Dans l'antre d'artistes: Aimé Mpane

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
01/03/2013


Il y a des ateliers débordants. Débordants de matériaux, d’outils, d’œuvres en attente ou en pleine genèse, de livres, de documents... Pas celui d’Aimé Mpane. D’ailleurs, il faut y regarder à deux fois pour s’assurer que c’est bien dans cet espace dépouillé, au rez-de-chaussée d’une maison d’Anderlecht, qu’il travaille. « J’aime avoir un espace dégagé », explique l’artiste. « Pour moi c’est important d’être comme un nomade, toujours prêt à bouger, prêt à renoncer à tout, à tout abandonner et à recommencer à zéro. C’est ce qui me donne cette dynamique. Souvent, on s’accroche trop aux choses matérielles ».
Aimé Mpane se compare à un oiseau migrateur, lui qui se partage constamment entre Kinshasa, là où il est né en 1968, au sein d’une famille de sculpteurs sur bois, et où son atelier, en plein air, dans la banlieue de la capitale, se résume à quelques bâches accrochées à sa petite maison, et Bruxelles, la ville où il est arrivé lors des premiers troubles sous Mobutu et où il s’est formé pendant six ans en peinture à La Cambre. « La première chose que je voulais voir ici, c’était Manneken-Pis, dont j’avais tellement entendu parler », se souvient-il. « Mais avant d’aller à la Grand-Place, on m’a emmené voir l’Atomium. J’ai trouvé ça énorme. Quand j’ai vu Manneken-Pis, j’étais vraiment déçu : il est minuscule en fait. Pour moi c’était une bonne leçon. C’était ma première impression, qui m’est toujours restée, de la Belgique : un pays qui me surprend toujours, un pays surréaliste, comme on dit. À Bruxelles, je me sens chez moi. D’ailleurs c’est mon grand problème : quand je suis au Congo, je me dis qu’il faut que je retourne chez moi, en Belgique. Quand je suis ici, surtout quand il commence à faire froid, je me dis qu’il faut que je retourne chez moi, au Congo. Chez moi, ce sont ces deux endroits et nulle part en même temps. Mais je ne me sens pas chez moi à Paris ou à New York, où j’expose régulièrement ».
D’un atelier à l’autre, d’un continent à l’autre, Aimé Mpané voyage léger, en se contentant d’un seul outil : l’herminette, sorte de hachette à lame recourbée dont la forme suggère une tête d’ibis. « On utilise l’herminette dans beaucoup de pays d’Afrique, notamment pour dégrossir les pirogues ou pour sculpter des ustensiles de cuisine. C’était aussi un symbole de pouvoir et un attribut du chef. Mais on l’a également utilisée en Europe, surtout au Moyen-Âge, par exemple pour réaliser des poutres et des charpentes. Et on en trouve encore aujourd’hui ici, dans les magasins de bricolage ».
Avec son herminette, Aimé Mpané est parvenu à concilier ses deux formations, la peinture et la sculpture. En utilisant des lamelles de bois teinté en surface, il peint en sculptant. La couleur naturelle de la fibre apparaît quand il arrache les couches supérieures. Il creuse les panneaux triplex comme il creuserait des couches de peau – épiderme, derme, mésoderme - pour aller là où il n’y a plus de peau blanche, de peau noire ou de peau jaune. Il dessine ainsi en creux des portraits d’enfants de Kinshasa - sur un format presque carré dont la surface correspond à celle de la peau du visage et avec un fond de couleur vive en aplat, comme une icône - ou celui d’Ota Benga, pygmée congolais qui a vécu au tournant du XIXe et du XXe siècle et qui fut emmené aux États-Unis pour être y exhibé comme un animal. Ce portrait, il l’a éclaté en d’innombrables morceaux, fixés ensuite sur un filet de pêche. « J’aime travailler le bois mais avec ce matériau, le transport est parfois difficile. Ici, le bois devient souple et l’œuvre peut être roulée comme un tapis. Mon but, ce serait de parvenir à vraiment la plier, mais je n’y suis pas encore arrivé... » Pour un autre projet, Mpane a sculpté des petits personnages en bois avec lesquels il peut faire tenir une exposition dans une valise. « Ces bonshommes sont creux, avec des transparences. Sur place, il suffit d’acheter des petits projecteurs LED et de jouer avec les ombres projetées. L’idée, c’est de réduire pour agrandir ».
À l’aise dans cet entre-deux - entre deux pays, entre culture africaine et culture occidentale, entre une formation manuelle et un enseignement davantage tourné vers le concept - qui lui permet sans cesse de prendre du recul, Aimé Mpané reste engagé pour l’Afrique, et le Congo en particulier, dans les thèmes qu’il aborde, comme la prostitution enfantine et les enfants soldats. Et même quand il copie fidèlement l’Olympia de Manet, c’est pour intervertir subtilement les rôles de la femme blanche et de la servante noire. Entre gravité et humour. Si l’oiseau est migrateur et semble détaché de tout, il n’en oublie pas pour autant d’où il vient.

Commune : Anderlecht
Prochaines expositions : Aimé Mpane - The Rape/Le Viol, 28/2 > 13/4, Skoto Gallery, New York ; Volta NY Contemporary Art Fair, 7 > 10/3, New York ; installation Congo, Shadow of the Shadow (2005) au sein de l’exposition Shaping Power: Luba Masterworks from the Royal Museum for Central Africa, 7/7/2013 > 5/1/2014, LACMA, Los Angeles
Quelques expositions récentes : Carnaval (expo collective), 16/1 > 16/2/2013, Fondation Francès, Senlis ; Monographies d’artistes arts 10+2: Aimé Mpané & Samuel Coisne, 9/11 > 16/12/2012, La Médiatine, Bruxelles ; Aimé Mpané - Icônes contemporaines, 16/5 > 16/6/2012, Institut français de Pointe-Noire (Congo)
info: www.nomadgallery.be

Photos © Saskia Vanderstichele

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