Koen Mortier visite les démons de Frank Vandenbroucke

Sophie Soukias
© BRUZZ
19/09/2018

Un Ange/Engel

En 2009, Frank Vandenbroucke mourrait à l’âge de 34 ans dans la solitude d’une chambre d’hôtel au Sénégal. Dans Un Ange, le réalisateur bruxellois Koen Mortier (Ex-Drummer, Soudain, le 22 mai) s’inspire d’une nouvelle de Dimitri Verhulst pour reconstituer librement la nuit de cauchemar traversée par le champion cycliste et y faire briller une lueur d’espoir. Une étincelle surréaliste où l’amour semble triompher de toutes les douleurs et les injustices. Sauf la mort.

La bande-annonce de Un Ange

Fae (Fatou N'Diaye) est une femme resplendissante, résiliente et fière, qui gagne durement sa croûte à Dakar dans l’obscurité de la chambrette d’un hôtel de passe. Au terme de prostituée, elle préfère celui, plus noble, de « gazelle ». Thierry (Vincent Rottiers), touriste belge venu prendre du bon temps au Sénégal, est un cycliste vedette en déclin, désabusé, nerveux et dopé de la tête aux pieds. Inspiré par Monoloog van iemand die het gewoon werd tegen zichzelf te praten, la nouvelle de Dimitri Verhulst sur la mort dramatique de la légende du cyclisme Frank Vandenbroucke, le réalisateur et producteur bruxellois Koen Mortier rassemble toute sa puissance imaginaire pour réunir deux âmes en détresse le temps d’une nuit haletante et surréaliste. L’amour inconditionnel qui frappe comme la foudre les amants d’un soir les entraîne dans une fièvre de promesses intenables, auxquelles ils s’accrocheront jusqu’au bout. Sublimé par la photographie atmosphérique de Nicolas Karakatsanis et la musique délicatement grinçante de Soulsavers, le successeur stylisé de Ex-Drummer et Soudain, le 22 mai plonge le spectateur dans une bulle onirique sombrement délirante dont seul le cinéma a le pouvoir.

Un Ange

Un Ange

Qu’est-ce qui vous a fasciné dans le roman de Dimitri Verhulst au point de vouloir l’adapter au cinéma ?
KOEN MORTIER: Tout le monde connaît l’histoire de Frank Vandenbroucke mais Verhulst, qui s’en est inspiré, fait le choix de donner voix à un personnage inattendu. La femme avec laquelle Thierry passe sa dernière nuit ne sait rien de sa célébrité et ne connaît rien au cyclisme. Cela ajoute une dimension au drame et une forme d’innocence. Dans le livre, il y a un passage où elle parle d’amour. J’imagine que, dans les faits, ça ne l’était pas du tout, mais j’ai eu envie d’oublier la vraie histoire et de chercher l’amour fou entre mes personnages. L’amour envers et contre toutes les règles, le statut social et les différences culturelles. Rien ne devait être dérangeant dans le fait que Fae est une prostituée.

Notre raison nous dicte de ne pas croire au coup de foudre entre Thierry et Fae, mais notre cœur nous murmure le contraire.
MORTIER: L’histoire d’amour est constamment en péril et mise sous tension. On ne sait jamais vraiment s’il s’agit d’un rêve ou de la réalité. Le spectateur veut y croire mais c’est presque infantile de sa part. Thierry y croit au premier regard, Fae met un peu plus de temps, mais c’est elle qui se battra pour eux quand lui abandonne. Les personnages sont tous les deux dans un cul-de-sac et l'amour apparaît comme une issue miraculeuse. En tant que prostituée au Sénégal, les conditions de vie de Fae sont extrêmement précaires. Thierry, lui, se sent terriblement seul, c’est le romantisme de l’amour qui le raccroche à la vie.


Votre premier film Ex-Drummer, est, pour le coup, un film anti-romantique par excellence?
MORTIER: J’aime les idées punks et la violence qui y est associée. Ex-Drummer est un film nihiliste mais aussi une comédie. Un Ange est peut-être plus triste et plus dur car on tend vers le réalisme. C’est un film qui rejoint l’idée classique de la littérature romantique: l’amour fou, un amour presque violent qui flirte avec la mort, la peur et les ravages.

