Constant Permeke: rétrospective d’un monument

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
05/10/2012
(Constant Permeke, Over Permeke, 1922, Collection MuZEE, Oostende © SABAM 2012)

60 ans après sa disparition, Constant Permeke, monument de l’art belge, géant de l’expressionnisme flamand, retrouve les cimaises du Palais des Beaux-Arts, où il a souvent exposé de son vivant. La centaine de tableaux, dessins et sculptures de cette rétrospective exceptionnelle se prolongent par un écho contemporain à travers l’œuvre de Thierry De Cordier et de Marlene Dumas.

Elle n’est pourtant pas si loin l’époque où d’innombrables Belges transportaient quotidiennement avec eux deux reproductions (une scène champêtre d’un côté et une marine de l’autre) de Permeke, accompagnées d’un portrait de l’artiste. Est-ce lié au passage à l’euro ? Depuis que les billets de 1000 francs ont disparu de la circulation, la figure de Constant Permeke (1886-1952) semble s’être injustement effacée des mémoires. Pour remettre les pendules à l’heure, le Palais des Beaux-Arts accueille une prestigieuse rétrospective dédiée à cette personnalité incontournable de l’histoire de l’art belge, grand amoureux de la mer et de la terre, qui a su transcender son ancrage régional pour atteindre l’universel. Le commissariat de l’exposition a été confié à l’un des plus grands spécialistes de Permeke : Willy Van den Bussche, directeur honoraire du Musée d’Art Moderne d’Ostende (PMMK) et du Musée Constant Permeke (PMCP) à Jabbeke.

Permeke est surtout connu pour ses personnages massifs, aux mains immenses, aux traits schématiques. Comment est-il arrivé à ce langage expressionniste ?
Willy Van den Bussche : Comme tout le monde à l’époque, Permeke était influencé à ses débuts par l’impressionnisme et le post-impressionnisme, avec des personnalités comme Emile Claus en tant qu’exemples. Il y a quelques œuvres présentes dans l’exposition, comme La Fenêtre, qui montrent comment Permeke maniait la technique impressionniste. Permeke est entré en contact avec Albert Servaes (considéré comme le premier des expressionnistes flamands, NDLR), qui s’était installé dans le village de Laethem-Saint-Martin, près de Gand, et qui s’intéressait à la population des campagnes, à la vie des paysans. Permeke a lui aussi été touché par le caractère profondément humain de ces gens qui gagnaient leur vie avec des moyens très simples. Cela lui a fait renoncer à la superficialité de l’impressionnisme et du luminisme pour arriver à une esthétique plus expressive. Lorsqu’il a été évacué en Angleterre pendant la Première Guerre mondiale, Permeke a découvert là-bas le travail de J.M.W. Turner. Permeke connaissait aussi l’œuvre de Van Gogh, qu’il avait vue juste avant la guerre dans une exposition à Anvers, en 1913. Son père, lui aussi artiste et premier conservateur du Musée d’Ostende, était en très bons termes avec James Ensor, dont il a acheté de nombreuses œuvres pour le Musée. Avec tout ce background en tête - l’expressivité d’Ensor, de Van Gogh et d’Albert Servaes, la manière dont Turner regardait un paysage - Permeke a développé spontanément un langage expressif, avec de grands personnages, souventt énigmatiques.
(Constant Permeke, De Sjees, 1926, Collection, MuZEE, Oostende, AD ART, Sint-Amandsberg © SABAM 2012 / Constant Permeke, Koffiedrinkers, KMSKA, LukasArt in Flanders © SABAM 2012)

On ne peut pas vraiment parler de portraits…
Van den Bussche : À Ostende, où il revient après la guerre, Permeke observe les pêcheurs de près, mais il ne fait jamais de portraits, il les synthétise. Il représente « les pêcheurs », comme « les paysans ». Il réalise des œuvres iconiques, dont les scènes se déroulent souvent autour de la table, pendant un repas. Comme Le pain noir (1923) et Le Mangeur de bouillie (1922), qui sont présentés dans l’exposition. Permeke ne va jamais reproduire un sujet comme il le voit, il va le faire passer par son cœur, par ses tripes et va l’adapter en fonction de ce qu’il ressent. Ce qui fait que l’ancrage régional des thèmes et des thématiques est dépassé et devient universel. C’est la même chose pour ses nus : Permeke ne recherche pas la beauté féminine en soi, il recherche l’humanité.

Il y a quelque chose de primitif dans ses personnages.
Van den Bussche : Il faut aussi savoir que Permeke s’est également intéressé au cubisme et à l’œuvre de Picasso notamment, qu’il connaissait très bien. C’est grâce au travail de Picasso qu’il a découvert l’art primitif et les masques africains. Il avait même une collection d’art africain traditionnel, moins importante toutefois que celle de son ami Frits van den Berghe. Mais Permeke n’adhèrera jamais au cubisme. Il va toujours brasser ces influences de sa propre manière. Dans les années 30, Permeke va même remanier une partie de ses œuvres pour évacuer toute trace d’un autre style qui pourrait encore être présente. Par exemple, Leonie, qui est utilisé pour l’affiche de l’exposition, est une œuvre qu’il a retravaillée. Si on observe bien, on peut en voir les traces. Permeke renforce ainsi l’expressivité et le mystère. Parce que quand on regarde attentivement, on voit qu’il y a autre chose qui se cache en dessous.
(Constant Permeke, Het dagelijkse brood, 1950, Collection MuZEE, Oostende © SABAM 2012)

Vous prolongez la rétrospective avec deux artistes contemporains. Pourquoi ?
Van den Bussche : Je pensais que ce serait une manière intéressante d’actualiser Permeke. Thierry de Cordier est quelqu’un qui travaille de manière analogue avec le paysage et la mer. Ça devient métaphysique chez lui. Il y a aussi cette utilisation du noir, qui est, pour Permeke et pour De Cordier, une couleur à part entière. J’ai choisi Marlène Dumas parce que chez elle aussi, l’humain est central, même si elle a d’autres sources d’inspiration que Permeke : le monde du glamour, du porno… Dans l’œuvre de Dumas, j’ai surtout choisi ses dessins de nus, qu’elle traite elle aussi avec une sorte de stratification. On retrouve chez elle la déformation qui donne ce côté expressif.

Constant Permeke • 11/10 > 20/1, di/ma/Tu > zo/di/Su 10 > 18.00 (do/je/Th > 21.00), €4/6/9/11, Paleis voor Schone Kunsten/Palais des Beaux-Arts, rue Ravensteinstraat 23, Brussel/Bruxelles, 02-507.82.00, info@bozar.be, www.bozar.be

Fijn dat je wil reageren. Wie reageert, gaat akkoord met onze huisregels. Hoe reageren via Disqus? Een woordje uitleg.

Read more about: Expo

Iets gezien in de stad? Meld het aan onze redactie

Site by wieni