Dans l'antre d'artistes : La MAAC

La première chaîne publique française a longtemps diffusé – et diffuse encore l’été prochain, manifestement – un jeu télévisé réalisé au sein d’une fortification du XIXe siècle isolée au large de la Charente-Maritime. Des candidats téméraires y pénètrent successivement dans des cellules toutes différentes, où ils ne savent pas du tout sur quoi ils vont tomber. Sans vouloir le moins du monde mettre les deux lieux au même niveau sur le plan de la créativité artistique, c’est une sensation semblable que l’on peut éprouver en franchissant les portes des différents ateliers de la MAAC. En parcourant le bâtiment, on passe quasi sans transition des toiles aux couleurs acidulées et aux confrontations tranchées de matières de Charlotte Marchand aux réflexions géométriques et épurées de Magali Lefebvre, en passant par les autoportraits provocants de Mehdi-Georges Lahlou ou les brisures et recyclages orchestrés par Samuel Coisne.

(Charlotte Marchand © Saskia Vanderstichele)

Six artistes ou collectifs cohabitent actuellement à la Maison d’Art Actuel des Chartreux, mais leurs univers, même s’ils se frottent au fil des échanges de procédés techniques ou d’avis sur les œuvres, conservent leur indépendance, en maintenant l’un vis-à-vis de l’autre une certain dose « d’imperméabilité ». Chacun veille en effet à ne pas exercer une pression trop forte qui ferait exploser la « bulle » de ses voisins.

(Magali Lefebvre © Saskia Vanderstichele)

Les 900 mètres carrés de ce bâtiment de la rue des Chartreux, à quelques pas de la Bourse, étaient autrefois des kots. Ce qui explique sa structure très fractionnée, à la limite du labyrinthique, et la présence d’un point d’eau dans les différents ateliers – un luxe avec le chauffage et la lumière naturelle, comme le confirment plusieurs résidents. En 1976, l’édifice, acquis par la Ville de Bruxelles, est devenu la Maison d’Art et d’Artisanat des Chartreux, avant de se transformer en 86, sous l’impulsion de sa directrice Marie-Claire Hürner, en Maison d’Art Actuel des Chartreux.

(Els Van Riel © Saskia Vanderstichele)

Les mêmes initiales, mais un autre projet, centré sur la jeune création en arts plastiques, à travers des résidences mais aussi grâce à tout un programme d’expositions. « La MAAC est une sorte de résumé de la création contemporaine bruxelloise », explique Nancy Suarez, à la tête de la Maison depuis 2003. « Énormément d’artistes sont passés par ici. Dominique Thirion, Patrick Guaffi, Christian Meynen, Gwendoline Robin, et, plus récemment, Pascale Barret, Léopoldine Roux, Karine Marenne, Elodie Antoine, les Hell’O Monsters… La MAAC n’est pas très connue du grand public, mais dans le milieu artistique, oui ». Et la flambée du prix des loyers à Bruxelles n’a fait que renforcer l’attrait de ces résidences d’artistes offertes gracieusement. Chaque année, une cinquantaine de dossiers de candidature sont déposés pour les résidences de 6 mois, qui se clôturent chaque fois par une expo au sein de la MAAC. Le jury de sélection n’en retient que deux. Pour le moment, c’est Magali Lefebvre, originaire de Valenciennes, qui en bénéficie. Les autres résidents de la MAAC peuvent, eux, profiter de leur atelier pendant deux ans.

(Mehdi-Georges Lahlou © Saskia Vanderstichele)

Tous ont cependant une obligation : animer des ateliers pédagogiques organisés pour les enfants, souvent issus de milieux défavorisés, qui fréquentent les Maisons d’enfants de la Ville de Bruxelles. « Ces animations demandent beaucoup de préparation », explique Jen Debauche, du collectif Labo, spécialisé dans la recherche autour de la pellicule cinématographique (super 8 et 16mm, principalement). « Mais même si c’est intense et que ça prend pas mal d’énergie, je suis toujours contente à la fin ».

(Boris Thiébaut © Saskia Vanderstichele)

Boris Thiébaut, résident « long terme » dont les relectures de gravures anciennes ont été présentées dans les salles d’expo du rez-de-chaussée en février dernier, partira bientôt. Il envisage son départ avec sérénité. « La résidence m’a permis d’agrandir mes formats et d’essayer plusieurs formats en même temps, ce que je ne pouvais pas faire dans mon atelier précédent. Maintenant, je vais me réinstaller dans mon appartement, où il y a moins de place. Ce sont des contraintes qui vont m’obliger à travailler différemment. Ça me permettra d’éviter de tomber dans un processus automatique de création ».

(Jen Debauche, Labo © Saskia Vanderstichele)

Mehdi-Georges Lahlou, lui, constate que sa résidence à la MAAC correspond au moment où sa carrière a connu une véritable accélération et un déploiement international. « C’est un endroit qui permet la production, sans la pression d’une résidence de quelques mois. Et puis l’argent qu’on ne met pas dans la location de l’atelier, on peut l’investir dans les œuvres. Ça fait une fameuse différence. C’est pour moi un moyen de me fixer et d’aller beaucoup plus loin dans mes recherches. La MAAC, ça devient notre quotidien ». Ce que confirme Nancy Suarez : « La MAAC, c’est leur maison ».

COMMUNE : Bruxelles
En pratique : Maison d’Art Actuel des Chartreux, rue des Chartreux 26-28, je > sa 14 > 18.00, 02-513.14.69, maac@brucity.be, www.maac.be
La MAAC sera ouverte au public en septembre dans le cadre des Brussels Art Days (www.brusselsartdays.com)
L’appel à candidatures pour les résidences de 2014 est en ligne
Les résidents : Charlotte Marchand : www.charlottemarchand.com / Labo : www.filmlabs.org / Mehdi-Georges Lahlou : Représenté à Art Brussels par la Galerie Transit (Mechelen) (18 > 21/4, www.artbrussels.be) et à la Slick Art Fair Brussels (19 > 21/4, www.slickartfair.com) par la Galerie Dix9 (Paris) ; il présentera trois performance au festival Trouble (23 > 27/4, www.halles.be) ; www.mehdigeorgeslahlou.com / Samuel Coisne : www.samuelcoisne.com / Boris Thiébaut : Exposition solo à la galerie Anyspace (19/4 > 25/4, www.anyspace.be) ; www.boristhiebaut.be /Magali Lefebvre : Exposition solo à la MAAC, 24/5 > 29/6 ; www.magalilefebvre.com

Photos © Saskia Vanderstichele