1+1+1=1080 : tous les chemins mènent à Molem

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
05/02/2014
(© Heleen Rodiers)

L’un est suisse, l’autre est américain et le troisième est belge d’origine espagnole. Ces trois artistes aux pratiques et aux esthétiques bien distinctes entretiennent chacun un lien particulier avec Molenbeek. Beat Streuli, Peter Downsbrough et Emilio López-Menchero honorent aujourd’hui cette commune, désignée Métropole Culture 2014, en créant des œuvres spécifiquement pour La Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale, et envahissent les différents espaces de cette ancienne école joliment reconvertie.



EMILIO LÓPEZ-MENCHERO
Emilio López-Menchero est né à Mol (Province d’Anvers) en 1960, de parents espagnols venus travailler en Belgique comme scientifiques. À Bruxelles, parmi ses diverses interventions urbaines, cet artiste polyvalent a notamment réalisé Pasionaria, un gigantesque porte-voix permanent situé au début de l’avenue de Stalingrad.

Le lien avec Molenbeek
« Le lien est très simple : mon atelier est à Molenbeek depuis 2007. Par des jeux de hasard, de bouche à oreille, j’avais entendu parler d’un espace libre dans une ancienne imprimerie. Je suis né en Flandre, j’ai vécu à Vienne, mais je suis venu à Bruxelles pour mes études à La Cambre, d’abord en architecture puis en art. Quand j’arrive à Molenbeek pour aller travailler dans mon atelier, j’ai l’impression de voyager, mais dans quelque chose qui m’est connu. Je vais souvent dans un café de la chaussée de Gand qui n’est fréquenté que par des hommes. Quelque part, c’est une culture qui est proche de la mienne, il y a une sorte de proximité, c’est la Méditerranée ».

Les œuvres présentées
«Il s’agit d’un projet mené avec Chantal Maillard, une poète espagnole d’origine belge. Elle a quitté la Belgique avec sa famille quand elle avait 12 ans, dans les années 60. Ses parents sont partis en pionniers dans le sud de l’Espagne où quelque chose de nouveau se créait au niveau de l’immobilier. J’ai travaillé avec elle une première fois dans le cadre du projet Vers Bruxelles, poésie en ville organisé par l’association littéraire Het Beschrijf : des interventions dans l’espace urbain menées conjointement par des artistes et des poètes. On nous avait associés à cause de nos destins croisés. Nous avons réalisé Mur XL, inauguré en 2009 : une installation permanente sur le mur du cimetière d’Ixelles, faite d’une longue bande bleue de plaques émaillées avec quatre poèmes que Chantal a écrits, traduits de l’espagnol en français, néerlandais, anglais et vietnamien ainsi qu’en pictogrammes. Je me rappelais que Chantal m’avait dit que quand elle était enfant, elle vivait à Molenbeek, c’est pour cela que je l’ai invitée.
(© Emilio López-Menchero)

Mon idée était de replonger Chantal dans ses souvenirs et de refaire le parcours entre sa maison - qui est aujourd’hui un hammam - et son école - qui est devenue La Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale - en l’enregistrant et en la filmant. Dans le corridor d’entrée, il y aura deux vidéos face à face, l’aller et le retour. Et dans une des classes, il y aura un témoignage sonore, avec Chantal qui parle, assise à un pupitre comme quand elle était enfant, et qui réfléchit au sens même de sa vocation qu’est l’écriture. Finalement, elle trouvait qu’il n’y avait pas tant de changements que ça depuis son enfance. C’est comme un palimpseste : sur ce quartier ancien s’est réécrite une nouvelle histoire. De nouvelles cultures sont venues vivre ici, dans les briques et dans les pierres d’antan. Je pense que suivre Chantal était un alibi pour retrouver les couleurs très particulières de ce quartier, un code couleur différent de celui de la culture occidentale ».



BEAT STREULI
Beat Streuli (né en 1957) est un artiste suisse connu à travers le monde pour ses séries de portraits réalisés en rue, en ville (New York, Tokyo, Tel-Aviv...), qui captent souvent les sujets au moment où ils semblent perdus dans leurs pensées, hors de toute « représentation ».

