Weyes Blood: une grenouille dans l'eau bouillante

Tom Zonderman
© BRUZZ
30/04/2019
© Brett Stanley

Le documentaire Une vérité qui dérange a retenti en elle tel un réveil brutal, mais depuis lors, Natalie Mering contient la peur avec l’espoir. Tout comme sur son majestueux nouvel album Titanic Rising. « Je ne me sens plus accablée. »

« Cela devait ressembler à un synthétiseur au fond de l’océan », déclare Natalie Mering, alias Weyes Blood, à propos des quinze premières secondes de A Lot’s Gonna Change, la chanson qui ouvre la voie à Titanic Rising. Ce sont des secondes sinistres qui donnent le ton à l’album: après tout, nous naviguons vers notre propre naufrage comme un Titanic. « Seulement, nous n’allons plus entrer en collision avec un iceberg, mais nous nous noierons après avoir fait fondre toute la glace du monde. » Pour l’auteure-compositrice-interprète américaine âgée de 30 ans, le Titanic est le symbole de l’hubris humain. « Nous sommes comme une grenouille dans une casserole d’eau: si vous portez l’eau lentement à ébullition, elle y restera sans bouger jusqu’à ce qu’elle meure. Titanic a été un tel blockbuster avec son histoire intemporelle. Et pourtant, il n’a pas rendu nos dirigeants plus intelligents. Les films sont nos mythes contemporains mais nous n’en apprenons rien. »

Est-ce le destin de tout art ? « Je peux réconforter les gens et les faire regarder à l’intérieur d’eux-mêmes. Mais lorsqu’il s’agit d’influencer à plus grande échelle, je crois en ce que dit à ce sujet (le réalisateur de documentaires britannique) Adam Curtis: on prêche pour sa propre église. Je ne pense pas que ma musique ait le pouvoir de donner de nouvelles idées à quelqu’un du mouvement Alt-right, par exemple. Mais qui sait ? Il y a l’effet papillon, non ? »

Nouvelle naissance
Mering a grandi dans une famille de chrétiens évangéliques régénérés en Pennsylvanie. Elle ne pouvait pas leur parler du changement climatique. « Ils ont une vision médiévale de la réalité », dit-elle. « Je me suis rebellée contre ça. Depuis, je vois tout ça de façon moins négative. Je suis athée, mais j’ai un patchwork spirituel sur lequel je peux compter. Je me suis surtout plongée dans le travail de Joseph Campbell et Carl Jung, qui ont étudié la psychologie des mythes. Je ne peux pas seulement jouer la carte du scepticiesme scientifiquement fondé. Ce n’est qu’un point de vue. »
Malgré les sentiments de confusion et d’impuissance, Titanic Rising n’est pas un album sombre. « J’ai longtemps été déconcertée, mais je ne me sens plus accablée. Sans espoir, on ne peut avancer. » Espoir exprimé à travers une pop majestueuse et orchestrale des années septante. « La société de consommation nous fait croire qu’on est sans cesse en train de découvrir de nouvelles saveurs alors qu’on a tellement à apprendre du passé. La période de Judy Carland, au cours de laquelle le jazz et le classique se sont fécondés, par exemple. Ou les années quarante, quand beaucoup de gens avaient l’impression que la fin du monde était proche. Olivier Messiaen, alors prisonnier de guerre, a composé sur un violoncelle à une corde et une clarinette avec une clé cassée des morceaux noirs comme la nuit pour la fin des temps. Quel engouement ! »

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