Dans l'antre d'artistes : Aurélie Gravas

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
01/11/2012
« Dans l’appartement de mes parents, il n’y avait pas un centimètre de mur visible, il n’y avait que des tableaux. Ce n’était pas forcément des chefs-d’œuvre - c’était même majoritairement des croûtes - mais du coup, à force de scruter ce qu’il y avait d’intéressant dans une toile ratée, la peinture a commencé à faire partie de ma chair ». Et après avoir goûté à la pratique de la peinture, Aurélie Gravas n’a plus jamais arrêté. « Ça devient comme une espèce de drogue, parce qu’on est étonné par le résultat qu’on peut obtenir avec si peu de moyens. On est tout seul avec un médium qui est vieux comme le monde, sur une surface plane et il se passe quand même quelque chose ».

Que l’on voie en apparence un intérieur de prison ou un patineur, une fille de dos ou un portrait volontairement anonyme, que l’œuvre démarre d’une carte postale, d’une série de polaroïds ou d’un roman, c’est la peinture qui est le vrai sujet des toiles d’Aurélie Gravas. La peinture comme matière qui ne se cache pas derrière ce qu’elle représente, la peinture symbolisée, la peinture à travers les peintres de l’histoire récente ou plus ancienne, Titien, Pisanello ou Bruegel, dont les œuvres lui servent de point de départ, Frank Auerbach ou Peter Doig, dont elle a peint les ateliers pour exorciser la tentation de l’imitation. « Pour moi, un bon sujet en peinture, c’est un sujet qui rend la peinture visible », déclare-t-elle. Cette Parisienne passée par les Beaux-Arts de Marseille est arrivée à Bruxelles il y a presque dix ans. Un vrai coup de foudre. « J’aime les gens, le contact ici. Marseille est une ville très dure, les habitants sont souvent agressifs. À Bruxelles, tout le monde m’a paru très poli. Et puis j’aime bien l’humour des gens du nord, il est plus subtil. J’étais aussi intéressée par la peinture du nord : Luc Tuymans, Walter Swennen… Les primitifs, c’est venu plus tard ».

Le sol de son atelier, dans ce qui était autrefois manifestement une brasserie, à deux pas du canal, est en partie couvert d’une protection. C’est qu’ici, la couleur dégouline. Les murs portent d’ailleurs les traces de coulées de pigments dissous dans le white spirit. Des montagnes d’éponges entassées ici et là ont servi à diluer ce qui avait été tracé. Chez Aurélie Gravas, le chemin entre l’intention de départ et le résultat définitif est souvent long et tortueux, fait d’effacements et de couches successives. Elle peut peindre tout un paysage pour n’en retenir finalement qu’un seul arbre, le restant étant enseveli sous autre chose. Plus vraiment visible, mais quand même là. « Je m’inquiète beaucoup moins qu’avant de mes erreurs. Parce qu’elles contribuent à la matière du tableau qui est en train de se faire. Si j’ai peint mille éléments pour n’en garder qu’un petit, c’est bien qu’il y en ait eu mille parce que, même si on pense qu’on ne les voit pas, ça vibre et on les voit quand même. J’ai arrêté de croire qu’un tableau pouvait se faire en quelques jours. Du moins dans mon cas ».

Si le temps est un facteur important pour elle dans l’acte de création, il est aussi fondamental pour le regardeur. Face à son travail, il faut accepter de prendre - de « perdre » - « le temps du regard », pour creuser les différentes couches de ce qui se donne à avoir. « La peinture est un médium qui impose de la patience au spectateur et qui est donc en contradiction avec notre époque. Aujourd’hui, on est habitué à être servi maintenant ou jamais. La peinture, ce n’est ni maintenant ni jamais. Je trouve que c’est un acte de résistance absolu. C’est comme jardiner et attendre qu’une fleur pousse, comme faire un bébé, comme être amoureux, comme jouer d’un instrument de musique ou même écouter de la musique... »
Dans One hundred years old egg, Aurélie Gravas a peint son propre atelier, avec au milieu, un œuf vieux de cent ans. Cet œuf (« qui ressemble un peu à une patate, je sais bien », dit-elle en riant), pour elle, c’est peut-être la meilleure métaphore de la peinture. « Cet œuf ne va jamais éclore. Ce que l’on voit et ce qui nous intéresse, c’est la surface de cet œuf, qui évoque un intérieur qu’on ne verra jamais. La peinture, depuis toujours - et je crois, pour toujours - est un médium qui pourra produire le meilleur comme le pire, mais en tout cas dont on n’arrivera jamais à explorer les limites. Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, on ne pourra jamais aller au fond de la peinture ».
Commune : Molenbeek
Expositions récentes : Aurélie Gravas – Nothing inside but you, 2012, Botanique ; 13 peintres et moi, carte blanche à Pascal Bernier (expo collective), 2012, Galerie Valérie Bach ; Aurélie Gravas – Oslo, 2011, Galerie Marie Cini, Paris
Travaille aussi en collectif avec : The After Lucy Experiment – Tale, www.theafterlucyexperiment.be
À lire : An American Song, Aurélie Gravas & Stefan Liberski, Éditions La Muette ; Tale / The After Lucy Experiment, Éditions La Muette
Info : www.aureliegravas.com

Photos © Heleen Rodiers

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