Dans l'antre d'artistes : Angel Vergara

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
20/09/2012
Angel Vergara ne travaille pas toujours dans son atelier. À la fin du XIXe siècle, les impressionnistes ont profité de l’invention du tube de peinture pour aller s’installer dehors, face au paysage. À la fin des années 80, Angel Vergara a lui transformé un simple drap blanc en atelier portatif, donnant ainsi involontairement naissance à un personnage fantomatique devenu célèbre : Straatman, « l’homme de la rue ». «Je voulais être comme le photographe sous sa toile noire où la lumière passe par un petit trou », explique-t-il. « Ici, c’est une toile blanche qui laisse passer l’ensemble du spectre lumineux. Pour moi, c’était la condition la plus adéquate à ce moment-là pour produire une peinture et être non pas face à l’objet ou à la nature, mais dans le monde, pour faire partie du monde et de là, enregistrer tout ce qui filtre à travers ce voile blanc. C’est à Anvers que les gens ont commencé à m’appeler Straatman. Tout à coup, ce personnage a eu un nom et c’est resté ».
En 2006, Straatman s’est installé pour peindre dans l’église abbatiale de Grimbergen. Sur la toile peinte qui en a découlé, Vergara a fait projeter la captation de sa performance, avec comme résultat une superposition d’images filmées et de traits de peinture, association caractéristique de son travail actuel. On retrouve cette superposition dans Feuilleton, l’installation vidéo consacrée aux sept péchés capitaux qu’il a présentée à la Biennale de Venise en 2011. Là même où Straatman s’était fait refouler une vingtaine d’années plus tôt... « La forme que j’ai empruntée dans le montage correspond au format du feuilleton Les Experts. Il y a sept épisodes différents qui ont lieu simultanément. Et à un moment précis, tout coïncide. Dans la série, c’est le moment où il y a un coup de feu et où quelqu’un est tué. Ici, c’est Pasolini, dont la figure est opposée à celle de Berlusconi. C’est la culture de masse qui assassine la culture populaire ». La bande-son, parfois tonitruante, suscite l’angoisse. « Feuilleton est une fresque pessimiste, heureusement rattrapée par la poésie. On est dans le bruit et la fureur du monde, que la peinture va gagner par son silence ».
C’est à l’intérieur d’une sorte de grande camera obscura, vaste boîte noire placée dans une pièce de son atelier ucclois plongée dans la pénombre, qu’Angel Vergara peint sur ces images animées savamment montées au préalable. Grâce à un système astucieux combinant écran plasma, plaques transparentes, caméra et ordinateur. Et grâce à un savoir-faire comparable à celui d’une Miss Météo chevronnée : le peintre ne regarde pas ce qu’il peint, il regarde sur un écran l’image « de synthèse » dont la peinture devient aussitôt l’un des composants. « Ça a l’air parfois iconoclaste de repeindre ainsi d’autres images, de se les approprier. Mais c’est aussi leur donner un sens. Non pas avec les mots mais avec la couleur ».
Pour sa dernière exposition à Bruxelles, and yes I said yes I will Yes., visible actuellement à la galerie Almine Rech, Vergara reprend le même procédé, sur un seul écran cette fois. Le titre énigmatique se compose des derniers mots de l’Ulysse de James Joyce, monument de la littérature s’il en est. Les personnages du roman de Joyce, inspirés par ceux de l’Odyssée d’Homère, prennent ici les traits de figures mythiques contemporaines : Penélope Cruz, Marlon Brando, David Bowie, Lady Gaga, Leonardo DiCaprio, Jeanne Moreau... Avec quelques apparitions furtives d’Elio Di Rupo et de Bart De Wever. « Dans Ulysse, il y a énormément de passages où Joyce remet en cause les notions de son époque, au niveau religieux, politique, le nationalisme, etc. J’ai transposé cela ici, de manière discrète, pour inscrire toutes ces figures dans une réalité ».
Apparaissant en alternance avec des images de tempêtes ou de foule se pressant dans la ville, les visages en noir et blanc des stars reçoivent, frôlent ou semblent regarder des touches de couleur. « Ce qui m’intéresse, c’est le réel. Évidemment, ce qui est reporté de ce réel peut avoir des apparences abstraites, mais ce sont des instantanés, des mémoires incomplètes à chaque fois, mais cumulées dans le temps. La peinture, quand elle arrive, a en apparence toujours un retard par rapport à l’image. La peinture est précise, mais le retard la rend apparemment hasardeuse. Au lieu d’utiliser une perspective spatiale comme les cubistes, je mets en œuvre une perspective temporelle. C’est la mémoire. Des mémoires d’images qui vont se superposer à d’autres images et chercher de nouveaux sens ».

Commune : Uccle
À voir actuellement à Bruxelles : and yes I said yes I will Yes., > 29/9, Almine Rech Gallery, Bruxelles, www.alminerech.com
À voir ailleurs, maintenant ou très prochainement : Feuilleton, 16/9 > 10/3 mars, ZKM (Zentrum für Kunst und Medientechnologie), Karlsruhe & 28/9 > 21/10, Le Printemps de Septembre, Toulouse
Info : angelvergarasantiago.com

Photos © Heleen Rodiers

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