Dans l'antre d'artistes : François Schuiten

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
22/03/2013

François Schuiten s’estime chanceux. Chanceux de s’être lancé dans la bande dessinée – à 16 ans – à une époque où le regard sur le 9e art commençait à changer, positivement. Chanceux d’être rentré sur un marché qui n’était pas encore saturé – 300 sorties par an contre 5.000 aujourd’hui - et où des magazines comme Métal hurlant et (À Suivre) faisaient office de locomotives, avec des auteurs ambitieux comme Hugo Pratt, Moebius… Mais la chance n’explique pas tout. Schuiten est un acharné du travail. Chaque jour, samedi et dimanche compris, de 9 heures à 19 heures, il est à sa table à dessin, installée au dernier étage de son domicile à Schaerbeek. « La bande dessinée est un lieu d’exigence », explique-t-il. « C’est une discipline qui vous oblige à une forme de rigueur, même en termes d’hygiène de vie. Si vous commencez à exagérer, dans quelque domaine que ce soit, vous ne dessinez plus correctement. La bande dessinée, c’est un marathon. Chaque livre est une course de fond, il faut avoir du souffle. Je reste un auteur qui travaille lentement. J’ai besoin de deux ans pour faire un livre. Je n’arrive pas à aller plus vite. Chacun doit être un laboratoire, une forme d’exploration. Sinon vous êtes dans la répétition, ce qui est quelque part un mouroir. Si vous n’avez pas le sentiment qu’il y a du risque, que vous êtes en danger, ça devient ennuyeux ».

Cette régularité métronomique est bien sûr entrecoupée par ses différents projets, scénographiques et autres. Aménager des stations de métro, concevoir un Musée du train et rencontrer des cheminots pour ce projet, collaborer à des films de Jaco Van Dormael ou de Raoul Servais, travailler avec des décorateurs dans les studios allemands de Babelsberg… tout cela est pour lui une nourriture. « C’est quelque chose qui vous booste. On a le sentiment qu’on se ressource, ça donne des envies. Il n’y a rien de plus dangereux que de rester enfermé. Si j’étais tout le temps sur ma table à dessin, à un moment donné, je n’aurais plus grand-chose à raconter ».

Dans cette façon qu’il a de sortir de la bande dessinée, qu’il considère comme « sa maison », pour franchir les frontières des disciplines, François Schuiten a un grand modèle : l’Américain Winsor McCay. Et des rayonnages de livres divers qui cernent son espace de travail, le dessinateur extrait une édition intégrale, achetée dans sa jeunesse, de Little Nemo in Slumberland, une série parue de 1905 à 1914. « J’en tremble encore quand je vois la force de cet univers. C’est le livre qui m’a vraiment donné envie de faire de la bande dessinée. J’ai découvert Winsor McCay à 12 ans. Pour moi, c’est le maître absolu. Voilà quelqu’un qui fait de la B.D., une des plus belles du monde, qui crée presque le genre et qui, à côté de ça, produit des dessins politiques pour les journaux, invente quasiment le dessin animé, mélange acteurs et dessins, crée des spectacles où il s’intègre lui-même dans ses films, comme un magicien… Winsor McCay est extraordinairement moderne dans sa façon de se déplacer. C’est un artiste qui a continuellement transformé son talent. Il est passé d’un médium à un autre tout en restant totalement lui-même. C’est révolutionnaire d’avoir ce spectre de création. Je crois qu’il n’y a pas de raison de se mettre dans un compartiment. Mais on peut aussi penser qu’on peut devenir un touche-à-tout. Où est-ce qu’on s’arrête ? À quel moment devient-on superficiel ? C’est un équilibre difficile ».
Récemment, François Schuiten était au Japon, en compagnie de son complice le scénariste Benoît Peeters, pour y recevoir le Grand Prix manga du Japan Media Arts Festival, qui récompense le premier tome de la magnifique édition japonaise des Cités obscures. Un succès que le dessinateur a du mal à expliquer, qui reste pour lui, 30 ans après la sortie du premier album (Les Murailles de Samaris), « un mystère ». Ce qu’il sait, c’est que cette série n’aurait pas pu naître ailleurs qu’à Bruxelles, la ville où il a toujours vécu, celle qui correspond sans doute le mieux à son caractère « bâtard » de francophone à culture et ascendance flamandes. « Les contradictions bruxelloises sont au cœur de nos albums. Les paradoxes, les étrangetés, les beautés, mais aussi les laideurs bruxelloises, la cacophonie bruxelloise, le chaos bruxellois… ce sont des choses qui me plaisent. La matrice des Cités obscures, c’est Bruxelles. À Bruxelles, on apprend à s’interroger sur le monde. C’est une ville qui ne nous endort pas ».

Comme le petit Nemo qui, à chaque planche, tombe de son lit et retrouve brusquement la dure réalité, l’infatigable Schuiten a parfois peur de voir son rêve éveillé s’interrompre. « J’ai toujours l’impression que ça va s’arrêter demain, qu’on va me dire ‘maintenant la récréation est terminée, il va falloir que tu travailles vraiment. On ne peut pas dessiner toute la journée et gagner sa vie comme ça. C’est pas sérieux’ ».

COMMUNE
: Schaerbeek
À voir actuellement et très prochainement à Bruxelles: > 21/4, Exposition collective Babel, Botanique, www.botanique.be ; > 26/1/2014, Ombres et Lanternes, la magie du précinéma, Maison Autrique, www.autrique.be ; 2 > 13/4, 31e édition du BIFFF, dont François Schuiten signe l’affiche ; 3/4, sortie du film Mars et Avril de Martin Villeneuve, pour lequel il a assumé la direction artistique ; 12 > 14/4, Festival Bruxelles Babel, dont il est le parrain, Théâtre Marni, www.bruxellesbabel.be
Info: www.urbicande.be

Photos © Heleen Rodiers

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