Ressacs: Et vogue la galère

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
08/01/2015
(© Alice Piemme sous un ciel d’Antoine B.)

Un bateau égaré en mer, un couple qui a tout perdu, sa maison, sa voiture, jusqu’à ses vêtements : c’est Ressacs, la nouvelle création tragi-comique de la compagnie Gare Centrale, qui vient de fêter ses 30 ans. Et force est de constater que sa meneuse, Agnès Limbos, n’a rien perdu de son audace et de sa passion pour le théâtre.
Depuis que je suis toute petite, les objets font partie de mon quotidien. Enfant, j’étais très contemplative, je ne jouais pas avec mes jouets, mais je les regardais. Au départ, je voulais être comédienne et chaque fois que l’objet m’interpellais, je le dénigrais un peu. Mais j’y suis toujours revenue et finalement je me suis dit que ça devait être mon truc ». Bourlingueuse dans l’âme, Agnès Limbos a voyagé aux États-Unis - à la fin de la guerre du Viêtnam - et au Mexique, s’est formée à l’école Jacques Lecoq à Paris et a travaillé dans plusieurs compagnies avant de fonder la sienne en 1984, Gare Centrale, pionnière du théâtre d’objet. Elle crée aujourd’hui Ressacs, un spectacle tragi-comique pour le jeune public (à partir de 13 ans) qui aborde métaphoriquement la crise financière et le colonialisme.

Il y a aujourd’hui un grand engouement pour le théâtre d’objet. Qu’est-ce qui le différencie du théâtre de marionnettes ?
Agnès Limbos : La marionnette est faite pour le théâtre alors que l’objet, lui, est brut. Donc il a un impact direct. Si je prends un petit chalet suisse, par exemple, il ne faut rien raconter d’autre, je ne vais pas faire croire que ça se passe ailleurs, ce ne sera pas possible. Ce sont des objets qui appartiennent à l’inconscient collectif. On travaille sur la métaphore, sur le pouvoir de l’imaginaire à partir d’un objet. Le théâtre d’objet n’est pas un théâtre autoritaire, qui impose, c’est un théâtre qui guide, qui lance des pistes. Son écriture aussi très proche de l’écriture cinématographique : on travaille sur des gros plans, des travellings, des changements d’échelle rapides de l’acteur à l’objet.

Comment naissent vos spectacles ?
Limbos : Je suis une glaneuse et j’ai énormément d’objets à la maison. Je mets tous ceux qui m’intéressent sur une étagère dans mon atelier. Quand ça devient vraiment obsessionnel, je pars de là et je commence un nouveau spectacle. Un spectacle se construit sur une métaphore. Par exemple, Ressacs est parti de l’idée des grandes conquêtes, de Christophe Colomb, parce que j’avais récupéré des caravelles que je trouvais magnifiques. Le bateau à la dérive représente un couple qui a tout perdu, en lien avec la crise financière aux États-Unis.

Vous avez monté de nombreux spectacles seule, mais pour Ressacs, vous avez travaillé avec Gregory Houben. Pourquoi ?
Limbos : Ce sont des opportunités. Je connais Greg depuis qu’il a 6 ans. Nous avons d’abord travaillé ensemble sur Troubles. Greg est trompettiste et j’avais envie d’avoir une trompette dans le spectacle. Je manipulais un petit taxi new-yorkais, il est parti dans un standard de jazz et j’ai trouvé ça très intéressant. C’est né de cette rencontre-là. Greg est musicien, pas acteur. Moi je suis actrice et pas musicienne. On a écrit le spectacle à deux, accompagnés par Françoise Bloch. La dramaturgie se dessine à travers les improvisations. La création est très lente. Je mets toujours au moins deux ans pour un spectacle. Je me documente aussi énormément.

Ressacs est en anglais. Pourquoi ?
Limbos : Depuis Troubles, on parle anglais. Ça permet d’avoir une distance avec l’émotion. Si je dis « Il était une fois » ou « Once upon a time », c’est tout à fait différent. C’est de l’anglais basique et il y a des apartés en français. Et comme l’image est là, même si on ne comprend pas l’anglais, on comprend quand même le spectacle.

La crise financière dans Ressacs, l’abandon dans Dégage, petit !, la vieillesse dans Conversation avec un jeune homme (lire ci-contre)... Vous ne reculez devant aucun thème dans vos spectacles jeune public ?
Limbos : Je ne fais aucun compromis. Il faut arrêter de croire qu’on doit protéger les enfants du monde. On ne peut pas les éduquer sans la conscience de la réalité. J’ai l’impression que le succès de mes spectacles est aussi dû à cette audace-là. Je suis allée pas mal au théâtre dans ma jeunesse et j’ai eu la chance de voir au Théâtre 140 le Living Theatre, Dario Fo, le Teatro campesino, le Bread and Puppet Theater... J’ai vu qu’on pouvait tortiller son corps sur scène, parler de la folie, montrer des vierges éclairées... L’amour, la mort, l’abandon, la répression, le pouvoir... ça m’émeut. Le travail, c‘est d’arriver à l’universalité des propos, de toucher là où ça peut toucher tout le monde, même si bien sûr il y a toujours une part d’expression de soi. Ça me passionne. Je pensais qu’avec l’âge ça allait s’éteindre, mais au contraire, c’est exponentiel. (Rires)


La Gare Centrale en trois arrêts
La compagnie jeune public Gare Centrale a soufflé sa 30e bougie l’an dernier. On a demandé à Agnès Limbos de citer trois de ses créations qui ont particulièrement marqué ces 30 ans.

Petit pois (1987)
« Je faisais mes courses au supermarché, j’ai vu une boîte de petits pois et tout à coup, j’ai eu une image de gens enfermés à l’intérieur, une image de camp de concentration. En rentrant chez moi, j’ai ouvert la boîte et j’ai renversé le contenu sur la table. Je suis partie de là. C’était mon deuxième spectacle et il a énormément tourné. On a même fait une reprise il y a quelques années à la demande d’un festival à Montréal. Du coup, je l’ai rejoué à Bruxelles. Il y a des gens qui sont venus le revoir avec leurs enfants ».

Petites fables (1998)
« Un spectacle que j’ai monté avec Françoise Bloch. C’est une sorte d’état du monde, en quatre fables, sur les clichés de différents pays. Celle sur l’Afrique parle de l’enlèvement d’un bébé éléphant. Tous les animaux se rejoignent pour partir ensemble à sa recherche. Pour celle sur Autriche, je suis partie de la petite comptine Dans sa maison un grand cerf et je me suis demandé ce qui se passerait pour le lapin si le cerf n’ouvrait pas sa porte. C’est un génocide total. À la fin tout est rouge, et plus j’essaie de nettoyer plus il y en a... »

Conversation avec un jeune homme (2011)
« Mon fils Samy avait 16 ans à l’époque et il suivait une formation de danseur classique au Ballet royal d’Anvers. Quand je lui ai dit que je préparais un spectacle sur le corps vieillissant, il m’a dit que ce serait quand même pas mal d’avoir un corps jeune à côté de moi et il m’a proposé de danser dedans. Conversation présente une forme plus éclatée que d’habitude, l’objet est plutôt utilisé comme accessoire. Je suis partie des vanités baroques pour traiter de la mort, de la vieillesse, de la pourriture ».

Ressacs • 13 > 18/1, 20.30 (14/1: 19.30, 17 & 18/1: 15.00), €8/11/15, 13+, Théâtre National, boulevard E. Jacqmainlaan 111, Brussel/Bruxelles, 02-203.53.03, www.theatrenational.be

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