Dans l'antre d'artistes : My Atlegrim

Kurt Snoekx
© Agenda Magazine
19/06/2013

Bruxelles est extrêmement riche en jeunes illustrateurs passionnés. C’est récemment apparu de façon frappante avec le développement d’initiatives telles que Module Image, un collectif qui se consacre avec flamme et intégrité aux livres et au graphisme pour enfants, ou encore Cuistax, un fanzine charmant et prometteur également destiné aux jeunes têtes. La Suédoise My Atlegrim appartient au réseau et à la sphère d’influences de ces deux nouveaux venus un peu rebelles.

Arrivée en Belgique en 2005 pour perfectionner son français, elle déménage à Bruxelles pour étudier à Saint-Luc et à la Cambre après une année passée à Tubize. Elle n’a plus quitté notre ville. « Pourquoi ? Je me pose encore la question (rires). À un niveau personnel, c’est un besoin d’indépendance qui a joué. Et, lorsque tu étudies l’art, le fait d’habiter dans une ville, à proximité des musées et aux côtés de créateurs qui développent leur talent, t’apporte beaucoup. Mais j’aime aussi tout simplement énormément la Belgique et Bruxelles en particulier. Les gens y sont très agréables, très doux pour des habitants d’une grande ville. Bruxelles est une ville qui grouille de vie, mais d’une façon un peu cachée et sous-cutanée, sans ostentation et sans que cela ne saute aux yeux de tous. Et c’est précisément cela qui confère à la ville son charme très particulier. »

