© Eliot Lee Hazel

Tune-Yards : Chants ralliement

Nicolas Alsteen
© BRUZZ
19/03/2018

De retour sous le fanion de Tune-Yards, Merrill Garbus et son compagnon Nate Brenner enregistrent un album favorable au changement. Entre électro, soul et mélodies métissées, la musique du duo vole au secours de l’humanité. Désillusions politiques et contradictions citoyennes sautillent ici sur des chansons qui donnent envie d’y croire. Que des notes d’espoir.

Depuis une dizaine d’années, Merrill Garbus se déguise en Tune-Yards pour agiter la pop avec des frous-frous africains, quelques beats hip-hop et des idées complètement folk. En 2018, la Californienne se réinvente aux côtés de son partenaire Nate Brenner. Femme mariée, mais libérée, elle signe I can feel you creep into my private life. Album remuant et engagé, ce quatrième essai s’attaque à tous les défauts de l’humanité avec un sens du groove renouvelé et une énergie décuplée. Inégalités raciales et sociales, désastres écologiques ou économiques viennent alimenter douze morceaux enracinés au cœur des traditions afro-américaines. Soul, jazz, R&B et hip-hop fusionnent ici avec des influences musicales piochées sur les routes kényanes et haïtiennes. Vibrant, riche en émotions et en particules électroniques, ce disque porte un regard critique sur l’époque.

1607 Tune-Yards
© Eliot Lee Hazel | Tune-Yards

La calligraphie de votre nom de scène a évolué au fil du temps. À vos débuts, minuscules et majuscules se mélangeaient pour former le mot tUnE-yArDs. Aujourd’hui, l’écriture s’est normalisée. Une explication ?
Merrill Garbus
 : Parfois, on accorde trop d’importance à des détails. Par le passé, ça me semblait fondamental d’écrire tUnE-yArDs. Visuellement, je trouvais ça cool. Désormais, je m’en fous. Je pense que cette calligraphie englobait une certaine naïveté et un peu de bizarrerie. À présent, mon approche est plus sérieuse, moins jouette. Je me focalise davantage sur le fond que sur la forme. Les gens sont libres d’écrire Tune-Yards comme ils l’entendent. Il n’y a plus de règle.

Votre nouvel album s’intitule I can feel you creep into my private life. Est-ce une critique du monde dans lequel nous vivons ?
Garbus 
: Aujourd’hui, nous sommes surveillés, contrôlés en permanence. Nous bénéficions des progrès technologiques, mais cela passe par des sacrifices. I can feel you creep into my private life fait écho à la vie moderne: un monde où chaque individu est géolocalisé par ses appels téléphoniques, un paiement bancaire ou un like sur Facebook. La technologie évolue avec ses bons et ses mauvais côtés. Moi, par exemple, je tire profit de nouveaux outils électroniques pour composer mes chansons. À côté de ça, il y a le revers de la médaille. Mes données personnelles sont collectées et je reçois chaque jour de la publicité ciblée en surfant sur Internet.

Le titre de votre album renvoie-t-il à d’autres problématiques contemporaines ?
Garbus 
: Initialement, ce titre découle d’un malaise personnel. Ces derniers mois, j’avais l’impression d’être rongée par un mal invisible. Pour me soigner, j’ai commencé à pratiquer la méditation dans un centre bouddhiste d’Oakland. À l’origine, je voulais focaliser mon attention sur les violences faites à la communauté afro-américaine. J’étais persuadée que ces événements m’affectaient de l’intérieur. La méditation m’a aidée à prendre conscience de la situation : j’ai grandi dans une société où le racisme est quasi institutionnalisé. Légalement, la ségrégation n’existe plus aux États-Unis. Dans les faits, elle est toujours d’actualité.

La chanson Heart Attack se termine sur ces mots: « I’m only human ». Que voulez-vous dire par là ?
Garbus
 : Cette chanson est en partie inspirée par Sapiens, un livre écrit par Yuval Noah Harari. Dans cet ouvrage, l’auteur retrace l’histoire de l’humanité. C’est bouleversant… Gamine, je pensais que l’homme était naturellement bon, doué d’amour et d’empathie pour son prochain. Après avoir lu ce bouquin, mon point de vue s’est inversé. Depuis que je vois les choses sous cet angle, j’ai vraiment envie de faire évoluer l’humanité.

Dans les paroles de Home, vous insistez sur la nécessité de comprendre le passé pour dégoter des solutions d’avenir. Quel est le point de départ de cette réflexion ?
Garbus
 : Les profs belges enseignent-ils la véritable histoire coloniale du Congo aux élèves ? Aux U.S.A., les écoles éludent systématiquement la notion d’esclavage. Si l’enseignement officiel d’un pays fait abstraction de certains chapitres de son histoire, des dysfonctionnements surgissent forcément à un moment ou l’autre. Aux États-Unis, les non-dits se sont accumulés pendant des années. Aujourd’hui, certains se désolent de la montée en puissance du suprémacisme blanc. Mais cette idéologie a une histoire. Elle est ancrée dans la société américaine. Dans Home, je chante les illusions d’une société et l’urgence de dire la vérité, de raconter une histoire qui repose sur des faits.

La pollution et le réchauffement climatique sont aussi des sujets qui traversent les chansons de votre album… C’est une problématique qui vous touche de près ?
Garbus
 : Je vis en Californie. Entre les coulées de boue et les feux de forêt, il me paraît inconcevable d’accepter la position américaine sur l’accord de Paris.
Le problème, c’est que les U.S.A. fonctionnent selon les logiques du système capitaliste: un système qui repose sur la production de déchets, un système qui génère du gaspillage à grande échelle. La consommation de masse génère des tonnes de détritus. Si nous voulons continuer de vivre sur cette planète, il va falloir modifier nos comportements. Cela passe par les habitudes de consommation, mais aussi par une métamorphose de nos idéologies consuméristes.

> Tune-Yards. 22/3, Botanique

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