Dans l'antre d'artistes : Lucile Bertrand

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
09/06/2012
Les plumes sont réparties dans des boîtes en carton dont le contenu est indiqué par un post-it fluo : « moyennes – belles », « moyennes + belles », « petites + belles », « grandes –belles »… Après les critères de taille et de beauté, elles seront triées en fonction de leur sens : celles qui partent vers la gauche et celles qui partent vers la droite, selon une orientation presque imperceptible. Un vrai travail de bénédictin.
Les plumes qui auront passé avec succès cette rigoureuse sélection – les deux tiers des sacs en provenance du Périgord finiront dans des oreillers donnés aux amis - seront alors assemblées avec minutie dans des compositions aussi énigmatiques qu’aériennes, disposées par exemple en rangées régulières et munies d’étiquettes vierges ou numérotées, comme dans Mesures impossibles et Sur le fil, ou agglomérées en une sphère duveteuse, comme dans Monde flottant. Au même titre que les cheveux et les pétales, les plumes constituent un élément récurrent dans le travail de Lucile Bertrand, Française installée à Bruxelles depuis 2001, après un séjour de plusieurs années à New York. « Etrangement, les plumes donnent souvent lieu à des pièces abstraites », explique-t-elle. « J’aime cette tension entre une forme très stricte – le rond, le carré, le triangle – et le côté très organique de ces matériaux ».
Une pièce entière de sa maison d’Ixelles, où deux étages font office d’atelier, est réservée aux plumes. De l’autre côté du bureau-bibliothèque, un autre espace, ouvert sur le jardin, héberge une matrice où Lucile Bertrand peut tester en 3D les idées consignées dans les carnets qui l’accompagnent en permanence.
« En général, un projet commence par une esquisse, qui me permet de vérifier si une piste est à poursuivre ou pas. Parfois, ça en restera là, parfois ça deviendra une série de dessins, un livre ou un objet. Dans ce dernier cas, je fais des essais techniques. C’est comme s’il fallait que l’objet lui-même trouve sa propre matière. Caoutchouc, bois, plâtre, porcelaine... Il faut que la matière fasse autant de sens que la forme ». Qu’elle soit constituée de déchets ramassés, de plumes, de perles ou d’ailes moulées, l’œuvre sera souvent en suspension, maintenue par une kyrielle de fils presque invisibles, et éclairée par un jeu de lumières qui ne laisse rien au hasard. Car chez Lucile Bertrand, l’ombre, capable de démultiplier, de creuser, de donner un mouvement, l’illusion de la chute ou de l’envol, fait partie intégrante de l’œuvre. Partout, le blanc domine.
« J’utilise la couleur avec beaucoup de parcimonie. J’en glisse dans mon travail : des fils de couleurs, des petites touches qui viennent soutenir la forme, réveiller un pli, indiquer quelque chose… Mais ce n’est pas ce qui me préoccupe en premier. La couleur me fascine, mais quand ce n’est pas nécessaire, je ne vois pas de raison d’en mettre ». Et quand elle en use, la gamme va souvent du beige au rouge profond, une palette qui évoque la chair et le sang. Comme dans Beyrouth, une série de cubes de plâtre révélant les blessures d’une ville bombardée. Dans Débâcle, la plasticienne a traduit l’horreur du génocide rwandais en pieds boueux, sectionnés, de papier mâché. Elle évoque ailleurs Sarajevo, le Darfour… « Je réagis rarement à chaud. Je trouve que c’est à la fois le privilège et le devoir de l’artiste. Mon rapport à l’histoire est décalé. Même s’il y a de l’émotion dans mon travail, je ne veux pas que ce soit une réaction émotionnelle ». Chercheuse inlassable, Lucile Bertrand évolue sur un fil tendu entre légèreté et pesanteur, entre la poésie délicate d’un pétale de magnolia et la violence d’un coup de machette. « Un pied dans les nuages et un pied dans la guerre », comme elle le dit elle-même. Une jolie formule.

Commune : Ixelles
Expositions récentes : Duo d’artistes, un échange, Iselp (Bruxelles), Cumulus Momemtum #1, Appartement-atelier de Le Corbusier (Paris) et La Cité radieuse (Marseille), In Bloom, Islip Art Museum (New York), Close Encounter, Jeju Museum of Art (Jeju, Corée du Sud)
A voir actuellement et très prochainement à Bruxelles : >30/6, Lucile Bertrand – Sur le fil, Keitelman Gallery, www.keitelmangallery.com 21/6 > 9/9, Pop-up, Liens artistiques, Musée d’Ixelles, www.museedixelles.irisnet.be
Info : www.lucilebertrand.com

Photos © Heleen Rodiers

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