My Atlegrim a installé son atelier dans son appartement, près du foisonnement de verdure du parc Duden. Sur l’un des murs de la pièce est accrochée une jolie carte du Nord de la France et de la Belgique, qui, à y regarder de plus près, se révèle être une carte d’état-major datant de la Seconde Guerre mondiale. À côté de cela, un poster du dessinateur de B.D. allemand ATAK, une carte ludique de la Suède ainsi que des icônes viennent égayer cet intérieur d’une fantaisie exquise. Quelques vieilles pages de B.D. encadrées, un jeu d’apprentissage, un canard de Dick Bruna, des étagères de livres d’où se détachent, entre autres, une monographie de Matisse et les Building Stories de Chris Ware, et des casiers d’imprimeurs pleins de petits brols viennent compléter ce tableau d’un désordre charmant. S’en dégage un air de bric-à-brac stimulant, fait de passions et d’influences, qui correspond à merveille à la route que suit My Atlegrim, cultivant avec persévérance le beau sous toutes ses formes, au croisement de la nature et de l’urbain, de l’espace et de la cohue, des souvenirs d’une enfance heureuse et de ses intérêts contemporains.
La production artistique de My Atlegrim comprend des livres, des dessins et diverses créations manuelles sous une multitude fascinante de formes. Avec un pied dans le goût suédois pour la tradition et l’artisanat, un autre dans l’exploration curieuse de nouvelles possibilités. Cela n’en relève pas pour autant du grand écart. Le naturel avec lequel elle associe ludisme, sérieux et soin est à la fois significatif et admirable. C’est le résultat d’un parcours très organique qui l’a amenée à se poser les vraies questions. « J’ai toujours aimé être assise à mon bureau en train de bricoler et de dessiner. C’est à seize ans que j’ai décidé d’explorer cela plus en profondeur et d’aller suivre un véritable cursus d’apprentissage. Et c’est ici en Belgique que j’ai réalisé que je voulais en faire mon métier et vivre de mon art. Le processus a été lent et c’est précisément à cela que nous souhaitons remédier avec Module Image. Transmettre cette passion à des jeunes qui se sentent une affinité avec le dessin et le livre, mais qui ont aussi besoin de recevoir un petit coup de pouce. »
Le dessin et son travail avec le textile sont pour My Atlegrim des pratiques très sensibles qui constituent en même temps une manière de composer avec le monde. « Dessiner est très important pour moi. C’est une activité extrêmement intuitive, tu agis dans la rapidité, il y a beaucoup d’accidents qui peuvent se produire, des choses dont tu ne te peux pas te débarrasser par la suite. C’est ce qui est bien parce que ça te permet de découvrir et de comprendre des choses. La tapisserie et le tricot sont des activités beaucoup plus méditatives. Elles requièrent beaucoup de temps et t’obligent à rester assis et à prendre du temps pour cela. La lenteur t’amène vers un rythme qui te pousse à te confronter au travail d’une toute autre manière. Quand on range les fils, on range la tête. Et j’aime le matériau, le côté physique de la chose. À cet égard le dessin reste une activité plus “plate” même si tu peux aussi “bâtir” un dessin. Mais il n’y a pas l’une de ces deux dimensions de mon travail qui prédomine. J’essaie de les mener de front et de les faire coexister. Même si, à ce stade, j’en reste à des essais, car je trouve que je n’ai pas encore complètement réussi à les faire se fondre l’une dans l’autre. »
Il n’en reste pas moins que ses projets récents ont eu un impact très fort sur ses lecteurs. Quatre saisons en douze mois est un ouvrage stupéfiant et inspiré auquel My Atlegrim a travaillé pendant près d’un an avec son ami, graphiste et relieur de son état. La précieuse reliure copte reprend des dossiers qui couvrent une année, divisée en quatre parties – correspondant aux quatre saisons – elles-mêmes s’articulant chacune en trois mois. À plus d’une reprise, l’influence de la nature transparaît aussi dans ce travail intime. « Mes deux parents sont des biologistes. Ma mère est devenue chimiste, mais mon père est toujours resté dans les bois. Comme nous tous, depuis notre tendre enfance. Nous connaissions tous les noms des plantes et des oiseaux. Je sais que cela fait partie de moi et je l’assume. J’ai eu une enfance très heureuse, dont je garde de très beaux souvenirs et de belles expériences, enrichissantes. Pourquoi dès lors ne pas les partager? »
Ce projet a débouché sur un exemplaire unique et sur des envies de passer de cette dimension intime à une échelle plus grande. Les feuillets de quelques exemplaires non encore reliés de son impressionnant Livre des fleurs sont épars sur la table. L’amour du côté vintage, d’une pratique et d’un look artisanaux vont ici de pair avec une technique d’impression contemporaine. « On a tellement progressé en matière d’impression que tout devient très lisse et que le côté plus sensible qui appartient au travail artisanal se perd un peu. En combinant ici deux techniques d’impressions – le bleu, le noir et le jaune sont imprimés digitalement, tandis que le rouge et le vert sont en impression riso – on obtient une texture et un rendu très vivants. Les dessins eux-mêmes sont composés par six ou sept formes, qui reviennent à chaque fois dans de nouvelles compositions et dans des couleurs différentes, en se superposant les unes aux autres. Nous avions tous deux envie de réaliser un livre de A à Z : l’impression, les textes, les images, la mise en page, la reliure, la distribution… Juste pour voir si c’était possible. Et il semble bien que oui ! »
Et c’est réussi ! On a envie d’accueillir et de traiter cet ouvrage avec autant d’attention et de respect qu’il a requis de temps, d’inspiration, de passion pour les couleurs et le langage des formes. « J’avais déjà réalisé des livres auparavant, mais il s’agissait davantage de livres d’illustrations, même si cela véhicule aussi quelque chose. Ici, j’ai pour la première fois l’impression que même le texte comporte une réflexion soutenue qui peut éventuellement aider aux gens. Et, pour moi, c’est là que réside la vraie définition d’un livre : un véhicule d’informations qui valent la peine d’être lues. Et d’être partagées. »
COMMUNE: Forest
EXPO: Livres suédois et vietnamiens des années 50 à 80, 12/6 > 3/7, wo/me/We & za/sa/Sa 14 > 18.00 (finissage & rencontre : 3/7), Module Image/Espace Into Image, avenue de l’Hippodrome 67, Ixelles, moduleimage.tumblr.com
CUISTAX: cuistax-cuistax.blogspot.be
INFO: www.myatlegrim.com

Photos © Heleen Rodiers

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