Le lien avec Molenbeek
« J’habite Zurich mais je séjourne souvent à Bruxelles et j’ai l’impression de la connaître relativement bien. J’ai découvert la ville complètement par hasard, par des gens que je connaissais et qui ont emmenagé ici il y a une dizaine d’années. Le centre ville et Molenbeek m’ont beaucoup intrigué et m’ont donné envie d’y faire des prises de vues. C’est clair que par rapport à une ville comme Zurich, Bruxelles et en particulier Molenbeek sont extrêmement multiculturelles. C’est presque une ville ‘du futur’ dans un certain sens, même si comparée à la Suisse, Bruxelles est moins en avance pour d’autres aspects comme les transports publics, la propreté... Mais Bruxelles m’a toujours attiré par son côté très vivant, et par le fait qu’il reste ici des possibilités et des ouvertures à pas mal de niveaux ».

Les œuvres présentées
« C’est une installation présentée dans le Grand Foyer. D’un côté, il y a trois écrans avec un diaporama numérique de photos prises à Molenbeek il y a plusieurs années, des images fixes qui se vivent dans un rythme extrêmement lent, presque contemplatif. Ce n’est pas consacré à Molenbeek en général, mais plutôt aux quais le long du canal, avec notamment les garagistes africains du quartier de la porte de Ninove. Il y a là des visages extrêmement expressifs que j’adore. En face de ce diaporama, il y a une composition de 150 mètres carrés rassemblant plus ou moins 200 photos prises à Tanger en septembre dernier. Tanger me fascine. C’est pour moi quasiment la seule ville du Maghreb, ou disons du monde arabe, qui est vraiment très ouverte sur l’Europe. C’est lié à sa situation géographique, mais c’est aussi une ville qui a accueilli beaucoup de réfugiés pendant la guerre. Et en passant du temps dans les quartiers de Molenbeek, on s’est rendu compte que la plupart des Marocains qui habitent ici viennent de Tanger. C’était une belle coïncidence pour établir ce rapprochement entre les deux.
(© Beat Streuli)

Quand je prends des photos, je travaille sans préjugés, sans intention. Mon travail est purement visuel, il ne veut rien démontrer. Ce n’est pas un commentaire culturel ou politique, ce qui ne veut pas dire que l’œuvre ne peut pas donner lieu à des discussions. On connaît tous ces photographies prises dans des pays exotiques. Il y a là de nombreux dangers de clichés, de stéréotypes et c’est justement tout cela j’essaie d’éviter. Par exemple, à Tanger, je n’ai pas pris de photos dans la vieille ville pittoresque, mais dans la partie moderne et à la plage qui se trouve juste au centre ville. Le choix des photos est lui aussi très intuitif. J’essaie de rester à un certain niveau, qui ne soit pas trop expressif, surtout pas psychologique ou trop stéréotypé. Je ne cherche pas l’extra-ordinaire ou ce qui s’écarterait d’une normalité, c’est justement cette normalité que je cherche. Contrairement à beaucoup de photographes, je veux me concentrer non pas sur les différences mais sur les similarités. Les photos de Tanger, par exemple, pourraient être prises à Valence, ou une ville du même genre. Mais ces photos sont finalement une invention, c’est ma vision, ce n’est pas la vérité ».



PETER DOWNSBROUGH
Peter Downsbrough est un artiste américain (né en 1940 à New Brunswick, New Jersey) qui s’inscrit dans la mouvance du minimalisme. Il est intervenu en 2003 à Bruxelles des deux côtés du boulevard Jacqmain, avec deux ensembles permanents intitulés And/maar, op - And/pour, et.

