Dans l'antre d'artistes: Lionel Estève

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
25/06/2014


« Je pensais rester 6 mois et je suis là depuis 25 ans », explique Lionel Estève, Lyonnais d’origine. Basé à Bruxelles mais rayonnant jusqu’à Hong Kong, Athènes et Las Vegas, il s’efforce, dans un travail patient où foisonnent la couleur et les formes abstraites, de stimuler sensuellement notre regard.
C’est peut-être à cause de la ville. Du gris du macadam et des pavés omniprésents, de la saleté qui envahit les murs. C’est peut-être à cause du temps, qui, au fil des siècles, a recouvert d’un voile terne les toiles des grands maîtres, dont on a fini par oublier l’éclat initial. Peut-être. Toujours est-il qu’on semble avoir perdu de vue la couleur. Et c’est pour cela qu’elle frappe si fort chez Lionel Estève. « Je suis toujours étonné quand on me dit que j’utilise des couleurs vives », explique l’artiste. « Pourtant je considère que je ne vais pas tant que ça ‘à fond dans la couleur’. Si on compare à un Gauguin par exemple - en vrai, pas une reproduction dans un livre - mon travail est terne. Ces peintres utilisaient des couleurs extraordinaires. Les gens ont une idée de la couleur qui est très bizarre dans le sens où aujourd’hui, après le Pop, si on utilise une couleur vive, ça devient automatiquement ‘pop’, ‘peps’. À cause du Pop, on ne voit plus les couleurs incroyables utilisées par ces peintres. Et puis il y a quand même un petit tabou par rapport à la couleur. On pense que c’est trop décoratif. On a très peur d’être décoratif ». Cette crainte, c’est certainement le cadet des soucis de Lionel Estève. « En Occident, depuis la Renaissance jusqu’à la modernité, les sculpteurs ont oublié la couleur. Ils ne savaient pas qu’au Moyen-Âge tout était polychrome. Au fond, je suis un sculpteur comme il y en a toujours eu ».
Lionel Estève est sculpteur, même quand il utilise de la peinture. Comme sur cette plaque de verre posée sur une des tables de l’atelier, qui a été minutieusement recouverte de centaines de points passant du jaune au bleu et du bleu au vert par un dégradé en vibration. « Pour moi, même si c’est bidimensionnel, il s’agit d’un travail dans l’espace, parce qu’il y a une ombre, la peinture flotte. C’est une peinture de sculpteur. Dans mon œuvre, même si tout est fait à la main, il n’y a aucune trace de main. Le peintre fait des gestes, chez moi, il n’y a aucun geste. C’est un travail très détaché. Je n’ai jamais voulu parler de moi dans ce que je fais ». Pudique, Estève ? Le titre de sa prochaine exposition à la galerie Albert Baronian clame le contraire : Impudique. « Ce sera une exposition qui parle beaucoup de ce qui recouvre. Je me suis posé plusieurs questions par rapport à la sensualité. Si on montre quelque chose qui cache, est-ce qu’on comprend ce qu’il y a de caché derrière ? Est-ce que ce qui cache parle de ce qui est caché ? Il y a beaucoup de peintres qui ont fait du nu. Est-ce que c’était une manière pour eux d’avoir un rapport plus sensuel avec la vie que d’être entourés de femmes nues toute la journée ? Et est-ce qu’une image abstraite peut être sensuelle ? » À voir l’effet produit sur le spectateur par ses délicats mobiles tournoyants, par ses constellations de pierres couvertes de fil coloré ou imbibées de peinture, ses tissus aux fils méticuleusement extirpés, comme un vichy par soustraction ou ses volumes géométriques en plexiglas flottants, on peut répondre positivement à cette dernière question. Les œuvres de Lionel Estève sont une caresse pour l’œil, elles le stimulent. « Les musiciens sont très attentifs au son, à la qualité du son, ils développent une acuité par rapport à ça. Pareil pour ceux qui font de la cuisine au niveau du goût. En art, depuis que l’art ne doit plus être rétinien, ce développement de l’acuité visuelle est devenu obsolète et je trouve que c’est un peu dommage ».


Développer cette acuité, Lionel Estève y travaille sans relâche, avec patience et obstination. « Comme mon travail est très laborieux, j’ai beaucoup plus d’idées que de projets réalisés. Il y a tellement de choses que j’ai envie de faire. Ce qui ne veut pas dire que ça sera forcément bien. Il m’arrive souvent d’essayer quelque chose et puis de trouver que ce n’est pas intéressant. La recherche, c’est mon travail. J’ai envie d’inventer de nouvelles choses, et pas de passer dix ans à répéter la même œuvre. Le revers de la médaille, c’est que c’est compliqué parce qu’il faut toujours mettre en place de nouvelles techniques. Comme je ne sais jamais où je vais, la plupart des matériaux que j’utilise sont assez pauvres. Même si j’ai déjà travaillé avec de la feuille d’or par exemple. Je pense qu’aujourd’hui, on est très décomplexés par rapport à de nombreuses matières. La plupart du temps, je fais simplement mon shopping dans les magasins. Ce n’est pas la qualité des matériaux qui m’intéresse, c’est leur lumière. Et puis je trouve ça beau de prendre un objet qui soit un peu industriel et d’en faire une œuvre qui ait quelque chose d’autre à raconter. Dans mon travail, je ne me suis jamais dit qu’un projet allait être difficile à réaliser. Je ne suis pas vraiment du genre à me demander si ça va marcher. Pour moi, tout marche, tout a marché. J’ai un désir que quelque chose existe, alors je le fais. C’est tout ».

Commune : Molenbeek
À voir actuellement à Bruxelles : Une expo, Impudique, 26/6 > 30/8, Galerie Albert Baronian ; une affiche, Fourbythreespace, rue d’Alost, Bruxelles
Installations permanentes : A chaos, DCOTA, Fort Lauderdale (USA) ; Untitled, WGC, Gand ; Lucky colors, Louis Vuitton, Las Vegas (USA)
Galeries : Galerie Albert Baronian (Bruxelles), albertbaronian.com ; Galerie Perrotin (Paris, Hong Kong, New York), www.perrotin.com ; Bernier/Eliades Gallery (Athènes), bernier-eliades.gr
Info : albertbaronian.com

Photos © Saskia Vanderstichele

Fijn dat je wil reageren. Wie reageert, gaat akkoord met onze huisregels. Hoe reageren via Disqus? Een woordje uitleg.

Read more about: Expo

Iets gezien in de stad? Meld het aan onze redactie

Site by wieni