À 26 ans seulement, Kit Armstrong a déjà vingt années de concerts derrière lui. Cet automne, Bozar invite à trois reprises le surdoué de la musique: l’occasion de découvrir les différentes facettes de ce pianiste, organiste et compositeur.
© Irene Zandel
Kit Armstrong (1992, Los Angeles) choisit de s’entretenir avec nous en français, une des nombreuses langues que parle le génie musical et détenteur de plusieurs diplômes en mathématiques pures. Sa carrière est jalonnée de défis, dont le plus original est sans doute l’acquisition d’une église Art déco non loin de nos contrées. Mais son premier concert à Bruxelles relève aussi du tour de force. Passer du piano à l’orgue pendant le même concert, est-ce monnaie courante ? « Ce sera une première. J’ai donné mon premier concert ‘officiel’ à l’orgue il y a deux ans seulement. Pour des raisons pratiques, c’est assez rare. Une église héberge souvent un bon orgue mais pas un piano de la même qualité. La situation inverse se présente pour les salles de concert. Mais l’inauguration de l’orgue à Bozar a changé la donne. Quand on a la chance de pouvoir jouer dans cette salle dotée d’un magnifique instrument récemment rénové, il faut en profiter. »
« La séparation artificielle entre musiciens a également son rôle à jouer. En musique classique, on est supposé choisir entre être pianiste ou organiste. Mais autrefois, on ne faisait pas cette distinction. Camille Saint-Saëns ou Franz Liszt étaient à la fois les meilleurs pianistes et organistes de leur temps. »
Kit Armstrong est aussi compositeur depuis sa plus tendre enfance. À l’âge de six ans, il dédie une Chicken Sonata à sa poule. Sa dernière composition, un concerto pour orchestre et percussions, a été commandée par un festival allemand de renommée.
« Composer et jouer: je ne fais pas ça pour faire la révolution ou pour me lancer un défi. Quand je lis une composition, je ne sais jamais si c’est le compositeur ou le musicien qui la découvre. Cette intégralité, j’aimerais la communiquer à mon public. Aujourd’hui, on aime énumérer les nombreuses qualités de Franz Liszt: compositeur, pianiste, organiste. Mais pour lui, ces activités formaient un tout lui permettant de s’exprimer à travers sa musique.»
Dans son récital dédié à Liszt, Kit Armstrong s’attaque aux morceaux les plus grandioses du compositeur comme une sonate monumentale pour piano et une fantaisie délirante à l’orgue. Comment guider le public à travers ces œuvres de grande envergure? « Il m’arrive de concocter un concert comme une suite de petites pièces, avec des moments de détente pour le public. Au dix-neuvième siècle et pour les morceaux de Liszt, ça n’avait rien à voir. Il fallait combiner les mouvements et il n’y avait pas de place pour les petites pauses. Liszt est un des compositeurs qui a investi le plus d’énergie à réaliser cet idéal: un discours continu. Et en tant qu’interprète, j’espère emmener le public dans cette continuité. »
Le passé à jour Recherche et originalité ponctuent les choix de Kit Armstrong. Comment compose-t-il un programme de concert ? « Dans un programme type, la soirée débute par Mozart, se poursuit avec Chopin pour terminer avec une pièce virtuose, ça fait aussi partie de mes activités professionnelles. Si ça plaît, c’est déjà ça. Je trouve que les musiciens actuels ont tendance à devenir arrogants. Dire que la musique est une chose importante au point de ne plus devoir justifier sa pertinence, je ne suis pas d’accord. Par le biais de mes concerts, je défends l’actualité d’une musique, même si elle a été écrite dans le passé. On est là pour servir l’œuvre,
pas pour vendre une autre interprétation. Cette distinction est difficile car on ne travaille pas dans le vide, on est entouré d’autres interprétations. Je repense souvent à une phrase du compositeur George Benjamin. ‘Dans une œuvre musicale, il faut créer un monde, le peupler de vie et de personnages, et puis le faire disparaître.’
Le label d’enfant prodige a surtout aidé les journalistes à vendre leurs articles
Sur le moment la musique doit être forte au point de faire oublier tout le reste. » Le jeune Américain de Los Angeles aux origines taïwanaises mène désormais une vie de musicien itinérant. Il a posé ses valises à deux pas de chez nous. Dans la campagne de l’Aisne où il est propriétaire d’une église. Un lieu de retraite ou de réunion? « Depuis cinq ans, j’y organise concerts, conférences et expos. On a l’intention d’y créer un centre culturel axé sur la musique. L’église de Hirson est à vingt kilomètres de Chimay. L’occasion pour les Belges de combiner un concert avec une visite de cette belle région. J’ai pu transformer une partie de la sacristie en appartements: six chambres et une belle cuisine, ça permet d’inviter des amis musiciens pour répéter dans de bonnes conditions. Actuellement, j’ai en résidence un quatuor suisse avec qui nous allons faire de la musique sur le thème de la Première Guerre mondiale. Il y a, bien sûr, un piano de concert et j’espère y installer aussi un orgue pour réunir les mêmes conditions qu’à Bozar. » Des carrières conjointes de pianiste, organiste et compositeur ou encore l’acquisition d’une église, vous aimez les projets qui sortent de l’ordinaire ? « Souvent je me reconnais dans mon public. Je choisis les projets que j'apprécierais en tant que public. Dans les années à venir, l’église de Hirson représente un grand pari: redonner vie à ce monument historique avec son architecture Art déco en béton armé et dotée d’une rosace impressionnante. » 26 ans, l’âge pour se débarrasser de l’étiquette d’enfant prodige? « Je crois que le label d’enfant prodige a surtout aidé les journalistes à vendre leurs articles. Et tant mieux pour eux! Et si cela m’offre la possibilité d’avoir un public avec qui communiquer mes passions, c’est déjà une belle récompense.»
> KIT ARMSTRONG. FRANZ LISZT ON PIANO & ORGAN. 4/10, 20.00, Bozar
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