Alois Nebel: nuit et brouillard

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
28/02/2014

Alois Nebel, c’est à la fois une histoire d’amour qui finit bien, un polar qui finit mal et une saga retraçant quelques épisodes de l’histoire mouvementée de la Tchéquie au XXe siècle. Une trilogie « ferroviaire » âpre, complexe et captivante dont certaines planches sont pour le moment exposées au Centre Belge de la Bande Dessinée.
Dans cette veine de la fresque d’inspiration autobiographique en noir et blanc où se mêlent la réalité et l’imaginaire des personnages, le public francophone connaissait déjà Marjane Satrapi et David B. Suite au succès rencontré par son adaptation en film d’animation (Film d’animation européen de l’année aux Prix du cinéma européen 2012), Alois Nebel, signé par l’écrivain tchèque Jaroslav Rudiš (texte) et son compatriote Jaromír 99 (dessin) vient de sortir en français. Dès les premières pages, les traits épais et anguleux de Jaromír 99, qui rappellent parfois la rudesse de la gravure sur bois, ne laissent pas planer le doute : on n’est pas ici pour rigoler. Ce brave Alois a beau afficher un sourire bonhomme en couverture, son récit de cheminot pris régulièrement d’hallucinations qui remontent le cours de l’Histoire va confronter le lecteur aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale, à des meurtres, à la misère et à la folie.
Le récit s’ouvre en 1988, dans les Sudètes, zone frontalière annexée par Hitler en 1938 et réintégrée à la Tchécoslovaquie après la guerre. « Les nombreux Allemands qui vivaient dans cette région en furent expulsés », précise-t-on dans le précieux annexe qui explique les différentes références à l’histoire et à la culture tchèques. Un énigmatique « muet » venu du nord échoue dans la petite gare de Bílý Potok, celle où officie Alois Nebel (« brouillard » en allemand), le personnage éponyme inspiré par le propre grand-père de Jaroslav Rudiš. Au cours de leurs errances respectives, Alois et « le Muet » se croiseront à plusieurs reprises. Et notamment à l’hôpital psychiatrique.
« Je suis entré au parti. Devenir contrôleur de trafic, c’était mon rêve d’enfance. Je crois qu’il faut avoir des idéaux », explique Alois. Son voyage à lui l’amènera à réaliser son but ultime : aller jusqu’à la gare centrale de Prague, où il côtoiera la vie des bas-fonds - le peuple bigarré des gares a mauvaise réputation - et où il trouvera l’amour.
Superposant le passé et le présent, le réel au rêvé, passant d’images qui occupent la double page (les graffitis des toilettes de la gare, des skieurs en promenade, un train...) à des planches fragmentées à l’extrême donnant une série de détails simultanés, ce roman graphique laisse le lecteur faire son chemin, sans le prendre par la main. Mais quitte à s’y prendre à deux fois, on ira jusqu’au bout pour mesurer toute la profondeur de ce récit aux allures parfois labyrinthiques, brut, mais fascinant.

Alois Nebel ●●●
Jaroslav Rudiš & Jaromír 99 Presque lune, 352 P., €28

Expo Alois Nebel: > 20/4, Centre Belge de la Bande Dessinée (Gallery), www.cbbd.be

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