Dans l'antre d'artistes : Benoit Platéus

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
02/10/2013

Aujourd’hui multipliable à l’infini, l’image nous cerne de toutes parts. Benoit Platéus s’en saisit, la détourne, violemment ou subtilement, pour lui faire raconter d’autres histoires, les siennes et celles des spectateurs.
En 1935, le philosophe allemand Walter Benjamin livrait une réflexion sur la perte de l’aura de « l’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique ». Cette aura, liée à l’unicité de l’œuvre et altérée, selon Benjamin, par l’avènement de l’imprimerie, de la photographie et du cinéma, Benoit Platéus s’en fout. « Il y a des images peintes ou originales dans lesquelles il ne se passe rien et il y a des images qui ont été reproduites des milliers de fois et dans lesquelles il continue à se passer quelque chose », déclare-t-il. En vadrouille avec son appareil photo, feuilletant des magazines ou se promenant sur la toile mondiale, Benoit Platéus cherche les images qui pourront devenir ses outils. « Ce qui m’intéresse, c’est de voir intuitivement qu’il y a quelque chose de présent dans l’image qui n’est pas encore tout à fait éclos. L’idée, c’est de la faire grossir, de l’hypertrophier pour que l’image commence à dire autre chose. Mais on ne peut pas faire ça avec toutes les images, il y en a qui sont déjà trop fortes, trop puissantes ou trop fermées ».

Quand il était enfant, Benoit Platéus n’aimait pas lire. Lorsqu’il se plongeait dans ses B.D., il ne regardait que les dessins. Cette démarche particulière, dans une société où l’on est tellement habitué à se raccrocher au texte pour comprendre un élément visuel, Platéus a su la conserver et la placer au cœur de son travail de plasticien. L’image – trouvée, créée, volée – il l’isole, l’inverse, la découpe, la déforme par glissement lors du photocopiage, il lui apporte de l’ombre et un contexte en la scannant et en laissant la fenêtre du scan visible. Il lui ajoute des couches, il la met en abyme. La reproduction d’une partie de double page d’un livre consacré à l’exploration des fonds marins devient la couverture de sa propre publication rétrospective. Les gerbes d’un feu d’artifice, noires sur blanc grâce au négatif, passent pour des coulées d’encre ou des traits à la bombe, à la limite de l’abstraction. Le portrait officiel d’un scientifique se fait support de sculpture lumineuse, elle-même reproduite dans un catalogue dont la page sera ensuite scannée, puis agrandie sous forme d’affiche à partir des plaques d’impression.

Né à Chênée, près de Liège, Benoit Platéus est venu s’installer à Bruxelles pour ses études à l’erg. Il n’en est plus reparti. Entre-temps, il a décroché l’un des Prix de la Jeune Peinture Belge lors de l’édition 2003, où figuraient également Christophe Terlinden, Orla Barry ou encore Jan de Cock. Entre-temps, son frère Frédéric, resté dans la Cité ardente, s’est fait un nom dans le milieu du graffiti et a développé sa propre voie dans le monde de l’art contemporain. « Frédéric a réussi à développer son propre vocabulaire et son propre réseau », explique le Bruxellois d’adoption. « On se voit souvent, mais on est dans des systèmes de références différents ».

view of Backpages, Highlight gallery, San Francisco

Pour pénétrer dans son atelier, à l’arrière d’une grande avenue se déployant à partir du carrefour Montgomery, il faut franchir deux portes de garage, traverser le garage proprement dit où une Porsche et une Jaguar (qui ne lui appartiennent pas, précise-t-il en riant) attendent qu’on vienne les sortir de leur sommeil et gravir des escaliers amochés en s’éclairant avec une lampe de poche. Quelques indices – spots de couleur dissimulés dans le plafond, restes de ce qui devait être un bar… – laissent penser que le lieu de travail de Platéus était autrefois un club privé, peut-être secret. Dans un coin, le lino est jonché d’affiches publicitaires, surplus d’un projet de collages géants qui ont été exposés à San Francisco l’année dernière. Ailleurs, ce sont des taches d’uréthane, liées à un projet sculptural à base de bidons récupérés dans un laboratoire photographique, qui couvrent le sol. « Je voulais vraiment travailler à partir de cette idée de chimie, d’odeurs, de produits qui servent à révéler, à fixer des images. La sculpture elle-même est le bidon. Théoriquement, ce bidon contient toutes les images possibles ».


Dans l’atelier, un détail attire l’attention. Presque aussi anachroniques que la montre d’un figurant distrait dans un film moyenâgeux, quelques cassettes audio sont éparpillées près d’une chaîne hi-fi. Ce qui fait furieusement écho au côté un peu rétro de certaines images dont Benoit Platéus s’empare. Alors, nostalgique ? « Je n’ai pas envie d’être nostalgique. Si certaines images sont un peu rétro, c’est sans doute parce qu’elles m’apparaissent comme des images qu’on n’a pas l’habitude de voir aujourd’hui ». Et d’avancer comme preuves irréfutables de son attachement au présent sa passion pour la série américaine réalisée en images de synthèse Xavier : Renagade Angel (« le truc le plus dingue que j’aie vu »), pour Youtube (« une révolution ») et sa récente publication Review Overload, réalisée avec le Gantois Manor Grunewald et basée sur un magazine bien actuel dédié à la PlayStation.
Sexy ou officielles, dessinées ou photographiques, anciennes ou récentes… Même s’il y a des fils rouges qui traînent – explosions incandescentes, ondoiements de l’univers aquatique… –, dans la quête d’images de Benoit Platéus, le sujet et l’origine importent finalement peu. D’où l’apparente hétérogénéité d’un travail pourtant extrêmement cohérent. Désarçonnant, mais assez fascinant.

Commune : Etterbeek
À voir actuellement à Bruxelles (et à Helsinki) : > 12/10, Kopioitu (expo collective), Komplot, Bruxelles, www.kmplt.be, www.sicspace.net
Expositions récentes : Albert Baronian, Bruxelles (2012) ; Broccoli & Steel, Benedengalerie, Kortrijk (2012) ; Les Vestibules du Ciel, Espace 251 Nord, Liège (2012) ; Backpages, Highlight gallery, San Francisco (2012)
À venir : un livre Michael, avec David de Tscharner, éditions Triangle Books (novembre 2013) ; une expo collective Fata Morgana, Ikob, Eupen (décembre 2013), www.ikob.be/de/ausstellungen/vorschau.php ; une expo chez Rectangle (décembre 2013), www.rectangle.be
Info : albertbaronian.com/artists/23-benoit-plateus

Photos © Heleen Rodiers

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