Vous considérez-vous comme un romantique ?
MORTIER: Je suis plus un réaliste qu’un romantique, mais j’ai néanmoins quand même trouvé l’amour de ma vie.

Je voulais que cet amour flirte avec la mort, la peur et les ravages. Comme dans la littérature romantique

Koen Mortier

1630 Koen Mortier Engel

L’idée de chute est un thème récurrent dans votre cinéma, que ce soit dans l'apocalyptique Soudain, le 22 Mai ou, ici, dans Un Ange.
MORTIER: J’aime l’idée que les personnages aient le sentiment de planer, que leurs pieds ont quitté la surface de la terre. J’aime le graphisme de la chute. C’est émouvant et perturbant à la fois. Quand on est sur le toit d’un bâtiment, la frontière entre garder les pieds au sol et chuter est très étrange. Ça n’a l’air de rien, ça a l’air à la fois dangereux et terriblement définitif, mais aussi très long.

Un Ange est ponctué de flashs oniriques suggérant plusieurs morts du protagoniste. Comment vous sont-ils apparus ?
MORTIER: C’est une image en particulier qui m’a inspiré. Le champion du monde de cyclisme Jean-Pierre Monseré est mort à 22 ans (en 1971, NDLR), percuté de face par une voiture en pleine course. Cinq ans plus tard, son fils de sept ans mourrait de la même façon, suite à une collision avec une voiture. Son vélo et le maillot qu’il portait au moment des faits lui avaient été offerts par le cycliste Freddy Maertens, le jour de sa communion. À l’époque, j’étais enfant moi aussi et je me souviens l’avoir vu faire un tour de piste avec son parrain Freddy pendant les Six Jours de Gand, j’étais même un peu jaloux. Les vedettes comme Monseré meurent d’un accident, de la drogue ou finissent par se suicider. Je voulais montrer dans mon film que pour Thierry, la peur n’est pas de mourir triste dans une petite chambre au Sénégal mais de faire un accident ou de succomber à la pression. Les flashs sont, quelque part, les sept morts qu’il n’aura pas eues.

1630 ENGEL VINCENT-ROTTIERS

Un Ange Vincent Rottiers

Thierry court pour ses fans, il entretient un rapport presque amoureux avec son public. Et vous, quelle relation entretenez-vous avec vos spectateurs?
MORTIER: J’aime l’idée que mes spectateurs soient émus. Dans Ex-Drummer, c’était le choc, la comédie et la haine. Dans Soudain, le 22 mai, c’était la peur de l’avenir. Dans Un Ange, je voulais transmettre l’idée de l’émotion de l’amour, et la perte. Qu’on sente que ça fait vraiment mal.

Soudain, le 22 mai s’est révélé tristement prophétique. Cinq ans plus tard, la Belgique était réellement touchée par des explosions terroristes. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre second long-métrage ?
MORTIER: Quand le film est sorti, on m’a souvent fait la remarque que ce genre de choses n’existerait jamais en Belgique. C’était une image trop négative du futur du monde, et le film n’a pas marché à cause de ça. Quand il y a eu les attentats, ça ne m’a pas étonné. Quelque part, je le savais. Quand on voit comment l’Europe ou le monde financier et démocratique fonctionnent, c’est logique que quelqu’un se dise que les attentats ne doivent pas toujours avoir lieu en Irak et que notre train de vie en Europe mériterait d’être saboté. Il y a 53 millions de réfugiés et on se bagarre dans toute l’Europe pour un bateau de 250 personnes. C’est choquant et je sens qu’on va payer pour ça. Enfermer les enfants et bloquer les frontières est un comportement tout simplement psychopathique. II y a beaucoup de films qui se placent du point de vue des réfugiés mais presque pas qui traitent de la moralité des Européens.

Le thème de votre prochain film ?
MORTIER: Je ne sais pas, ça me travaille... Mais ça ne sera jamais subsidié (rires) !

> UN ANGE sortie: 19/9, BE, dir. Koen Mortier, act. Vincent Rottiers, Fatou N'Diaye

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