1618 Ghost-Hunting regisseur

Le Palestinien Raed Andoni démolit sa prison intérieure

Sophie Soukias
© BRUZZ
05/06/2018

Couronné ‘meilleur documentaire’ à la Berlinale l’année dernière, Ghost Hunting du Palestinien Raed Andoni est un joyau cinématographique à ne pas manquer lors du festival Palestine with Love. Dans le huis clos d’un hangar de Ramallah, un groupe d’ex-détenus des geôles israéliennes réveillent les fantômes de leur internement.

Vous êtes libres de partir quand vous voulez », a d’emblée annoncé le réalisateur Raed Andoni aux acteurs de son docu-fiction Ghost Hunting, castés via une annonce dans le journal. Comédiens, menuisiers, peintres, architectes ou maçons, tous sont unis par une même expérience, celle de la prison et de l’interrogatoire israéliens, à l’instar de 750 000 autres Palestiniens. Pendant six longues semaines, le petit groupe reconstituera dans un entrepôt abandonné les conditions d’emprisonnement du principal centre d'interrogatoire israélien Al-Moskobiya sous la supervision du réalisateur, ex-détenu de cette même prison. Alors que les décors prennent forme et que les scènes de violence physique et psychologique se rejouent avec plus ou moins de self-control, la parole se libère, les émotions s'extériorisent, les démons refoulés s'estompent et la vie reprend fragilement son cours. Dans ce film brillant de Raed Andoni, figure du cinéma palestinien indépendant, fiction et réalité s'entremêlent pour questionner la valeur cathartique de l'art.

Vous avez été enfermé dans la prison israélienne Al-Moskobiya à l’âge de dix-huit ans. Trente ans plus tard, vous consacrez un film à l’emprisonnement : le moment était venu d’affronter vos fantômes ?
Raed Andoni : J’imagine que l’idée est apparue quand j’étais prêt à affronter une question aussi complexe que celle là. Je ne dirais pas que c’est un film sur l’emprisonnement mais plutôt une recherche sur notre subconscient. Je viens d’un pays où près de 25% de la population ont vécu l’interrogatoire israélien et l’enfermement. Cela fait partie du subconscient, de la mémoire collective palestinienne. Je ne m’intéresse donc pas au passé mais à ce que l’on en conserve aujourd’hui en tant qu’ex-prisonniers et en tant que société.

Israël construit une prison et nous sommes assez humains pour la transformer en œuvre d’art

Raed Andoni

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Ghost Hunting est le making of d’un film où les acteurs puisent dans leur vécu pour incarner leur rôle. Ce format hybride, entre documentaire et fiction, s’imposait-il dès le départ ?
Andoni : Au début, j’étais parti sur un film de fiction mais en faisant des recherches et en rencontrant des ex-prisonniers, j’ai constaté que les émotions qu’ils réprimaient étaient bien plus fortes que je ne l’avais imaginé. Mon histoire appelait un nouveau format permettant de les inclure dans ma fiction. Mon statut d’ancien prisonnier faisait que j’étais l’un d’eux et que j’allais pouvoir raconter l’histoire de l’intérieur. Je pense que cette perspective m’a permis de creuser le film beaucoup plus loin.

Votre film est une aventure collective réunissant des gens ayant traversé les mêmes traumatismes. Une vocation thérapeutique ou, du moins, cathartique ?
Andoni : La prison est un lieu de groupe, un endroit où même si vous êtes isolé dans une cellule, vous faites partie des centaines de milliers de gens ayant subi la même expérience. Reconstruire et rejouer la prison est un moyen de ressusciter la mémoire profondément enfouie, de me motiver moi et les protagonistes à exprimer nos émotions profondes. En Palestine, le prisonnier libéré est accueilli en héros. Il ne peut décevoir et ne peut exprimer toutes ses émotions. La peine, la colère et la violence ne sont pas permises s’il veut garder la face. Donc le film doit servir à dépasser cela. Ce n’est pas une thérapie, c’est une manière de s’exprimer, de partager. Je ne vois pas mes personnages comme des victimes mais comme des êtres humains qui ont traversé des expériences extraordinaires et dont le témoignage, courageux et généreux, nous permet de comprendre les profondeurs de l’être humain.

