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Interview

La Bruxelloise Pauline Beugnies filme le contrecoup du printemps égyptien

Sophie Soukias
© BRUZZ
28/11/2017

La Bruxelloise Pauline Beugnies compte parmi les réalisatrices mises à l’honneur pendant le Festival Cinéma Méditerranéen. Avec son documentaire Rester vivants, elle signe un témoignage intime et percutant sur la jeunesse égyptienne aux lendemains douloureux d’une révolution confisquée.

Pauline Beugnies (35 ans) était sur place avant que la révolution n’éclate en Égypte en 2011, elle y sera après aussi. La Bruxelloise d’origine carolo, ayant appris l’arabe au Caire, s’est fait un nom à travers Génération Tahrir, un reportage photographique au plus près de la jeunesse révolutionnaire égyptienne dont elle a su - chose rare - capturer de l’intérieur les actions mais aussi la fougue, les doutes et les espoirs.

Ce précieux travail devait être couronné de plusieurs prix internationaux, exposé au Musée de la photographie de Charleroi et faire l’objet d’un beau livre (Ed. le Bec en l’air).

Lorsque la photographe retourne dans la capitale égyptienne en 2014, ceux qui avaient porté le combat d’une génération sont en train de vivre le contrecoup d’une révolution volée. Cette gueule de bois sera le sujet de son premier documentaire, Rester vivants.

Un voyage intime à travers les confidences de quatre jeunes femmes et hommes fait d’allers-retours entre l’avant et l’après, l’effervescence et la désillusion, la rue qu’ils s’étaient si bien appropriés et l’intérieur étouffant du foyer, la jeunesse et l’âge adulte, le printemps arabe et son hiver impitoyable. Le mot d’ordre dans tout ça : rester vivant.

Comment avez-vous vécu le printemps égyptien à travers votre objectif ?
PAULINE BEUGNIES: Quand la révolution a éclaté j’ai eu la chance de la couvrir de l’intérieur parce que je travaillais sur la jeunesse activiste et que je connaissais les jeunes qui étaient à l’avant-garde de ce mouvement. Suite au décès de Khaled Saïd (le 6 juin 2010, NDLR), tabassé à mort par la police, il y a eu des manifestations énormes, je n’avais jamais vu ça. Je me suis dit qu’il fallait que je suive ces jeunes qui s’engageaient.

Ça résonnait beaucoup en moi car ça me renvoyait à notre incapacité à nous, en Europe, à changer les choses. Je crois que je manquais un peu de distance. D’ailleurs, quand le président Hosni Moubarak est parti le 11 février 2011, je n’ai pas eu suffisamment de recul pour me rendre compte que c’était quand même l’armée qui assurait la transition. Mais je n’aurais pas pu faire autrement, cette révolution a changé ma vie.

Y a-t-il eu des moments où vous vous êtes sentie en danger ?
BEUGNIES: Je ne suis pas une photographe de guerre, je suis une photographe sociale, je travaille sur des sujets au long cours, les conséquences d’un conflit mais pas la ligne de front. Et puis je me suis retrouvée dans cette révolution. J’étais emportée par le mouvement, je ne me sentais pas tellement en danger sauf aux moments des clashs avec la police. Je crois que le fait de parler l’arabe m’a protégée car ce sont les locaux qui sont les mieux à même de vous aider.

C’est vrai qu’il suffit d’un fauteur de troubles pour retourner la foule contre le journaliste. Il y a des photographes qui ont été lynchés, arrêtés par l’armée et dont le matériel a été arraché. Au moment des harcèlements sexuels perpétrés à des fins d’intimidation après le départ de Moubarak, j’essayais de me rendre le moins possible Place Tahrir, préférant me focaliser sur des personnages, que je suivais.

À l’été 2013, l’armée du maréchal Al-Sissi prend le pouvoir et les Frères musulmans sont réprimés dans le sang. Vous rentrez en Belgique.
BEUGNIES: C’est comme ça qu’est né le documentaire: d’une frustration. J’étais enceinte de mon premier enfant, je ne pouvais pas travailler dans ce contexte-là, on devait rentrer. Sur le moment, j’avais l’impression de subir la décision et puis l’idée du documentaire a pris forme. Ce film devait porter de manière plus profonde la voix de ces jeunes qui s’émancipent, permettre au spectateur de les comprendre.

Et je crois que c’est le point fort du film, c’est qu’on a vraiment l’impression de les rencontrer. Dès que ça a été possible, je suis partie deux semaines au Caire avec ma fille, qui avait 4-5 mois, pour faire les premiers repérages pour le film. C’était en 2014. Tout le monde s’en allait, les journalistes étrangers que j’avais laissés étaient complètement déprimés. De mon côté, je revenais avec un recul et une énergie renouvelée. Depuis, j’ai régulièrement voyagé au Caire.

Lorsque vous retrouvez vos personnages, le contraste avec les beaux jours de la révolution est frappant. La plupart ne veulent plus en entendre parler, le sujet est douloureux.
BEUGNIES: C’était dur parce que, étant d’un naturel optimiste, j’avais envie de faire un film positif. J’étais partie pour raconter que même si la révolution ne continuait pas forcément sur le plan politique, le renouveau se passait au niveau social, de la culture, de l’écologie, des mœurs. Mais j’ai vite pris conscience que c’était la désillusion et un sentiment d’impuissance qui régnaient, et que mon sujet allait plutôt être : comment continuer à faire vivre ses idées malgré tout.

C’est comme ça que j’ai eu l’idée de confronter mes personnages à des images que j’avais filmées d’eux pendant la révolution et l’effervescence, pour voir comment ils se situaient par rapport à ça. Certains spectateurs y verront une certaine lueur d’espoir alors que d’autres, pas du tout.

Cette année, le Festival Cinéma Méditerranéen, dont vous êtes l’invitée, a choisi de rendre hommage aux femmes. En tant que photographe et cinéaste, croyez-vous au « regard féminin » ?
BEUGNIES: (Rires). C’est la question piège. Je pense qu’il y a autant de regards que de personnes, que l’on soit femme ou homme. Après, on me dit souvent qu’il y a une sensibilité, une manière d’approcher les gens dans mon travail qui est spécifiquement féminine. Ce que je crois c’est qu’être une femme dans le travail que je mène en Égypte est un avantage parce que je peux avoir une relation proche autant avec mes personnages masculins que féminins. On est plus mobiles, nous les femmes. Ça n’est pas forcément féministe de revendiquer ça, mais c’est un constat dans la pratique.

> Rester vivants. 02/12, 20.00, Botanique, Saint-Josse-ten-Noode
> Sortie au Vendôme: 06/12

> Festival Cinéma Méditerranéen. 01/12 > 08/12, Botanique, Cinéma Aventure, Bozar, Flagey

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