Dans l'antre d'artistes : Djamel Oulkadi

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
11/10/2012
Au départ il y a la lettre. Les lettres, celles qui forment un nom, un pseudo que l’on va apposer sur un mur, sous un pont, sur un train. Le tag, qui est l’essence du graffiti et par conséquent, à la source du street art. « Le graffiti, c’est ta signature, c’est l’emprise que tu as dans ta ville, dans ton ‘territoire’. Tu le fais par revendication, par rejet, pour t’affirmer », explique Djamel Oulkadi, qui a connu et participé dès sa prime adolescence aux débuts du hip-hop à Bruxelles. C’était à la fin des années 80, au sein du crew CNN. Pour lui, graffiti et street art ne se confondent pas, même si aujourd’hui « on a tendance à tout mélanger ». « Tout le monde peut écrire son nom dans la rue, mais tout le monde ne peut pas faire du street art, je crois. Le street art est né du fait que le graffiti a été ‘mis en art’ par des gens qui avaient une formation artistique et qui ont développé un art pictural dans la rue, avec d’autres techniques, d’autres moyens, d’autres idées ».


Aujourd’hui, à 38 ans, Djamel Oulkadi a quitté le graffiti pur pour combiner son bagage de graffeur à son expérience de graphiste professionnel et explorer de nouveaux territoires artistiques. « Je me souviens qu’à une exposition, une dame m’a dit : ‘c’est très joli ce que vous faites. Ce n’est pas comme les tags qu’il y a dehors’. Je lui ai répondu que ce qu’il y avait dehors, c’était peut-être moi qui l’avais fait... Pendant 20 ans, j’ai fait ‘ce qu’il y a dehors’ pour en arriver là. Mais je ne peux pas lui en vouloir à cette dame (rires) ».
Les bases des lettrages du graffiti associées aux possibilités de manipulations offertes par l’ordinateur l’ont amené à créer des compositions abstraites, à la géométrie complexe, tournoyantes, hypnotiques. Souvent en noir et blanc. « Pour avoir ce rapport juste avec la force d’une lettre. Pour le contraste de la forme, la pureté d’un trait. Ça, ça ne se voit qu’en noir et blanc. Peut-être aussi qu’après avoir utilisé plein de couleurs pendant des années dans le graffiti, j’ai eu envie de revenir au noir et blanc. Mais pour certaines pièces, je peux aussi ramener de la couleur ».


Face à ses enchevêtrements de courbes, de pleins et de déliés multipliés presqu’à l’infini, il est impossible de ne pas faire le rapprochement avec l’art arabo-musulman. « Je travaille beaucoup en symétrie et en rotation et c’est vrai que l’art arabo-musulman développe toujours les formes autour d’un point central. Bien sûr, les zelliges, la calligraphie arabe, Cordoue, Grenade, Séville... inconsciemment, c’était là, dans ma tête, j’ai grandi avec ça. Mais ce n’était pas le but recherché, ni de faire de l’op art ou de l’art psychédélique. Au départ, c’était le fruit du hasard. Même si je ne crois pas au hasard... »
« Je suis belge », dit-il. « Je suis marocain », déclare-il quelques minutes plus tard. « Je suis divisé en deux, ni chez moi ici ni chez moi là-bas ». Et c’est justement cette dualité qui fait l’originalité de son travail, où se fondent une tradition artistique immémoriale du Maghreb et une pratique typiquement moderne et au départ « occidentale ». Au cours de l’été 2011, Djamel Oulkadi a participé au Festival de Casablanca. « Il faut parfois aller voir ailleurs pour se rendre compte de ce qu’on a ici. Au Maroc, j’ai rencontré des graffeurs qui se débrouillent avec très peu de moyens, qui peignent presque tout le temps à l’aérographe alors qu’ici, on a une bombe pour 3 euros. Ça permet de relativiser ».
Si ce sont surtout ses compositions géométriques qui sont actuellement mises en avant (aux Halles de Schaerbeek notamment), Djamel Oulkadi ne se limite pas à l’abstraction. Dans un coin de l’atelier qui est mis à sa disposition au sein de l’Espace Magh, là même où il a pu présenter sa première exposition personnelle, un portrait de son père est posé contre le mur. « En le voyant, certaines personnes qui me connaissent bien m’ont demandé pourquoi je m’était dessiné ‘en vieux’. Ça m’a fait vachement plaisir ». De plus grand format, une toile est installée sur un chevalet. « C’est un détail d’un lettrage que j’ai éclaté. Si on regarde bien, je suis dans le dessin : c’est mon visage avec mes mains devant. J’ai remarqué qu’avec l’abstraction, dans beaucoup de pièces, les gens voient souvent des visages qui ressortent. C’est ce qui me pousse à essayer ce genre de choses... »
Entre ici et là-bas, entre la rue et le musée, au milieu des multiples techniques qui s’offrent à lui, de la bombe à l’impression digitale, Djamel Oulkadi est à un carrefour. Mais, malgré les préjugés qui pèsent parfois lourd, la voie de la reconnaissance est déjà sous ses pieds.

Commune : Bruxelles
À voir actuellement et prochainement : Djamel Oulkadi - Geometric Writer, > 30/11, Halles de Schaerbeek & 9 > 17//11, Maison Folie (Mons)
Expos récentes : Jubilations héroïques (expo collective), 10/11/2011 > 29/1/2012, Centre Wallonie-Bruxelles (Paris) ; Djamel Oulkadi - Geometric Writer, 13/11/2010 > 29/1/2011, Espace Magh (Bruxelles)
Info : www.dabamaroc.com

Photos © Heleen Rodiers

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