Jeremy Deller, l’enfant terrible du Royaume-Uni

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
08/06/2012
(Open Bedroom (1993) : là où tout a commencé pour Jeremy Deller)

De sa première exposition en 1993, dans sa propre chambre et à l’insu de ses parents, à sa désignation comme représentant de la Grande-Bretagne à la prochaine Biennale de Venise, Jeremy Deller a parcouru bien du chemin. Le Wiels accueille une vaste rétrospective de son œuvre protéiforme mais cohérente, souvent provocante, où stars de l’électro-pop, mineurs, catcheurs et chauves-souris se clashent joyeusement.

Jeremy Deller (Londres, 1966) a la réputation de ne rien faire comme les autres. Pour contourner le cliché de la première salle de toute rétrospective, celle des premiers travaux, celle des influences, « le passage obligé avant d’arriver aux œuvres proprement dites », comme il le souligne lui-même, il a recontextualisé ses premières productions - où germent déjà ses préoccupations et ses intérêts - dans une sorte de reconstitution de sa chambre d’ado : Open Bedroom. C’est là qu’en 1993, alors que ses parents étaient en vacances, il a organisé sa première exposition, utilisant le domicile familial comme galerie. « J’ai vécu chez mes parents jusqu’à 31 ans. Beaucoup trop longtemps », lâche-t-il en boutade. En haut d’un des murs, bien en vue, un message en lettres découpées est lancé au visiteur : « You treat this place like a hotel » (équivalent de notre « tu te crois à l’hôtel ? »), comme un écho d’un reproche parental. On croise aussi dans cette chambre l’Union Jack détourné (« Suburbia »), Keith Moon, le batteur de The Who, les Beatles à travers Paul McCartney et Brian Epstein, manager du groupe disparu précocement. Sur le lit, un autocollant : « God less America ». Les armoires et les tiroirs s’ouvrent et renferment des photos à effet 3D, des t-shirts à slogans, des coupures de journaux… « C’est une sorte de wunderkammer. Ce n’est pas une réplique fidèle, mais ça donne une bonne idée de ce que je faisais à l’époque ». Les toilettes attenantes à la chambre ont elles aussi été reconstituées et garnies de citations de messages philosophico-humoristiques vus par l’artiste dans les toilettes des hommes de la British Library, la bibliothèque nationale du Royaume-Uni. L’un d’entre eux : « Est-ce que dans 1000 ans, Elvis aura remplacé Jésus ? »

Fanfare sous acide

A priori, les brass bands, ces fanfares de cuivres et de percussions tellement répandues en Angleterre (souvenez-vous du film Les Virtuoses/Brassed Off, avec Ewan McGregor), et l’acid house, musique électronique typique de la scène rave, symbolisée par le smiley, n’ont pas grand-chose en commun. Et pourtant, les connexions sont multiples à en juger par le schéma qui synthétise le projet musical Acid Brass, entamé en 1997, où Deller a demandé à une fanfare de Greater Manchester de jouer quelques « classiques » de l’acid house. Le schéma est reproduit en grand format sur l’un des murs de l’expo. Dans cet entrecroisement complexe, des flèches relient ces deux éléments musicaux en passant par des concepts très divers comme « grève des mineurs », « Ibiza », « privatisation », « ecstasy », « KLF » (le groupe du tubesque What Time is Love? en 1988), « en plein air » ou « capitalisme avancé ». Voilà une illustration particulièrement parlante de la manière dont Jeremy Deller pense le monde, dans une réflexion où s’entrecroisent sans cesse culture, politique, histoire sociale et musique. « Acid Brass est le projet qui a vraiment changé ma manière de travailler en tant qu’artiste », dit-il. « Au lieu de concevoir des objets, j’ai commencé à travailler avec des gens ».

(Extraits du film Battle of Orgreave)

L’art et l’histoire

Dans le schéma d’Acid Brass figure également « Orgreave », petit village du South Yorkshire qui a été en 1984 le théâtre d’affrontements violents entre mineurs en grève et forces de l’ordre. À l’issue de cette « Bataille », le syndicalisme britannique a perdu du poil de la bête face au gouvernement libéral de Margaret Thatcher. Passant à la vitesse supérieure dans son « travail avec les gens », Jeremy Deller a reconstitué cette bataille en 2001, un peu à la manière des commémorations de la bataille de Waterloo, avec la complicité d’un millier de participants, dont d’anciens grévistes et d’anciens policiers. Le sous-titre du projet : An Injury to One is an Injury to All (« Un coup porté à un homme est un coup porté à tous »). Battle of Orgreave est présenté ici à travers plusieurs vidéos, des documents préparatoires, des extraits sonores d’interviews et une ligne du temps tracée à même le mur et ponctuée d’objets authentiques de l’époque (bouclier de la police, extraits de journaux, veste en jean couverte de badges métalliques...).
Quand il s’intéresse aux luttes syndicales, au parcours d’Adrian Street, fils de mineur devenu catcheur professionnel au look glam rock flamboyant, toujours actif en Floride à 71 ans, ou aux fans assidus du groupe Depeche Mode, Jeremy Deller se fait l’historien des mutations profondes qui ont marqué la Grande-Bretagne - et le monde - au cours de ces dernières décennies. Mais il devient aussi le peintre de ce qui, aujourd’hui, à une époque où la religion a perdu beaucoup de ses fidèles en Occident, peut encore mobiliser les foules et déclencher une ferveur parfois à la limite du ridicule, parfois terrifiante et parfois sublime. « Dave Gahan is God », déclare Orlando, ado de Pasadena qui se déhanche dans un parking sur la musique de son idole, dans le film The Posters Came from the Walls (2008).
(Extrait du film Exodus)

Portraitiste des mouvements populaires, l’artiste a tout récemment filmé des nuées de chauves-souris dans et aux abords d’une grotte du Texas pour une vidéo en 3D, Exodus. Le grouillement d’une beauté presque abstraite de ces mammifères volants donne le vertige et pose cette question : comment font-elles pour bouger ensemble si vite et de manière apparemment si désordonnée, sans pour autant se heurter ? Si les chauves-souris n’ont rien à voir avec la musique pop ou la politique, le malicieux Deller nous glisserait-il là une de ces métaphores sociétales dont il a le secret ?

Jeremy Deller: Joy in people
> 19/8 • wo/me/We > zo/di/Su 11 > 18.00 (nocturne > 21.00 chaque premier et troisième mercredi du mois), €8, Wiels, avenue Van Volxemlaan 354, Vorst/Forest, 02-340.00.50, www.wiels.org

Fijn dat je wil reageren. Wie reageert, gaat akkoord met onze huisregels. Hoe reageren via Disqus? Een woordje uitleg.

Read more about: Expo

Iets gezien in de stad? Meld het aan onze redactie

Site by wieni