Dans l'antre d'artistes : Christophe Terlinden

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
09/10/2014


Inutile d’en rajouter. Des jouets, des horloges, des lampes, la déco extérieure d’un resto chinois, un distributeur de chewing-gums... Tout est déjà là. Dans son travail, l’artiste bruxellois formé à La Cambre Christophe Terlinden puise directement dans la réalité. Par légers glissements, de forme, de matière, de contexte ou d’échelle, il lui donne une saveur nouvelle. Même les oranges n’ont plus le même goût.
Christophe Terlinden n’a pas d’atelier. Il nous reçoit simplement chez lui, dans son appartement situé au-dessus d’une ancienne station-service. Il lui arrive bien, parfois, de bricoler sur la table de sa salle à manger - un logis de paysan idéal construit en briques Lego sur les plans de Le Corbusier, par exemple. Il dessine un peu - 150 dessins en une soirée en format 10 X 10 centimètres, à chiffonner pour les placer ensuite dans des boules en plastiques achetables pour 50 centimes dans un distributeur de chewing-gums. Et il réussit aussi très bien à éplucher les oranges de façon à faire de jolis bonshommes avec les peaux - un masculin avec un petite excroissance blanche placée au bon endroit ou un féminin, avec un petit trou au bon endroit aussi. Mais pour le reste, peu de ses œuvres viennent véritablement de ses mains.
Cela en décevra peut-être certains. Ceux pour qui l’artiste est forcément dépositaire d’un savoir-faire, ceux qu’on entend parfois, à moitié décontenancés, à moitié choqués, décocher un cinglant « ça, moi aussi je sais le faire ». N’en déplaise à ceux-là, pour Christophe Terlinden, le concept est plus important que le geste. « Je pars toujours de l’idée », explique-t-il, « et puis je cherche le moyen d’être le plus proche de ce que j’ai envie, en laissant toujours l’espace ouvert pour pouvoir changer en cours de route ».
Fondeurs, sculpteurs, céramistes, menuisiers, compositeurs... il fait appel à leurs services pour, par exemple, réaliser une copie en bronze d’un Pinocchio dont le nez s’allonge quand on appuie sur son ventre, l’appendice nasal alors démesuré permettant alors à la poupée de se stabiliser sur ses bras dans une sorte de figure hip-hop pétrifiée. L’équilibre dans le mensonge - c’est son titre : si le nez retrouvait sa forme initiale le pantin se prendrait une pelle. Ce n’est pas Christophe Terlinden qui a réalisé le ghetto blaster en forme d’abbaye de Grimbergen, ce n’est pas lui non plus - mais Raymond van het Groenewoud, Matthieu Ha, Clover’s Cloé, Walter Hus ou encore Charlemagne Palestine - qui a composé les mélodies pour carillon diffusées chaque heure de 8 à 20 heures. Il en a juste eu l’idée.
« J’aime bien travailler avec les choses qui sont là », dit-il. Pour le projet LUM, dans le cadre de Bruxelles 2000, il monte une petite équipe pour faire inscrire pendant trois nuits des mots ou des chiffres sur les façades de dix-huit bâtiments en utilisant l’éclairage des bureaux et en ouvrant ou fermant les persiennes : « Midi » et « Zuid » sur la Tour du Midi, « Trésor » sur la Banque Nationale de Belgique, « Hal », sur le bâtiment IBM, soit le nom du super ordinateur de 2001 : l’odyssée de l’espace et le sigle IBM décalé d’une lettre... Il sauve de la destruction des éléments du décor urbain : les colonnes parfaitement kitsch, avec dragon d’or sinueux, ornant l’entrée d’un restaurant chinois, les réverbères bruxellois de différentes époques, alignés en musée pour couvrir un siècle d’histoire - lampes au gaz, ampoules à incandescence, néons... - devant le Foyer Laekenois, ou l’horloge de la gare du Quartier Léopold, rasée pour les besoins de l’édification du Parlement européen.
Il y a le sentiment du temps qui passe chez Christophe Terlinden. Des horloges à aiguilles ou digitales, d’autres qui font « beep », un petit bout de calendrier, une collision frontale entre l’enfance et la vieillesse dans un lapin tiré d’une statue de Peter Pan et tenant une canne... Le temps qui passe et qu’on ne peut pas figer. Même en le coulant dans le bronze.
« Les travaux ne sont pas vraiment là », explique-t-il à propos de la rétrospective que lui consacre actuellement L’iselp. « Ce sont tous des indices de travaux qui ont eu lieu dans des espaces bien précis, ce sont des traces ». Une expo comme un journal intime, qui tente de retracer tant bien que mal ce qui n’existe plus. Son titre ? No Sugar. Pas de sucre. Ça claque (mieux en anglais qu’en français, d’accord...) comme un slogan punk et ça vise le mal du siècle. Terlinden est diabétique depuis ses 18 ans mais plus que l’élément biographique, la formule traduit ce sentiment qu’il ne faut pas en rajouter. La réalité suffit. Il n’y a qu’à se servir. Parfois, il vaut même mieux retirer. Soustraire. Invité par le Musée d’art contemporain d’Anvers à « réaliser quelque chose dans l’espace entre le public et le musée », Terlinden s’en est pris au sigle-logo de l’institution et lui a subtilisé une lettre. MUKHA est devenu M HKA. « Nooit meer met U », écrira-t-il, jouant sur le U qui est aussi le pronom de la forme de politesse en néerlandais. « Plus jamais avec U », « plus jamais avec vous ».

Parfois aussi un zéro vaut mieux qu’une accumulation d’étoiles. Christophe Terlinden a proposé au cabinet de Romano Prodi un drapeau pour la Communauté européenne où c’est un cercle jaune - comme une ronde, une farandole - qui se détache sur le fond bleu. Une idée simple, un peu utopique - qui acceptera de renoncer à son étoile ? Une idée qui ne demande pas de grands moyens pour transformer le quotidien et lui insuffler un peu de poésie.
Non, décidément, Christophe Terlinden n’a pas besoin d’atelier.

Commune : Forest
À voir actuellement à Bruxelles : > 29/11, No Sugar, L’iselp, iselp.be
Hors de Bruxelles : > 30/11, Gogolf échelle 1 (expo collective), La Halle de la Courrouze, Saint-Jacques-de-la-Lande, www.lesateliersderennes.fr
Quelques expositions solo récentes : Stock, Espace 251 Nord, Liège (2014); La Fin du Monde... dit gezegd zijnde, Galerie Transit, Mechelen, Papanamérica, Casa Museo, San José (Costa Rica) (2012) ; Mais pourquoi ?, Mac’s, Site du Grand-Hornu, Boussu ; Memory, La Chapelle du Genêteil, Château-Gontier (France) (2011)
Publication : Monographie 0123456789 - Christophe Terlinden (en vente à L’iselp)
Info : www.0123456789.be

Photos © Saskia Vanderstichele

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