Dans l'antre d'artistes : Ermias Kifleyesus

Emmanuel Lambion
© Agenda Magazine
22/05/2013
C’est à une adresse qui nous est familière qu’Ermias Kifleyesus nous convie. Et pour cause : c’est dans l’ancienne conciergerie du complexe de PARTS, une charmante maisonnette de briques et pierres mise à sa disposition par la compagnie de danse Rosas, qu’habite depuis 6 ans Ermias Kifleyesus. La pratique de cet artiste d’origine éthiopienne, en Belgique depuis 1998, est éminemment pluridisciplinaire : il est aussi à l’aise dans la réalisation de peintures classiques que de vidéos, de sculptures ou d’installations. Son travail l’amène souvent à questionner la notion d’atelier car ses œuvres se font en effet souvent en dehors de ce dernier, voire in situ. Nous n’en entrons pas moins dans un salon confortable, égayé par des jeux d’enfants, où sont accrochées certaines de ses dernières réalisations. Se détache notamment un ensemble de tissus et textiles, formant une composition unique et visiblement encore in the making. Elle est marquée par un enchevêtrement multicolore de dessins, graffitis et autres gribouillages, ressemblant à ces dessins que l’on fait lorsque notre main échappe au contrôle de notre cerveau au cours d’une conférence ou d’un entretien téléphonique. Ces dessins se superposent à un fond architectural et paysager, prestement campé avec un brio certain, où l’on reconnaît le motif d’un tunnel. Quand on apprend que l’œuvre s’intitule Welcome to England, on comprend mieux... Que l’on s’en approche ou que l’on s’en éloigne, cette sorte de tapisserie contemporaine intrigue et fascine d’emblée.


Je commence l’interview en lui demandant pourquoi il nous avait initialement proposé que l’on se rencontre dans un call center près de chez lui. Ermias m’explique que ce lieu, parmi d’autres du même genre, est aussi son atelier et qu’il donne la clef de la façon dont il réalise ses dernières peintures et compositions, comme celles accrochées dans son salon. « Elles sont en effet le fruit d’une sédimentation progressive, d’apports multiples. Le hasard et les contributions généreuses de gens que je ne connais pas contribuent à les façonner. Je les ai conçues, imaginées et réalisées en partie, mais elles sont complétées par l’apport presque inconscient des clients du call center. Et je reviens sans cesse sur ces éléments multiples qui viennent s’y ajouter et que je décide ou non de conserver.  » Il déclare ensuite avoir toujours été fasciné par ces centres d’appels. Pour lui, ce sont des endroits qui portent en germe et évoquent de multiples facettes de nos sociétés contemporaines : « Ce sont des lieux qui nous parlent de migrations, de réalités sociales souvent assez dures, mais aussi des lieux de communication, d’ouverture, de véritables social hubs, où les idées, les sentiments, les réalités culturelles voyagent et se rencontrent. Des lieux enfin où l’homme est confronté à la technologie mais l’utilise pour garder et tisser un lien au-delà des clivages et de la distance. 
Dans son parcours, il a toujours voulu sortir d’une pratique d’atelier un peu trop repliée sur elle-même. « J’ai reçu une formation traditionnelle de peintre dans mon pays. Je me considère encore comme un peintre, mais je ne suis sûrement pas un peintre d’atelier. En Éthiopie, je baignais dans un monde où l’esthétique du réalisme socialiste, mêlée à des influences de la peinture traditionnelle éthiopienne, faisait la loi. Quand je suis arrivé en Europe en 1995, j’ai été fasciné par tous ceux qui faisaient sortir la peinture de son carcan, de Basquiat à Picasso. Ces références restent, même si ma pratique a beaucoup changé depuis. J’aime l’idée de migration et de circulation des idées, des codes et des symboles. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment on peut relier l’art et la société. Comment intégrer l’apport de réalités sociales dans son art et voir comment, a contrario, l’art peut influencer l’inconscient collectif ou entrer dans le quotidien des gens. C’est ce que j’essaie de faire justement dans ce travail avec les call centers. Au début, j’y allais deux à trois fois par semaine pour récolter ces dessins que les gens font comme inconsciemment sur des feuilles de papier, que je mettais à leur disposition par rames entières. À partir d’un certain moment, ça marchait tellement bien que j’ai essayé avec d’autres supports : des toiles, serviettes, nappes et autres textiles, que je plie et place dans les cabines. Moi-même, j’ai commencé à imprimer des motifs graphiques (souvent architecturaux, comme ici), qui ne se révèlent que lorsque tous les éléments textiles sont assemblés et dépliés. Depuis, j’utilise aussi d’autres supports, je colle des stickers ou autres adhésifs que je retire ensuite. »
C’est la source de la deuxième œuvre qui se détache sur le mur du salon-atelier d’Ermias, Singin’ in the rain, un rideau fait de bandelettes de plastique sur lesquelles sont disposées des enfilades de pastilles colorées et gribouillées. Ces œuvres de Kifleyesus posent donc la question, très actuelle, de l’auteurship, en l’occurrence d’une auteurship démultipliée. En ce sens, et par-delà même la réalité et le contexte dans lesquels elles s’inscrivent et auxquels elles font référence, ce sont donc des œuvres politiques. Pour Kifleyesus, elles posent aussi la question du processus. « Où commence une œuvre et où/quand finit-elle ? » Vient la question cruciale : décider quand une œuvre est terminée ou non. « C’est vrai, j’ai le final cut, c’est le privilège de l’artiste et une question essentielle en art : savoir quand son œuvre est achevée, même si l’œuvre continue à vivre sa vie dans l’esprit et la mémoire des gens qui l’ont regardée. »

COMMUNE: Vorst/Forest
EXPOSITIONS RÉCENTES : Found in Translation, chapter M, > 26/5, Muse Program, reservation@experienz.org
A Show a Day Keeps High Cholesterol at Bay, booth Maison Grégoire-Bn PROJECTS, Art Brussels 2013

Photos © Ivan Put

Fijn dat je wil reageren. Wie reageert, gaat akkoord met onze huisregels. Hoe reageren via Disqus? Een woordje uitleg.

Read more about: Expo

Iets gezien in de stad? Meld het aan onze redactie

Site by wieni