The Game : Alessandro Baricco s’éprend de la révolution numérique

Michaël Bellon
© BRUZZ
04/03/2020

Alessandro Baricco

Un conseil pour les enfants du numérique qui trouvent que leurs parents se plaignent trop de leur utilisation des écrans : achetez à vos vieux le livre The Game d'Alessandro Baricco. Une fois qu'ils l'auront lu, ils verront enfin leurs enfants fusionnés aux écrans tactiles comme les hérauts de la nouvelle humanité qu'ils représentent.

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Depuis la mort d'Umberto Eco, Alessandro Baricco est sans doute l'écrivain le plus intelligent d'Italie. Il est en tout cas populaire et polyvalent. Tout a commencé au milieu des années nonante lorsque le philosophe diplômé s'est mis à enchaîner les romans primés, y compris le best-seller international Soie. Depuis lors, Baricco a continué à écrire régulièrement des nouvelles et des romans stylisés et condensés (Novecento, Mr Gwyn, La jeune épouse, ...) et les amoureux de la littérature ne s'y trompent pas. En outre, il a été présentateur à la télévision, il a écrit pour le théâtre et le cinéma, et a même fait littéralement école avec la Scuola Holden dans sa ville natale de Turin. Cette école porte le nom du personnage principal anticonformiste Holden Caulfield du roman culte de J.D. Salinger L'Attrape-cœurs, et produit de jeunes conteurs talentueux dans diverses disciplines.

En 2006, Baricco passe au niveau supérieur avec son essai Les Barbares. Un livre qui s'adresse aux pessimistes culturels qui ont vu dans la révolution numérique la dégénérescence d'une génération ; des illettrés surfant sur Internet sans but et sans profondeur ; des barbares qui ont désappris à lire, étudier, manger, boire du vin, voyager ou faire l'amour, emportés par la rapidité, la fugacité, la superficialité, l'inculture, dans une quête avide de stimulants, avec un but purement commercial, et accablés par des problèmes de concentration et un analphabétisme croissant. Baricco n'a pas suivi cette analyse de l'élite bien-pensante: "Mais, en cachant le sens, nous avions créé la profondeur, qui en réalité semble ne jamais avoir existé et dont on finira par se souvenir comme de l'un de ces mensonges utiles que les humains se sont racontés… Nous avions commencé à poursuivre le sens noble des choses en nous déplaçant à la surface du monde à une vitesse et avec un talent que les humains n'avaient jamais connus."

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Alessandro Baricco: The Game

Dans le sillage des Barbares - écrit alors que le smartphone n'existait pas encore - ont suivi Trump, le Brexit, Cambridge Analytica, les fake news, le gigantisme incontrôlé des GAFA, et des études encore plus inquiétantes sur l'utilisation des écrans et les capacités de lecture de nos jeunes. Cependant, cela n'a nullement incité Baricco à révoquer ses analyses des Barbares. Dans son successeur The Game, il propose un aperçu assez structuré et détaillé de la révolution numérique de 1981 à nos jours. Du Commodore 64 et de l'Internet, en passant par Napster et Google, jusqu'à Youporn et l'Appstore. Il explique la puissance d'innovation de chacune de ces évolutions de la technologie numérique et tente de découvrir quels sont les désirs, les aspirations ou les agréments humains essentiels qui sous-tendent son succès. Sa thèse centrale est que la technologie n'a pas changé l'homme, mais que ce serait plutôt l'inverse. "Nous pensons que le monde numérique est la cause de la révolution mentale, alors qu'il en est la conséquence."

LES VISIONNAIRES
Baricco s'abstient toujours de prononcer des jugements de valeur, mais son absence de négativisme vous fait voir les choses différemment. Selon lui, ce qui a fait de la Silicon Valley le berceau de notre merveilleux nouveau monde est la liberté de pensée de la contre-culture californienne. Des ingénieurs visionnaires comme Steve Jobs en ont été les parents. Les milliardaires high-tech d'aujourd'hui ont simplement fabriqué des choses cool dans leur garage sans projet idéologique, et ce faisant, ils ont repoussé presque toutes les limites. Que ce soit Wikipédia, Airbnb ou Tinder, le monde entier est à notre portée instantanément et presque gratuitement. Et depuis l'antique jeu pour console Space Invaders, dont Baricco se souvient avec nostalgie dans The Game, l'élément jeu est devenu un principe directeur dans toutes les innovations numériques. D'un simple glissement, on passe directement d'un utilisateur à l'autre et les "experts" élitistes du XXe siècle qui, dans leur lutte contre les Barbares, ne cessent de radoter à propos de la "profondeur", se voient éliminés en tant que gardes-frontières et intermédiaires.

Qu'en est-il de la post-vérité et du populisme politique ? Baricco : "La post-vérité est le nom que nous, les élites, donnons aux mensonges lorsqu'ils ne sont pas dits par nous-mêmes, mais par les autres." Et encore : "Le jeu a adapté le modèle, le schéma de la vérité." Les politiciens doivent apprendre à faire avec ce nouveau schéma, d'après Baricco, et c'est la gauche qui a le plus de mal à le faire. Comment de nouvelles formes de narration, d'art et d'humanisme peuvent encore prospérer dans le jeu, Baricco l'expliquera lui-même lors de sa lecture théâtrale à Bozar.

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