Dans l'antre d'artistes : Emmanuel Van der Auwera

Kurt Snoekx
© Agenda Magazine
19/03/2012
Lorsqu’on entre dans un palais des glaces, il faut s’attendre à se cogner. L’homme dans le miroir semble avoir tous les traits de l’image de soi qui se niche dans notre tête, mais il se transforme, quelque part dans cet écho visuel, en un double disproportionné. De la même manière, une chaise - et nous abandonnons ici la métaphore pour laisser place au récit véridique de notre expérience début mars sous le faîte d’une habitation de Woluwe-Saint-Pierre - peut se montrer traîtreusement instable. Après la chute de notre chaise (et l'effondrement du sérieux de la situation), notre interlocuteur soucieux nous dit : « Oups, désolé. Elles ne sont pas toutes jeunes, et il y en a une qui est piégée, mais je ne sais jamais laquelle... »
(© Heleen Rodiers)

Les chaises ne sont pas les seuls pièges que l’artiste Emmanuel Van der Auwera, récemment récompensé par le Prix Médiatine 2012, garde en réserve pour son public. Son œuvre évolue aux frontières que partagent l’histoire, la fiction, la mythologie, les sciences et l’humain et qui résistent aux représentations univoques de l’univers qui nous entoure. «  C’est important d’identifier de quoi on a été le contemporain », dit Van der Auwera. « Mon travail n’est pas engagé, mais politique, sûrement ! Comme tout le monde, je suis habité par des thèmes obsédants, mais j’essaie d'en examiner la profondeur, et de me demander ce que ça peut vouloir signifier dans la fabrication de notre regard. J’aime créer un climat qui va générer des interrogations et des questionnements. je souhaite que les spectateurs se positionnent par rapport à leurs propres bagages et que d'une certaine manière, ils soient responsable de leurs lectures».
Van der Auwera fait déborder ses œuvres au-delà de leurs frontières physiques. « Dès que j’ai commencé mes études artistiques, je n’ai pas cherché à développer un rapport exclusif avec un médium en particulier. Peut-être parce que je visais davantage des univers, des atmosphères, des états d’esprit ». Chaque œuvre est « un reflet d’un univers plus grand. J’ai l’impression que ce sont chaque fois des facettes, qui, peut-être, peuvent modeler toutes ensemble une approche du monde, un regard sur le monde ».
(© Heleen Rodiers)

Cet ensemble multidisciplinaire est narrativement stimulant, visuellement poétique et sombre et conceptuellement provocant. Son Cabinet d’affects (2010), constitué de délicates sculptures en résine placées dans des flightcases, est une tentative de matérialiser l’émotion humaine. Dans l’essai-vidéo Bring us to ourselves, Mikhaïl (2010), l’artiste présente un monologue de l’ancien président de l’Union soviétique Gorbatchev, dans un univers parallèle menaçant. Ces deux œuvres, qui lui ont valu de décrocher le Prix Médiatine, ont été réalisées au cours de ses deux années au prestigieux Studio national des arts contemporains Le Fresnoy à Tourcoing.
Né à Bruxelles en 1982, Emmanuel Van der Auwera a passé son enfance à Charleroi et est arrivé en France à dix ans lorsque son père est parti là-bas pour son travail. Après ses études en France, il lui fallait choisir entre Paris et Bruxelles. « J’ai toujours été intrigué par la Belgique, que je connaissais de mon enfance et avec laquelle j’avais encore beaucoup d’attaches familiales. Je l’avais souvent fréquentée, mais sans vraiment la connaître ».
Son espace de travail est installé sous le toit de la maison de ses grands-parents, où à travers les fenêtres on ne peut voir que le sommet des arbres. Un espace immense avec, dans un coin, un bureau avec un ordinateur et une bibliothèque, un grand espace central où se reflètent différentes pièces à différents stades d’achèvement (une série de photos, ou plutôt des portraits plus vrais que nature mais générés de manière informatisée ; une tente militaire bricolée remplie de matériel couvert de poussière blanche avec, à l’entrée, Fiasco de Thomas E. Ricks, ouvert au chapitre Into Iraq ; quelques planches de bois pour la construction du squelette de bornes d’arcade, « des passeports vers les réalités virtuelles »), une vaste table de travail montée sur des tréteaux et placée devant une armoire remplie de matériel et, près de la porte, une maquette de la colonie utopique suisse Monte Verità (dédoublée dans de nombreuses photos imprimées).
(© Heleen Rodiers)

Sa fascination pour l’impossibilité de concrétiser les états de rêve est ancrée dans la nature humaine : « L’homme est un animal qui a une propension presque inhumaine à espérer et à se reporter sur des projections. Il ne peut pas être dans le présent et donc il ne peut pas se relâcher de cette tension perpétuelle qui fait qu’il sera finalement pour toujours, fondamentalement, insatisfait et désirant. C’est vraiment une machine à désirer et à espérer, ce qui fait qu’il se jette en permanence dans de nouveaux combats, dans de nouveaux vides en essayant de les remplir. Finalement, j’ai l’impression qu’on ne peut presque qu’avoir un tel rapport avec le monde. Autrement, ce serait insupportable ».
Le monde utopique qui a surgi à Monte Verità est contrebalancé dans les photos accrochées sur le mur par un autre type d’impossibilité. Les gens qui y figurent n’existent pas, ils sont fictifs. Ce sont des portraits-robots générés par un nouveau type de software utilisé par la police, qui produit un portrait par mutation. « Ce travail est comme le contrechamp du Cabinet d’affects, qui montre la poésie absurde d’avoir incarné le dedans. Ici, on a l’imperméabilité du dehors ».
Son caractère intertextuel fait du travail d’Emmanuel Van der Auwera un véritable palais des glaces. Une œuvre s’annonce dans une précédente ou approfondit un fil rouge thématique. Le lien entre son work in progress actuel et le film qu’il va réaliser autour du 11 septembre est vite établi. Mais toujours, son œuvre oscille comme une chaise sur ses pieds, prête à se replier sur elle-même : pour son public, c’est singulièrement dérangeant, mais justement si fascinant. « Je ne pourrais pas dire si je crée des fictions avec la réalité, ou bien si je fais un détour par la fiction pour rendre visible quelque chose qui est peut-être perdu dans le bruit de la réalité. Ce que je trouve intéressant, c’est de créer dans ces multitudes de points de vue, quelque chose qui dépasse la fiction ». Dans une troisième dimension où l’art peut croître.

Commune: Woluwe-Saint-Pierre
Prix : Prix Médiatine 2012
Expo : > 18/3, Prix Médiatine 2012, Wolubilis – avec les œuvres Cabinet d’affects (2010, constituée de délicates sculptures en résine placées dans des flight cases), une tentative de matérialiser l’émotion humaine, et Bring us to ourselves, Mikhaïl (2010), un essai-vidéo où l’artiste présente un monologue de l’ancien président de l’Union soviétique Gorbatchev, dans un univers parallèle menaçant.
Au mur : Les gens sur ces photos n’existent pas. Ce sont des portraits-robots générés par un nouveau type de software utilisé par la police, qui produit un portrait par mutation. « Ce travail est comme le contrechamp du Cabinet d’affects, qui montre la poésie absurde d’avoir incarné le dedans. Ici, on a l’imperméabilité du dehors ».
Info : www.emmanuelvanderauwera.com

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