Dans l'antre d'artistes : Walter Swennen

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
07/11/2013

Walter Swennen a toujours pensé être peintre. Poète, il a commencé à peindre avec les mots, avant d’utiliser les images. C’est aujourd’hui l’un des plus grands représentants de la peinture belge, auquel le Wiels consacre actuellement une importante rétrospective.

Tout le monde connaît Mickey Mouse. C’est pour cela qu’Andy Warhol, pape du pop art, l’a peint, comme il a peint Marilyn ou une bouteille de Coca-Cola. Walter Swennen a lui aussi peint Mickey Mouse, récemment. La souris en culotte rouge trône en double exemplaire sur une toile accrochée en bonne place dans son atelier, à l’étage d’une ancienne usine de boutons cachée au milieu du « Bronx bruxellois », pas très loin du canal. Mais si Warhol et Swennen ont peint Mickey Mouse, ce n’est pas vraiment pour les mêmes raisons. Là où Warhol transforme en icône un personnage de la culture populaire, Swennen utilise Mickey comme « portemanteau ».


« Ce sont des images auxquelles chacun peut probablement accrocher une histoire à lui », explique le peintre. « J’ai moi aussi une petite histoire qui se rattache à ça, mais elle reste privée ». Pas question ici d’expressionnisme. « Je n’ai jamais eu le sentiment qu’on avait une vie intérieure qu’il fallait projeter dans ce qu’on fait. Je pense que tout nous vient de l’extérieur et que c’est sur la toile que ça se passe, pas dans l’ego du peintre. C’est la chose même qui compte, pas les histoires. Pour les histoires, on a le langage. Je ne pense pas que la fonction de l’art soit de communiquer. Je crois que peindre, depuis les grottes des hommes préhistoriques, c’est construire un objet qui est offert à la contemplation d’autrui ».
« J’ai longtemps résisté mais la peinture a gagné », déclare Walter Swennen quand on lui demande pourquoi il est devenu peintre. Tombé dedans dès l’enfance, ce Forestois prendra ses distances avec la peinture avant qu’elle ne le rattrape vers ses 30 ans. Autour de 1976. C’est-à-dire à une époque où beaucoup s’étaient détournés des pinceaux et des toiles pour inscrire l’art dans leur corps, dans le paysage ou encore dans des images produites mécaniquement. « Pendant toutes ces années, je n’étais pas du tout au courant de ce qui se passait dans le monde de l’art. Ou très peu. Je m’occupais d’autres choses. J’ai découvert qu’il y avait un renouveau de la peinture dans les années 80, en y participant sans le savoir ». Presque 40 ans plus tard, ses toiles et ses pinceaux sont toujours là. Pas que des pinceaux d’ailleurs, mais aussi des rouleaux, des raclettes… Et pas que des toiles : Swennen a longtemps utilisé les plaques métalliques qui couvraient les cuisinières et qu’il récupérait dans des containers. « Je suis un peu paresseux et j’utilise ce que je trouve. C’est assez agréable de travailler sur une surface très dure. La toile, parfois, ça fait un peu trampoline. En plus, en général, ces plaques ne sont pas du tout abîmées parce que quand on installe la cuisinière, on ouvre la plaque et elle reste telle quelle. J’aime bien l’idée que pendant tout le XXe siècle, tous les ménages avaient un Malevitch dans leur cuisine. Un carré blanc. On a eu un siècle suprématiste ! »
Walter Swennen utilise ce qu’il a sous la main. C’est valable pour le support de ses œuvres mais aussi pour leur point de départ. Pour faire naître la peinture, il puise dans les dictionnaires bilingues, lui qui l’est parfaitement, né à Bruxelles dans une famille flamande, éduqué en français à partir de 5 ans, diplômé en psychologie à l’UCL, installé à Anvers pendant une vingtaine d’année et revenu dans la capitale il y a trois ans. « Chaque langue a ses images propres. Il y a par exemple cette expression en anglais à propos de la lune qui serait un fromage vert. Il suffit de choisir un mot et d’aller voir dans le dictionnaire et vous avez de quoi faire au moins trois ou quatre images ». Quand ses filles étaient enfants, Walter Swennen leur demandait de lui passer des commandes pour ses tableaux. « Un éléphant, un chien et un camion ! »
Il s’est aussi inspiré d’un de ses cadeaux reçus pour la fête des pères, d’une image ambiguë bien connue en psychologie de la perception, représentant à la fois un lapin et un canard (« Pour emmerder les psychologues, je me suis dit que j’allais faire une image où on les voit bien tous les deux »), d’une phrase de Cicéron reprise dans une carte qu’un professeur excédé lui avait envoyée, ou encore de ce devoir d’école primaire gardé par sa mère : dessiner Mickey Mouse, 9/10. « La règle fondamentale en psychanalyse, c’est ‘dites tout ce qui vous passe par la tête’. Lacan avait précisé ‘sans avoir peur de dire des conneries’. Ça m’a permis de me dire que mon but, c’était de peindre n’importe quoi. L’association libre, qui est une forme d’improvisation langagière, m’a servi de fil. Tous mes tableaux sont en fait des improvisations lentes ».
Comme John Coltrane ou Ornette Coleman (l’atelier recèle une belle collection de disques de jazz), Walter Swennen improvise, mais en au moins trois temps. La question est : quand s’arrêter ? « Souvent, c’est fini quand on m’arrête. Quand vous faites un tableau, vous êtes engagé avec lui un peu comme dans une relation de couple. Et comme dans les histoires de couple, quand ça commence à pédaler dans la choucroute, on a besoin d’une tierce personne. J’aime bien qu’il y ait un regard tiers qui se pose sur le tableau, quelqu’un qui ne connaît pas son histoire. Quand je ne sais plus comment avancer, je mets le tableau de côté et j’attends de ne plus savoir ce qu’il y a dessus. Alors je le retourne et je le vois comme si j’étais un spectateur lambda ».
Au fil des improvisations, de tâtonnements en confirmations, les couches s’additionnent et donnent au tableau cette épaisseur mystérieuse qui s’étale derrière les sujets familiers. Une épaisseur qui demande du temps pour tenter de la percer mais qui ne le sera jamais tout à fait. « Un peu comme tout ce qui nous entoure. Il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer, on peut juste les montrer du doigt », lâche le peintre, qui pensait ado devenir philosophe et garder la peinture comme hobby. Finalement, c’est l’inverse qui s’est produit. Tant pis pour la philosophie.

Commune : Bruxelles
À voir actuellement à Bruxelles : > 26/1, Walter Swennen : So Far So Good, Wiels, www.wiels.org
Info : www.nadjavilenne.com

Photos © Heleen Rodiers

Fijn dat je wil reageren. Wie reageert, gaat akkoord met onze huisregels. Hoe reageren via Disqus? Een woordje uitleg.

Read more about: Expo

Iets gezien in de stad? Meld het aan onze redactie

Site by wieni