1618 ghost-hunting


Votre personnage détient une part d’ambivalence. En tant que réalisateur, vous ordonnez à vos acteurs de se replonger dans des situations difficiles et violentes. Ce rôle n’a pas dû être facile à jouer.
Andoni : Je me suis demandé ce qu’il se passerait si un réalisateur qui avait fait de la prison il y a 30 ans avait tout à coup la possibilité de faire un film sur le sujet. Lui qui était complètement sous le contrôle de l’interrogateur, dont les besoins primaires comme manger, respirer, aller aux toilettes, dépendaient de la bonne volonté de son bourreau. Quel film ferait-il si le pouvoir était désormais entre ses mains ? Et c’est pareil pour les autres personnages : que se passe-t-il si je leur propose de jouer à leur tour le rôle du bourreau ? Cette idée habite le subconscient de toute personne ayant connu l’oppression. J’essayais d’être honnête dans la complexité du rôle qui était le mien, j’étais le réalisateur mais je traversais avec eux les mêmes expériences émotionnelles. Parfois j’étais violent, parfois je pleurais. C’est sûr, ça n’a pas été évident. La période de tournage fut particulièrement douloureuse.

Dans Ghost Hunting, l’art a aussi un rôle à jouer dans ce processus de libération des émotions?
Andoni : Le personnage de l’artiste est un ami qui désirait participer au film. J’ai beaucoup hésité car il n’a jamais été emprisonné. J’ai compris ensuite que son personnage apporterait un regard extérieur. Dans le film, nous ne construisons pas une prison, nous démolissons la prison à l’intérieur de nous. On a transformé la prison en galerie d’art, et les émotions liées à la colère et la violence, en fierté. Israël construit une prison et nous sommes assez humains pour la transformer en œuvre d’art. C’est notre cadeau à l’humanité. Transformer la peine en beauté est une façon de résister à l’oppression.

Pensez-vous que cette peine dont vous parlez a contribué à faire de vous un réalisateur ?
Andoni : Le cinéma ça n’est pas un choix mais un talent qui se développe en fonction des circonstances. Donc j’utilise ce talent. Il y a deux identités dans mon film. Une identité d’auteur très forte et une identité collective, palestinienne. Avant d’aller à Berlin, j’ai montré mon film en Palestine. J’avais un peu peur qu’il ne soit pas accepté à cause de la nouveauté du langage cinématographique qui n’intègre aucun discours héroïque. Mais le film fut extrêmement bien reçu et il est montré aujourd’hui à travers tout le pays. Vous ne savez pas ce que ça représente pour moi que le groupe auquel j’appartiens accepte, et même embrasse, mon individualité cinématographique.

Cette année, la Palestine avait pour la première fois son pavillon au Festival de Cannes. Différents rassemblements y ont été organisés en réaction aux événements de Gaza, de même qu’un moment de silence. Vous y étiez.
Andoni : J'y étais et j’ai été un acteur de cette rébellion, nous avons organisé plusieurs réunions. Par chance, notre stand n’était pas loin du pavillon israélien et on a pu constater que les artistes sont des humains qui ne pensent pas business et opportunisme. Ils connaissent la réalité de l’occupation, ils ont le sens de la justice. Des centaines de gens sont venus au pavillon palestinien pour manifester leur soutien et leur solidarité. Donc j’ai espoir que la Palestine aura sa victoire. Je suis optimiste. Je n’ai jamais entendu parler d’un état de colonialisme ou d’apartheid qui durait pour toujours.

> Ghost hunting. 4/6, 21.00, Bozar, en présence du réalisateur

> Palestine with love. 3 > 10/6, Bozar, & Cinéma Galeries

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