Dans l'antre d'artistes : Faber Lorne

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
07/03/2014



« Je rêvais d’autre chose. Mais il fallait que je m’en rende compte », explique Faber Lorne. Quand on veut changer de vie, il faut du courage pour se jeter à l’eau. Pour devenir forgeron, il faut passer à l’action.

Qu’y a-t-il dans un prénom ? À lire les sites internet qui y sont dédiés, consultés fiévreusement par de futurs parents hésitants, angoissés à l’idée de prendre une mauvaise décision, il serait déterminant. Vis-à-vis de cela, et même pour ceux qui pensent que c’est de la foutaise, le cas de Faber Lorne est troublant. « Faber n’est pas le prénom que mes parents m’ont donné », explique l’artiste bruxellois, « c’est celui que mes amis m’ont donné quand j’avais 13 ans. Aujourd’hui, même mon père m’appelle Faber. En latin, faber, fabri, c’est ‘l’ouvrier’ ou ‘celui qui œuvre avec art’. Il s’avère que j’ai été ouvrier pendant longtemps et qu’en 2009, à la suite de chocs psychiques et physiques, j’ai décidé de manière arbitraire de devenir artiste. Je suis passé d’une définition à une autre, j’ai changé de boîte à outils ».
Si Faber Lorne a laissé un petit bout de lui-même et de sa santé dans sa vie d’ouvrier, en retour, celle-ci imprègne fortement et visiblement sa pratique de plasticien. Il suffit de voir les photos de son installation l’année dernière au Speedy Wash, l’ancienne wasserette de Forest reconvertie en espace d’exposition : au-dessus d’un tas de sacs de sable flotte un nuage orange fluo, fait de couches successives de treillis en plastique, ces barrières ajourées, souples et pas chères, que l’on dresse autour des zones de travaux. « Les premières pièces en treillis que j’ai réalisées, c’était du treillis récupéré sur chantier, des trucs sales que je devais nettoyer. Plus tard, j’ai pu m’en acheter un rouleau. J’ai aussi souvent utilisé des palettes de chargement. Dans mon travail, on retrouve beaucoup de la précarité mentale et de la précarité économique qui ont pu être les miennes. J’ai été très heureux avec très peu et j’ai toujours produit en fonction de ce que j’avais. C’est d’ailleurs ce qui m’a réussi. Je crois que le manque de moyens pousse à être inventif et ça, ça n’a pas de prix ».
Les couleurs fluo sont très présentes. Celles qui revêtent les travailleurs bossant le long des routes, celles avec lesquelles on marque de repères les trottoirs ou l’asphalte. Avec ces bombes de peinture fluo et des planches de bois, Faber Lorne a créé a Domestic Tribute To Dan Flavin, en hommage - sans électricité - à cet artiste minimaliste américain connu pour ses installations de tubes au néon. I hope I will have my own installation of neon, some day! « J’espère avoir un jour ma propre installation de néons un jour ! » : c’est le titre-souhait d’une autre œuvre de Faber Lorne réalisée avec ces mêmes matériaux. « Je parle du désir de devenir artiste », dit-il. « Ce désir est constant, permanent, c’est une obsession. Depuis 2011, je ne travaille qu’au travers de personnages inventés. Souvent un personnage allumé, qui pète un plomb, qui fait des trucs qui n’ont pas de sens, qui met en évidence des choses dont tout le monde se fout et qui prend l’œuvre d’art comme objet obsessionnel. J’aime bien les bricoleurs foireux, les peintres du dimanche, les gens qui construisent un bateau dans leur cave, ceux qui ont créé les anciens potagers urbains avec des matériaux de récupération... Qu’est-ce qui fait qu’ils vont produire ça ? Dans les milieux ouvriers, on rêve tous d’une autre vie, de créer des choses intéressantes ou de faire à notre manière, et pas comme le patron ou le contremaître nous y oblige. Je veux interroger nos mécanismes de production et de consommation. C’est aliénant de produire comme on le fait. Gilles Deleuze et Félix Guattari le disaient déjà dans les années 70 ».
Qu’un ouvrier ait lu L’Anti-œdipe signé par ces deux éminents philosophes français, ça ne colle pas tout à fait aux stéréotypes. À ceux qui s’en étonnent, Lorne répond qu’il n’est vraiment pas le seul. « Il y a plus d’un routier qui lit Deleuze, mais on ne le sait pas ». Et de citer le cas de Sixto Díaz Rodríguez, figure centrale du documentaire Searching for Sugar Man (Oscar du meilleur documentaire l’année passée), un simple charpentier en apparence, mais aussi un musicien devenu à son insu une véritable star en Afrique du Sud, au point de contribuer à la montée des mouvements anti-apartheid.
Aujourd’hui, Faber l’artiste forge ses créations au sein du BAMP - pour Brussels Art Melting Pot -, une plate-forme pluridisciplinaire ouverte depuis octobre 2013 à Schaerbeek, qui propose des espaces de répétition aux compagnies actives dans les arts de la scène et qui héberge un atelier collectif occupé par huit personnes œuvrant dans des disciplines diverses. « C’est désinhibant de côtoyer des gens du théâtre et de la performance. Ça libère les gestes et tous ces personnages que j’invente ».
Dans cet espace où flotte un parfum tenace d’émulation, Faber Lorne est bien décidé à empoigner fermement sa nouvelle vie. Fabricando fit Faber.

Photos : © Heleen Rodiers

Commune : Schaerbeek

À voir actuellement à Bruxelles : > 9/3, Prix Médiatine ’14, La Médiatine, www.wolubilis.be. Faber Lorne y a décroché le Prix de la Ville de Bruxelles, ce qui lui vaudra une exposition à la Centrale for contemporary art fin 2014

Expositions récentes (2013) : Diem Perdidi #6 : Machine potagère à effet de serre, Speedy Wash, Bruxelles ; 40 œuvres pour le temps futur (expo collective), Centre Culturel Jacques Franck ; The Story of the Creative (expo collective), See.Me Exhibition Space, Long Island City (USA)

Le Lieu : le BAMP propose des espaces de répétition à louer à la journée ou à la semaine, mais aussi des cours en soirée (yoga, danse contemporaine, méthode Feldenkrais), www.lebamp.com

Info : www.faberstoolbox.com

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