Interview

Le printemps éveillé d'Armel Roussel

Sophie Soukias
© BRUZZ
25/04/2018
© Hubert Amiel

Armel Roussel, metteur en scène confirmé à ne pas lâcher d’une semelle, adapte une pièce de Frank Wedekind ayant fait scandale à sa sortie en 1891. Dans L’Éveil du Printemps à voir au Théâtre National, les questionnements sur la sexualité d’adolescents du 19e siècle prennent aux tripes le spectateur d’aujourd’hui. « Cette pièce n’a jamais quitté ma table de chevet ».

« On est excité comme un soir de première », s’enthousiasme Armel Roussel sur Whatsapp depuis Tallinn où son spectacle sera joué dans quelques heures à peine. Après un passage à Rouen et une escale dans la capitale estonienne, L’Éveil du Printemps retrouve le chemin de sa Belgique natale. Dans un style énergique et rythmé, soutenu par la fraîcheur du duo musical bruxellois Juicy, le metteur en scène basé à Bruxelles continue d’explorer la figure de l’adolescent en adaptant une pièce, longtemps censurée, du dramaturge et poète allemand Frank Wedekind. Près de 130 ans après, le texte qui aborde sans tabou les pulsions sexuelles, l’homosexualité, le suicide, la religion et l’avortement, n’a pas pris une ride ou presque. Dans une bourgade de l'Allemagne puritaine et austère de la fin du 19e siècle, des adolescents sont confrontés à la naissance de leurs désirs.

L'Eveil du Printemps
© Hubert Amiel | L'Eveil du Printemps

Une pièce qui date d'il y a plus de cent ans nécessite-t-elle forcément d'être actualisée?
Armel Roussel: Les questions humaines qui font la force de L’Éveil du Printemps n’ont pas d’âge: la pulsion, le rapport à la pudeur, le rapport au corps, le rapport au désir. Certes les moyens de communication, l’accès à l’information et le rapport aux parents ont changé. Mais ça ne modifie pas le thème de départ qui est l’amour et le désir. Je ne voulais pas actualiser la pièce. Par contre, j’ai peut-être un peu modernisé le langage. L’énergie et l’esthétique, elles, sont très contemporaines et très jeunes car la plupart des personnages centraux sont des adolescents.


Aujourd'hui, nous sommes persuadés de s'être débarrassés de la plupart des grands tabous qui ont hanté les générations précédentes. Un leurre?
Roussel: Je ne crois pas du tout qu’on se soit débarrassés de ces tabous. Je pense qu’ils se sont déplacés. Je ne pense pas qu’internet, la pornographie, etc., aient rendu les gens plus libres et plus épanouis que dans le passé. Je ne crois pas non plus que ces outils aient favorisé le dialogue entre parents et enfants qui reste encore difficile. Dans notre société, ça n'est pas spécialement facile pour tout le monde de pouvoir s’aimer librement. Il y a une scène dans L’Éveil du Printemps où deux garçons s’embrassent. Alors que la pièce compte des scènes sexuelles et physiquement violentes, la seule partie qui provoque le dégoût et le rejet chez les jeunes en France, où l’on vient de jouer, c’est quand les deux garçons s’embrassent. On trouve également dans la pièce une grande résonance avec la mouvance #metoo et #balancetonporc.

Je ne crois pas du tout qu’on se soit débarrassés des tabous. Je pense qu’ils se sont déplacés.

Armel Roussel

Le film de Michael Haneke Le Ruban Blanc (couronné de la Palme d'or à Cannes) se déroule dans un contexte très similaire. Un village allemand au tournant du XXe siècle gangrené par le puritanisme et où rôde la mort. Une source d’inspiration ?
Roussel:
D’un point de vue esthétique, le spectacle ressemble plus à du Tarantino qu’à du Haneke. Parce qu’il y a quelque chose de très joyeux et de très énergétique. Tarantino travaille sur des sujets très graves tout en conservant un humour et une forme de distance. Je rejoins Haneke sur les questions politiques. C’est politique de parler de religion, de comment on se définit, de cohabitation sociale. Il y a deux adolescents centraux dans la pièce. Un qui va essayer de suivre toutes les règles que la société lui impose et ne parvenant pas à suivre la cadence, il finira par se suicider. L’autre, plus distancé et autonome, fera le choix de vivre. Au moment de sa sortie, la pièce a fait un scandale monumental. Moi je ne cherche pas du tout à faire scandale, par contre, j’ai voulu qu’on soit très libres dans le spectacle, qu’on ne s’interdise rien.

Qu'avez-vous choisi de montrer ou, au contraire, de ne pas montrer ?
Roussel: Je pense qu’on a été à la fois explicite et très délicat. Il y a des scènes de nu, il y a des scènes de sexualité qu’on représente. On s’est posé la question de l’utilisation du hors cadre, comme chez Haneke d’ailleurs. En 2018, j’aurais trouvé ridicule de cacher certaines choses. C’est comme si ça n’était ni caché, ni montré : c’est.

L'Eveil du Printemps
© Hubert Amiel

Le climat de la pièce est sombre mais Wedekind ne se prive pas de touches humoristiques pour autant. Vous non plus?
Roussel: Wedekind a vu plusieurs fois sa pièce montée au début du XXe  siècle, et il a notamment écrit qu’il attendait impatiemment les metteurs en scène qui allaient comprendre qu’il s’était acharné à mettre de l’humour dans chacune des scènes de la pièce, quelle que soit la tragédie qu’elle habitait. C’est là que se situe le moteur de l’émotion. Même si les sujets abordés sont très durs et très tristes, il y a toujours une pointe de malice. Parce qu’il ne s’agit pas de la réalité non plus, ce que l’on raconte a lieu sur scène.

La musique est assurée par le duo Juicy dont les chansons rencontrent des préoccupations identiques à celles traitées dans la pièce, notamment le rapport au corps féminin. Pas de hasard ?
Roussel: Pas de hasard du tout. Même si j’ai découvert dans un second temps que Julie Rens et Sasha Vovk intégraient ces questions dans leurs compositions. Quand je les ai rencontrées, elles ne faisaient que des covers. Ce sont de très bonnes musiciennes et le type d’énergie qu’elles dégagent collait avec le spectacle. Elles sont sur scène pendant presque toute la durée de la pièce. Elles y jouent des covers, des compositions exclusives et des morceaux de leur nouvel album.

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