences un peu transgressives. Il était tiraillé entre la joie de retrouver son père et la conscience de vivre des choses qui n’étaient pas de son âge ».

La conversion à l’islam et la radicalisation du personnage central émergent plus tardivement dans le scénario. « En voyant tous ces jeunes Belges qui décidaient de rejoindre l’État Islamique, je sentais la nécessité d’interroger ce phénomène par le prisme du cinéma. Le sujet reste la relation entre un père et son fils. La radicalisation est en toile de fond mais apporte des enjeux supplémentaires ».

Entre-temps, on s’est posés sur un petit pont qui fait face à l’écluse. « Dans le film, Ben est souvent ici ». Au loin, un gros immeuble blanc se distingue dans le paysage. « C’est là qu’on a tourné les scènes dans l’appartement de Mustapha, le prédicateur qui cherche à endoctriner Ben », indique le réalisateur. «  Ben est en recherche d’une famille. Il veut renouer avec son fils mais quand ça ne fonctionne pas comme il le voudrait, il se tourne vers Mustapha qui est une sorte de famille de remplacement. Comme la plupart des prédicateurs, il est très séducteur. Le genre de gars qui aime plaisanter et qui, au détour d’une phrase, fait passer ses idées ».

On décide de s’engouffrer dans les travaux de la Chaussée de Ninove pour rejoindre notre étape finale: un petit terrain de foot situé de l’autre côté du canal où, dans le film, Ben a pris l’habitude de jouer avec Mustapha et ses disciples. On se faufile à travers le labyrinthe formé par les fameux panneaux-barrières bleus et jaunes qui poussent dans la capitale comme de mauvaises herbes. Jusqu’à l’impasse: une glissière de sécurité en béton. « On enjambe, hein ! », dit Van de Vorst, le plus naturellement du monde. Et de poursuivre simplement : « Quand j’ai décidé de mettre en scène le radicalisme, je tenais à être dans le vrai. J’ai fait lire le scénario à plusieurs spécialistes: un ancien imam, un chercheur à l'université, la mère d’un djihadiste, … ».

Nos pas nous mènent doucement à destination. « Le terrain de foot fut le décor le plus difficile à trouver », dit Van de Vorst en contemplant la plaine de jeu multicolore coincée entre des HLM aux murs de béton délavés. « J’aimais ce côté caché. Et puis, ça sentait le quartier ». On reconnaît bien là le réalisateur.

> La part sauvage. BE, dir.: Guérin Van de Vorst, act.: Vincent Rottiers, Simon Caudry, Walid Afkir

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