Interview

Sam Touzani sur son nouveau one man show

Sophie Soukias
© BRUZZ
20/12/2016
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Briseur de tabous au verbe provocateur, Sam Touzani réaffirme sa pensée subversive et ses inquiétudes face à la montée de l'intégrisme dans son nouveau one man show Liberté, égalité, Identité. Quitte à s'aliéner la communauté musulmane. "Toujours à contre-courant ou à contre-coran, jamais dans la pensée dominante et jamais dans la bien-pensance."

Idole des jeunes et symbole de la diversité, Sam Touzani - l'enfant de Molenbeek devenu le premier animateur télé d'origine maghrébine - faisait l'unanimité il y a 25 ans. Depuis, l'eau a coulé sous les ponts et ce nom qui jadis se voulait rassembleur est aujourd'hui générateur de divisions et de crispations, en témoignent les affiches de son spectacle avec Ben Hamidou Les Enfants de Dom Juan fraîchement arrachées des murs de Molenbeek.

Que s'est-il passé ? Le vent a tourné pour Sam Touzani il y a une dizaine d'années, lorsque l'humoriste s'est mis à dénoncer dans ses spectacles les dérives de la religion et l'intégrisme rampant (Allah Superstar en 2005, Liberté, Égalité, Sexualité en 2006). Des attaques frontales à l'Islam - mais aussi aux autres religions monothéistes - au ton provocateur et irrévérencieux dans la droite lignée de Charlie Hebdo. "Il faut pouvoir se moquer de tout, y compris de l'Islam, y compris du sacré", explique Sam Touzani qui se définit comme un "laïc, féministe, antiraciste et progressiste convaincu".

Une vision sans concession qui fait l'ambivalence du personnage et qu'il continue, malgré une douloureuse traversée du désert et des menaces de mort régulières, d'affirmer le poing levé, quitte à heurter. La preuve en est son nouveau one man show qui ouvre l'année 2017 au Théâtre Le Public à Saint-Josse. Liberté, Egalité, Identité se présente comme un condensé réactualisé et augmenté de spectacles qui avaient fait polémique il y a dix ans. "Ceux-ci n'avaient pas été totalement compris à l'époque, aujourd'hui le public est prêt à les entendre". Retour sur le parcours d'un ovni.

À vos débuts, vous incarniez le dialogue interculturel. Aujourd'hui, la communauté musulmane s'est détournée de vos spectacles.
SAM TOUZANI: Ma présence à la télévision a eu un impact sur la communauté. À chacun de mes spectacles, je remplissais la salle dont un tiers de spectateurs d'origine maghrébine. J'ai été l'un des premiers à avoir un public métissé. Les gens adoraient One Human Show (2002, NDLR) alors que c'était quand même déjà critique parce que je faisais un défilé de burqa haute couture et que j'ai écrit le spectacle au lendemain du 11 septembre.

Ensuite, je suis venu avec Gembloux, à la recherche de l'armée oubliée sur les tirailleurs marocains. Les gens ont adoré! Mes problèmes ont commencé en 2005 quand j'ai monté Allah Superstar, mes affiches au Théâtre de Poche étaient déchirées, j'avais cinquante mecs qui m'attendaient à la sortie. Et là, j'ai senti que les revendications identitaires étaient de plus en plus violentes. Pendant des années, je n'ai pas dénoncé parce que je ne voulais pas faire le nid des populistes.

J'ai reçu plus de mille menaces de mort. J'étais coincé entre les islamistes qui étaient à l'époque un épiphénomène, ceux que je nomme les "islamo-gauchistes" qui me reprochaient mon intolérance envers les religions, et les racistes et les populistes de l'autre côté. C'est là que j'ai commencé à être abandonné, y compris par mes amis de gauche. Ça a été une période très difficile parce que j'étais isolé, je le suis encore mais un peu moins.

Dans votre spectacle, il est question d'identité. Cet isolement dont vous parlez, a-t-il été accompagné d'une crise identitaire?
TOUZANI: Non, parce que ma crise identitaire s'est étalée sur 25 ans, elle n'a pas été frontale. C'est d'ailleurs l'objet de mon travail artistique. Je suis camusien et Camus dit "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde". À travers mes spectacles, je me suis efforcé de bien nommer les choses. Quand j'ai commencé à dire : "c'est un attentat islamiste, antisémite", les gens se sont offusqués et m'ont accusé de monter les communautés les unes contre les autres.

Sous prétexte que l'Islam est la religion des damnés de la terre, on lui trouvait toutes les circonstances atténuantes, les politiques en premier qui jouent la carte du communautarisme à des fins électoralistes. La Turquie a une emprise avec Erdogan sur la communauté turque via Emir Kir (bourgmestre de Saint-Josse, NDLR). Le Maroc a une influence sur la communauté maghrébine. Dès 1964, il n'y a pas eu de véritable politique de mixité et d'intégration.

Ce que le pouvoir politique en Belgique n'a pas compris, c'est qu'avec leurs accommodements raisonnables, à force de créer des particularismes effrénés, ils remettent en cause le principe même d'égalité. Le problème c'est que les seuls qui osent le dire à voix haute sont les gens de tendance d'extrême droite, et je refuse d'être associé à ces personnes dont je combats les idées. Je n'ai personnellement aucun problème avec l'Islam. J'ai un problème avec son fan-club.

