Dans l'antre d'artistes : Stephane De Groef

Kurt Snoekx
© Agenda Magazine
15/07/2014


Le Creationism Temple, l’Extramarital Dating House, l’Anorexic Center ou la Fatface Sitting Residence... Cet été aussi, nous vous aidons volontiers à trouver votre chemin dans le paysage culturel particulièrement large d’esprit de Bruxelles. Avec comme guide pirate de la route Stephane De Groef, le pilier graphique de Frémok, qui signe pendant deux mois nos couvertures.

Non, ce n’est ni dans un restaurant avec buffet à volonté ni dans un exotic porn cottage ou un motel douteux le long de l’une ou l’autre highway américaine que Stephane De Groef vit et travaille mais - très prosaïquement - dans un appartement de la chaussée d’Ixelles. Mais on peut vite faire l’erreur quand on a eu sous les yeux You Don’t Own the Road, le petit mais ô combien admirable premier ouvrage bédéesque du graphiste de notre cher Frémok. Chez Stephane De Groef, les nombreuses années d’exposition aux sombres expérimentations dans le laboratoire de cet éditeur bruxellois qui élargit les frontières de la BD ont formé un regard large qui nie froidement les présupposés et croit dur comme fer dans la force narrative de la bande dessinée.
Dans You Don’t Own the Road, il ne dirige donc pas sa caméra intégrée sur la route longue et venteuse dans l’espoir d’immortaliser un terroriste de la route zigzaguant, mais sur les panneaux multiformes, indications de motels et autre terreur visuelle qui sont monnaie courante le long des autoroutes à l’ancienne de ce monde. Avec pour résultat un road trip étonnant où, dans des traits gras et naïfs de crayons de couleur, à travers quelques dizaines de minuscules pages de 10 centimètres sur 13, il prend la mesure de l’homme et du monde. « Ce ne sont pas uniquement les signes qui me fascinent, c’est tout le contexte, tout le décor que j’aime. Un motel isolé, ou un endroit qui semble inhabité mais où en même temps il y a une présence. Ces lieux où tout peut se passer, le pire comme le meilleur. Comme dans les films de David Lynch, tout cet univers un peu glauque, un peu malsain ».
Un univers sombre qui fouille les antres psychologiques de l’homme empêtré dans un excès de « progrès » et de léthargie et que le monde que nous connaissons contrecarre gentiment. « Il y a quand même des trucs qui sont un peu plus éloignés de la réalité, comme les cannibales. (Rires) Mais c’est vrai que la distance est parfois très discrète. C’est mieux, je trouve, qu’on ne sache pas si c’est vrai ou pas. Toutes les problématiques que j’aborde sont de vraies problématiques liées au mal-être américain, c’est clair : la nourriture, le racisme, la religion... Mais je n’ai jamais été très politisé. Je rebondis juste sur ce qui me plaît. C’est le plaisir de dessiner ce genre d’images, d’enseignes qui se trouve à la base du livre. Et l’idée d’utiliser ces signes comme manière de communiquer, de faire passer des messages et de jouer sur la fausse réalité par le dessin. C’était une possibilité de ramener tout le travail que je fais en tant que graphiste et typographe à la narration en BD. J’ai cherché ça longtemps, cette manière d’allier ces deux aspects. Finalement ça a pris sens dans cette forme-là ».
Avec comme référence première Twentysix Gasoline Stations d’Ed Ruscha. « En prenant ce livre comme exemple, j’ai d’abord réalisé 26 dessins d’hôtels américains, et puis 26 autres qui étaient plus axés sur des bowlings. Et puis il y a eu une série sur le sexe, et ainsi de suite... On a vite oublié la référence et continué le jeu. En fait, ce système peut se décliner à l’infini ». Mais ce n’est pas un système ou un modèle que Stephane De Groef cherche. Si toutes ces années sur les barricades de la révolution bédéesque frémokienne l’ont convaincu d’une chose, c’est bien du fait que chaque livre est unique. « C’est vraiment l’idée, oui. On ne rentre pas dans des systèmes de mise en pages, dans des maquettes préexistantes ou des procédés à répétition comme les agences de graphisme. Du coup, il y a chaque fois un enjeu, aussi graphique, du travail à repenser. Être dans un dialogue constant avec l’auteur et essayer vraiment de proposer un projet total qui lie avec sens la forme et le contenu, c’est l’essentiel. Et c’est justement ce qu’on apprend à ne pas faire à l’école. Là, on apprend à créer des chartes graphiques et puis à s’y tenir. Chez Frémok, on ne fait pas ça ». (Rires)
Précisément : pas de prévisibilité ou de pensée formatée, mais des projets qui repoussent les limites. Comme le premier boulot de Stephane De Groef chez Frémok : la mise en page de Lettres au pair de F., l’entretien d’Alex Barbier, le pape de Frémok, avec Vincent Bernière. « Très compliqué, très laborieux, sur un vieil ordi, avec un programme de mise en pages que je ne connaissais pas très bien », ainsi décrit-il la tâche. Mais aussi une bonne école, comme ces neuf années de BD en cours du soir avec Thierry Van Hasselt, auteur et membre fondateur de Frémok, qu’il a suivi en parallèle avec ses études de graphisme à Saint-Luc et un master en typographie à La Cambre. Aujourd’hui, il donne lui-même cours à Saint-Luc depuis trois ans et a piloté l’an dernier deux grands projets : L’horloger du rêve, panorama de l’œuvre du grand maître bruxellois François Schuiten, et Dubuffet Typographe, qu’il a mis en page avec Pierre Leguillon et dont une feuille d’impression non découpée est suspendue au-dessus de sa table à dessin. S’il n’y travaille pas debout, il est assis derrière son PC sur le petit bureau d’écolier que son grand-père a remis à neuf pour lui. Dans la bibliothèque se trouve la collection haute en couleur de Frémok, un Bessy en néerlandais, l’incontournable Black Hole de Charles Burns, Building Stories du pionnier Chris Ware – « mon auteur BD fétiche » –, mais aussi Vixen de Russ Meyer, une carte de la Suisse, le pays natal de sa compagne, l’illustratrice Fanny Dreyer, et quelques photos en noir et blanc d’Anderlecht en action.
Avec la Coupe du Monde comme décor fertile, Stephane De Groef donnera un successeur à You Don’t Own the Road avec une série de petits dessins sur le foot. « C’est pour septembre, pour un projet autour de séries de Loïc Gaume, pour Cultures Maison. Pourquoi si petit ? C’est moins de travail ! (Rires) Non, j’ai déjà remarqué que dans un grand format, je me perds complètement, j’ai plus tendance à remplir. Sur un petit format, je m’attache davantage aux détails ». Et ce sont ces détails - petits mais ô combien raffinés - qui nous ont séduits. Vive les Bruksellive girls !

Photos © Heleen Rodiers

INFO: stephanedegroef.tumblr.com

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