Le lien avec Molenbeek
« Je vis et je travaille à Molenbeek depuis 22 ans. Nous vivions auparavant à New York, mais à un certain moment, les choses ont semblé plus intéressantes pour moi en Europe. J’ai toujours eu un lien spécial avec l’Europe, j’y ai beaucoup voyagé. Ma femme Kaatje est belge, mais ce n’est pas pour cela que nous sommes venus à Bruxelles, plutôt pour des raisons pratiques : ce n’est pas trop cher comparé à Amsterdam, Paris ou Londres, et c’est bien situé en termes d’accès. Quand nous avons décidé de nous installer à Molenbeek et que nous en avons parlé autour de nous, personne ne connaissait, personne ne savait où c’était. Alors je me suis dit que justement pour ça, c’était un bon endroit. (Rires) Je ne suis pas quelqu’un d’hyper social, je suis simplement heureux de pouvoir rester à la maison et travailler. Nous sommes toujours restés là ».

Les œuvres présentées
« Il y a une pièce à l’intérieur et une à l’extérieur. Elles utilisent toutes les deux mon vocabulaire de base, fait de lignes, de lettres, de mots qui entrent en interaction avec l’espace environnant. La pièce intérieure se trouve dans le préau : des tuyaux noirs verticaux qui descendent du plafond et quelques mots sur le sol. Ces mots sont en néerlandais, en français et, dans une moindre mesure, en anglais : and, hier, ici, là, here... Des mots qui sont liés au temps et à l’espace parce que le temps et l’espace sont intrinsèquement liés. Il n’y a pas de relation spécifique au fait que le lieu ait été une école ou soit aujourd’hui un centre culturel. Le travail que je mène est indépendant de cela. Dehors, sur une pelouse où est planté un arbre, la pièce présente un « en », qui peut à la fois être lu en français et en néerlandais et un « et » sur des lignes verticales et horizontales. Je présente aussi dans l’Espace Cafet’arts le film A]PART, que j’ai tourné dans le bâtiment Citroën, à la place de l’Yser. C’est une sorte de marche à travers l’architecture, à travers ce bâtiment fantastique rempli de voitures. Je m’intéresse à l’architecture - j’ai une formation d’architecte - qu’elle soit « bonne » ou « mauvaise », ce n’est pas ça qui m’intéresse. L’architecture, pour moi, c’est la nature de l’homme, son environnement « naturel ».
(© Kaatje Cusse)

Le film dure une dizaine de minutes. Il n’y a pas d’histoire, pratiquement pas de gens. C’est vraiment concentré sur le bâtiment, sur les mouvements de la caméra, sur les plans fixes, sur les points de vue sur la ville, les appartements de l’autre côté de la rue, le rond-point... C’est une sorte de déambulation ».



MOLENBEEK EN 2014
2014 est une année particulière pour Molenbeek, première commune bruxelloise à décrocher le titre biennal de Métropole Culture. Placée sous la bannière d’un petit moulin (« molen ») à vent, les festivités ont commencé ce 25 janvier par un spectacle « son et lumière » au château du Karreveld. Parmi les nombreux rendez-vous fixés jusqu’à décembre, on peut déjà épingler l’opération Living Expo combinant des reportages photos et des représentations théâtrales réalisés en étroite collaboration avec les habitants (23/3 > 6/4), le parcours MolenDance (5 > 27/4) qui mettra en évidence les liens entre la commune et les nombreux chorégraphes (Frédéric Flamand, Wim Vandekeybus, Michèle Noiret...) qui s’y sont installés, une journée festive baptisée MolenCanal le 26 avril, un Parcours d’Artistes début juin et des rendez-vous contes en octobre et en novembre. En 2014, Molenbeek s’impliquera aussi de manière particulière dans des événements récurrents comme La Langue française en fête (20/3), la Fête de l’Iris (11/5), la Fête de la Musique (week-end du 21 juin), Couleur Café (27 > 29/6), Bruxelles les Bains (4/7 > 10/8) ou encore les Journées du Patrimoine (20 & 21/9).

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Photos © Heleen Rodiers)

PETER DOWNSBROUGH, BEAT STREULI, EMILIO LÓPEZ-MENCHERO: 1+1+1=1080 • 7/2 > 15/3, di/ma/Tu 10 > 21.00, wo/me/We > za/sa/Sa 10 > 18.00, gratis/gratuit/free, LA MAISON DES CULTURES, rue Mommaertsstraat 4, Molenbeek, 02-415.86.03, lamaison1080hethuis.be

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