La civilisation berbéro-musulmane est riche et fait partie de ma culture. Si seulement les gens prenaient la peine de lire le Coran! Aujourd'hui, il y a ce qu'on appelle des philosophes et des intellectuels de l'Islam des Lumières comme Rachid Benzine. Ce sont des gens qui ont pensé l'Islam du 21e siècle. Ils prennent l'Islam non pas comme un objet de croyance mais comme un objet de savoir, à partir de ce moment-là il est critiquable.

Même si Liberté, égalité, Identité est joué à Saint-Josse, il y a peu de chance que votre public soit métissé. Ne craigniez-vous pas de prêcher les convaincus?
TOUZANI: Il est vrai que je suis passé de 35 % de spectateurs d'origine maghrébine à mes débuts à 10 % puis à 5 % aujourd'hui. Mon spectacle passe beaucoup mieux en province. Ce qui se passe, c'est que je ne peux concevoir un spectacle sans y intégrer des éléments subversifs, sans toucher aux tabous comme la religion, l'égalité homme-femme, l'exploitation de la femme par le religieux. Mon métier pour moi, c'est ce qui fait sens. C'est une question de vie ou de mort.

Maintenant, si la communauté maghrébine ne vient pas à mes spectacles c'est aussi parce que le Maroc s'applique à me discréditer depuis 20 ans. Aujourd'hui, si vous allez à Schaerbeek vous allez voir ce que les jeunes vont vous répondre en entendant mon nom. Mais ça ne signifie pas que les choses ne peuvent pas changer. Il ne faut pas oublier que les islamistes ont perdu une grosse guerre avec les attentats de Paris et Bruxelles.

Les musulmans sont les premières victimes de l'islamisme dans le monde arabo-musulman. Le jeune comprend très bien ce qui se passe. Là où le politique échoue, l'artistique peut y arriver. En tant qu'artiste, je peux me permettre d'avoir une vision à long terme, je n'ai pas un mandat de quatre ou six ans.

Il existe aujourd'hui un théâtre qui s'adresse à la communauté musulmane.
TOUZANI: Depuis une dizaine d'années, on voit émerger des gens issus de la communauté se revendiquant musulmans et qui font aussi de la culture, et j'applaudis très fort. Sauf qu'ils font ce que moi j'appelle du théâtre "hallal". Djihad d'Ismaël Saïdi - que j'ai soutenu au début - en est un bon exemple car sa pièce, poussée par le politique et soutenue par le Maroc, fait l'économie de toute une série de choses dont on ne peut pas parler, pas remettre en question.

Et donc en apparence ça a l'air chouette, ils s'expriment. Mais c'est extrêmement dangereux, parce que ça ne fait qu'encourager le communautarisme. Plutôt que la diversité, je préfère l'égalité. Si tu es mon égal et que je suis ton égal, tu vas pouvoir me parler de ta différence culturelle, sexuelle.

Mais sommes-nous tous égaux dans la pratique? Quid du racisme et des facteurs socio-économiques?
TOUZANI: Oui, il y a de cela bien sûr. Mais il n'y a pas que ça. D'abord, nos parents, ça n'est pas nous. Nos parents étaient pauvres, aujourd'hui nous ne sommes pas pauvres, même s'il y a des gens exclus, ça n'est pas comparable. Même si le délit de faciès et la discrimination à l'embauche existent. Les boulots dévalorisants quand tu t'appelles Mohammed, c'est une réalité mais ça ne peut pas expliquer qu'un jeune de 20 ans aille se faire exploser en Syrie.

Ce qui explique ça, c'est l'idéologie fasciste, c'est l'emprise des pays étrangers sur la Belgique, l'importance des dégâts causés par l'islamisme sur les jeunes. Je le dis dans mon spectacle, Hassan II a toujours refusé l'intégration des Marocains. Ça a fait des dégâts énormes sur plusieurs générations. Des gens comme Tariq Ramadan disent : "Vous ne serez jamais Belges, vous ne serez jamais Français, vous êtes d'abord musulmans". Il faut avoir conscience que les facteurs sont multiples.

Après les attentats de Charlie Hebdo, les médias sont venus vous chercher. Vous êtes devenu le bon élève de l'intégration. Vous n'avez pas eu peur d'être récupéré?
TOUZANI: On m'a donné une carte blanche et j'ai pu m'exprimer. Beaucoup de gens me découvraient, ne savaient pas qui j'étais. Ça a été énorme sur le plan pédagogique. Aujourd'hui, je suis moins isolé car j'apparais comme une alternative crédible, plausible. Tout à coup, on a quitté le pathos pour amener un peu plus de logos. Bien évidemment, j'ai des doutes. Je n'ai pas de réponses. Mon métier c'est de questionner. J'ai conscience de marcher sur des œufs. Ceux qui dirigent les projecteurs sur vous un jour, peuvent très bien les couper le lendemain.

> Liberté, égalité, identité. 07/01 > 04/02, 20:30, Théâtre Le Public, Saint-Josse-ten-Noode

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