Constantin Meunier : le monde ouvrier et au delà

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
18/09/2014
(Constantin Meunier, Les fourneaux © MRBAB/KMSKB - Photo: Vincent Everarts Photographie, Bruxelles)

Creusant la veine réaliste lancée par Gustave Courbet, le peintre et sculpteur bruxellois Constantin Meunier (1831-1905) s’est fait le chantre du petit peuple des ouvriers industriels de la fin du XIXe siècle. On ne lui avait plus consacré de rétrospective complète depuis 1909. Et si on se rafraîchissait la mémoire ?

Van Gogh disait de lui qu’il était « le seul de tous les artistes belges à l’avoir fortement touché » : « Il a peint toutes ces choses que j’ai toujours rêvé de pouvoir réaliser ». Quand on évoque le nom de Constantin Meunier, on pense tout de suite à des silhouettes massives et musculeuses de puddleurs ou de dockers, ou encore à cette mère reconnaissant son fils mort dans une catastrophe minière, héritière moderne des pietà chrétiennes. Si elle met bien sûr en avant tout cet aspect de sa carrière, la rétrospective Meunier des Musées royaux des Beaux-Arts va bien plus loin. Francisca Vandepitte, commissaire de cette exposition d’envergure et conservatrice du Musée Meunier, lève ici le voile sur quelques facettes moins connues.


(Constantin Meunier, La Guerre des paysans 1798-1799 (le rassemblement) © MRBAB/KMSKB - Photo : J. Geleyns/Roscan)

Sur le tard
« Constantin Meunier est célèbre pour avoir introduit la représentation de l’ouvrier industriel dans le canon des arts plastiques. C’était totalement novateur : jusque là, l’iconographie artistique était réservée aux dieux, aux héros et aux personnages historiques. C’est aussi lié à la situation socio-économique de l’époque : c’est la période de la lutte sociale, le Parti Ouvrier Belge est créé en 1885... Quand Meunier se profile dans ce contexte et connaît ses premiers succès, il a déjà 50 ans. Il y a donc trois décennies entre la fin de sa formation et la partie ‘ouvrière’ de sa carrière ».

Les Casseurs de pierre
« Meunier a suivi une formation en sculpture à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles. C’était la sculpture bourgeoise, classique, officielle. Mais en 1851, il voit le tableau Les Casseurs de pierre de Gustave Courbet. Ça l’a fortement impressionné et il s’est rendu compte que sa sculpture n’était plus d’actualité : c’était cette peinture réaliste qui était l’expression artistique de l’avenir. Il s’est alors mis à peindre, en suivant des cours chez François-Joseph Navez et à l’atelier libre de Saint-Luc ».

Spirituel
« Meunier pratique d’abord une sorte de peinture de scènes dévotionnelles. Il décrit souvent des tableaux de la vie quotidienne des gens peu fortunés qui vont à l’église pour trouver une consolation. Il y a un côté très pieux dans ces œuvres. On y trouve un certain misérabilisme, le soucis des petits, des humbles... La vision de l’homme qui souffre annonce déjà son œuvre de la vie ouvrière. Il y a autant d’auteurs qui disent que Meunier était croyant qu’autant qui disent qu’il ne l’était pas. Lui-même est resté très discret à ce sujet. Mais à mon avis, la manière dont il regarde la souffrance humaine trahit une influence profondément chrétienne ». (statue : Constantin Meunier, Le puddleur © MRBAB/KMSKB - Photo : J. Geleyns/Roscan)

Lemonnier
« L’écrivain belge Camille Lemonnier souhaitait des illustrations pour son livre La Belgique : une description systématique du pays, des différentes régions, avec des notices historiques, folkloriques, des descriptions de paysages... Lemonnier a pris contact avec Meunier, qui n’était alors pas très fortuné et qui acceptait toutes sortes de commandes. Meunier connaissait déjà les verreries du Val-Saint-Lambert et l’aciérie de Cockerill à Seraing, mais lorsqu’il se rend avec Lemonnier et le peintre Xavier Mellery dans le Pays Noir, dans les années 1878-80, c’est une révélation. Les conditions de vie très rudes le touchent profondément. Il est bouleversé ».

Séville
« Constantin Meunier n’aimait pas tellement voyager, mais il a accepté une commande pour réaliser à Séville une copie d’une Descente de Croix de Pieter Kempeneer dit Pedro Campaña, un maniériste bruxellois du XVIe siècle. Sur place, la situation était compliquée, il a fallu longtemps avant qu’il puisse avoir accès à l’église. Il est resté à Séville d’octobre 1882 à avril 1883. Il a alors découvert un monde qui, comme le Borinage et le Pays Noir, lui était totalement inconnu : la vie espagnole, les cigarières, le petit peuple qui s’amuse dans les cafés de flamenco... Des conditions de vie assez dures mais avec quand même une certaine joie de vivre. D’ailleurs, on voit à ce moment-là que sa palette devient plus lumineuse, qu’il prend plus de liberté. Ce voyage en Espagne a accéléré un processus créatif dont il a pu profiter dans les années suivantes ».

(Constantin Meunier, Manufacture de tabac à Séville © MRBAB/KMSKB - Photo : Grafisch Buro Lefevre, Heule)

Opéra
« Constantin Meunier était amateur de musique. Son épouse était pianiste, ses enfants étaient très doués pour la musique et il avait de bons contacts avec le directeur de La Monnaie. La période était au wagnérisme et on en voit des influences dans son œuvre : un très beau pastel de la Walkyrie, des statuettes... Et s’il a accordé autant d’attention aux cigarières de Séville, c’est parce qu’il adorait Carmen ».

La hype Meunier
« Grâce aux réseaux du groupe des XX (comprenant notamment Fernand Khnopff, James Ensor, Théo van Rysselberghe... NDLR) et de la revue L’Art moderne, Meunier est découvert à Bruxelles par Siegfried Bing, le grand marchand d’Art nouveau, qui le lance à Paris dans un réseau commercial. Siegfried Bing le lance également en Autriche et en Allemagne où il y aura pendant cinq ans une sorte de ‘hype’ autour de Meunier dans les milieux progressistes. Grâce à cela, Meunier est entré en contact avec Carl Jacobsen, industriel danois, propriétaire d’une brasserie très connue et grand mécène. Jacobsen aimait beaucoup la sculpture et il a passé à Meunier une commande d’une quarantaine d’œuvres, qui forment une partie importante de la Ny Carlsberg Glyptotek à Copenhagen. C’est grâce aux revenus de cette vente qu’il a pu travailler à la fin de sa vie au Monument au Travail, qui a été érigé à Laeken bien après sa mort ».

CONSTANTIN MEUNIER • 20/9 > 11/1, di/ma/Tu > zo/di/Su 10 > 17.00, €7,50 > 17,50, Koninklijke Musea voor Schone Kunsten van België/Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Regentschapsstraat 3 rue de la Régence, Brussel/Bruxelles, 02-508.32.11, www.fine-arts-museum.be

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