Ana Moura : la fadiste au-delà du fado

Benjamin Tollet
© Agenda Magazine
08/05/2013
Ana Moura vient à Bruxelles pour présenter son cinquième album Desfado, dans lequel elle décompose le fado, tout en restant fidèle à l’école qui continue à nourrir son quotidien.

La jeune chanteuse portugaise compte parmi ses fans les Rolling Stones et Prince, avec qui elle a collaboré à plusieurs reprises. Comment est-ce possible que ces stars du rock et de la pop sont séduits par une chanteuse de fado ? « Ça c’est à eux qu’il faut demander », nous répond Ana Moura humblement, pendant sa tournée en Colombie. « Je suppose qu’ils en ont marre de toujours écouter la même chose et qu’ils veulent se rapprocher de musiques qui touchent leur âme. Notre musique exprime nos conflits intérieurs. La connexion avec nos sentiments est plus forte que la fidélité à un style de musique. Et puis c’est dans nos timbres de voix hors du commun qu’on s’est retrouvé. » C’est en effet dans son timbre grave et sensuel que réside l’un des secrets de la jeune portugaise, sans oublier son look ravissant.

Mais quand-même, il faut beaucoup d’imagination pour voir le lien entre le rock&roll et le fado ?
Ana Moura : Je ne crois pas . Le rock&roll vient du blues, un genre qui a beaucoup inspiré les Rolling Stones. Le blues et le fado sont des chants qui viennent de nos tripes. C’est le chant de notre âme, notre passion, notre haine, toutes ces impressions fortes. 

Vous êtes une des voix de la renaissance du fado. C’est votre désir de réinventer le fado ?
Moura : Pas vraiment. Dans toutes les domaines, chaque nouvelle génération doit apporter quelque chose de neuf. C’était comme ça pour les anciennes générations, et ça doit rester comme ça. En réalité ce n’est pas mon objectif de renouveler le fado, je suis simplement ce que je veux faire dans la musique. Ça se fait de manière tout à fait naturelle.
Déjà sur votre album Guarda-me a Vida na Mão (2003) votre fado avait une élasticité rare en invitant des musiciens de flamenco. Le fado en soi n’était pas suffisant ?
Moura : Non, c’est n’est pas du tout ça. C’était plutôt une coïncidence. Un soir, les Ciganos d’Ouro, un groupe de flamenco lisboète, sont apparus dans la maison de fado où je chantais. On a commencé à chanter ensemble. C’était tellement beau que je voulais partager ce moment avec tout le monde et ai voulu inclure le croisement du flamenco et du fado sur mon deuxième album.

Votre nouvel album s’appelle Desfado. Vous voulez défaire (desfazer) le fado ?
Moura : Non, ce titre indique qu’il y a tout aussi bien du fado traditionnel que d’autres morceaux sur lesquels je déconstruis un peu le fado. Mais je viens du fado, je suis fadista en âme et esprit, tout en aimant aller au-delà. J’écoute constamment de la musique sur mon iPod en tournée : James Blake mais aussi Nina Simone, Marvin Gaye, Otis Redding.

Vous voulez donc intégrer les musiques qui vous accompagnent ? Vous n’éprouvez pas de résistance des traditionalistes du fado ?
Moura : En fin de compte, tout ce que nous écoutons nous influence inconsciemment. Je suis le cours naturel de ma carrière, sans me laisser influencer ou démotiver par ceux à qui cela ne plait pas. Je rencontre des musiciens en cours de route et j’aime faire de la musique avec eux. J’ai un respect énorme pour le fado traditionnel, mais je veux me sentir libre de suivre mon propre chemin.

Sur cet album on note un tournant dans votre carrière en direction de la musique pop, une influence du producteur Larry Klein ?
Moura : Tout à fait, oui. Et aussi de mon amitié avec Prince. J’ai choisi de travailler avec Larry Klein car il est très inventif et j’apprécie beaucoup les artistes avec qui il travaille, comme Joni Mitchell, Tracy Chapman et Herbie Hancock, avec qui j’ai enregistré le morceau Dream of Fire.

C’est la première fois que vous travaillez avec un producteur étranger ?
Moura : Oui, et j’ai adoré ! En plus Larry s’est vraiment intéressé à la culture portugaise, pas seulement le fado. Il voulait découvrir les musiques folkloriques et les instruments traditionnels. C’est lui qui a suggéré d’enregistrer E tu Gostavas de Mim sur base d’un rythme folklorique du nord du Portugal.

Le morceau Desfado est assez rapide et allègre, un côté du fado qu’on ne connait pas...
Moura : Et pourtant il y a aussi ce côté-là. C’est un fado assez ironique. Rythmiquement, il s’est défait du fado et le son est joyeux, mais au fond il parle du dilemme intérieur qui est propre à tout fadiste. Ce dilemme fait partie de la culture portugaise. Nous sommes très émotionnels, notre état d’âme peut varier très rapidement.

La musique triste est-elle propre à la culture portugaise ?
Moura : Oui, nous sommes émotionnels et contemplatifs. Notre pays est entouré par l’Océan Atlantique, les voyages de mer, les pêcheurs, les marins, tout ça a toujours fortement influencé nos poètes. Cette sensation de nostalgie se retrouve aussi dans le fado.

A Case of You pourrait être une chanson de pop anglaise, mais avec la guitare portugaise. Quelle surprise !
Moura : C’est Larry Klein qui m’a suggéré de chanter en anglais. Je n’y avais jamais pensé, mais je me suis laissée tenter (rires). Si on traduisait le texte vers le portugais, ça pourrait bien être un fado. Le morceau a cette charge.

Thank You me fait penser à Nick Cave, qui a aussi une voix grave...
Moura : C’est vrai. Vous savez, je vais vous raconter un secret. Avant d’enregistrer ce morceau, je voulais vraiment que Nick Cave le chante avec moi. C’est très curieux de vous entendre dire cela maintenant. C’est la partie imprévue des interviews... (rires)

Un morceau a été composé par Antonio Zambujo, autre grand nom de la nouvelle génération de fadistas. Vous vous connaissez depuis longtemps ?
Moura : Oui, on a chanté dans la même maison de fado pendant des années. Je me sens fort connecté avec lui parce qu’il vient aussi du fado traditionnel et a ce côté avant-gardiste et aventurier. Il ne se laisse pas influencer par ce que les autres disent et suit son propre parcours qui l’amène à la musique brésilienne et à celle de l’Alentejo (sud du Portugal, NDLR). Je me retrouve dans cette manière de travailler. Tout le monde devrait suivre son propre chemin.

(Photos © Paolo Segadaes)

Ana Moura • 10/5, 20.00, €27, BOZAR, rue Ravensteinstraat 23, Bruxelles/Brussel, 02-507.82.00, www.bozar.be

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