Jacqueline Mesmaeker inaugure la réouverture de Bozar

Michel Verlinden
© BRUZZ
28/05/2020

A 92 ans, Jacqueline Mesmaeker a pour la première fois les honneurs d'une rétrospective à la hauteur de son œuvre qui unit rigueur conceptuelle et intimité domestique. Arrivée tard sur la scène des arts plastiques, cette artiste visuelle bruxelloise a longtemps travaillé dans l'ombre. Son talent éclate au grand jour en même temps que Bozar se déconfine.

L'itinéraire de Jacqueline Mesmaeker

• Jacqueline Mesmaeker est née à Uccle en 1929.

• Styliste de 1962 à 1972.

• Diplômée en 1967 de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, où elle fréquente l’atelier de Georges De Vlaminck, et de l’École Nationale Supérieure des Arts Visuels de la Cambre (maîtrise en 1981).

• Professeure à La Cambre entre 1979 et 1984 et à l’ISLAP-ERG (École de recherche graphique) à Bruxelles (1982-1994).

• Au milieu des années septante, elle s’engage dans la voie d’une pratique visuelle conceptuelle sous l’influence de la littérature, notamment Stéphane Mallarmé, Valéry Larbaud et Lewis Carroll.

• Conférencière à l’Académie des Beaux-Arts de Mons (1981-1986).

• Fait l’objet en 2020 d’une rétrospective à Bozar: 'Ah, quelle aventure' !

Que Ah, quelle aventure !, la grande exposition consacrée par Bozar à l’artiste visuelle Jacqueline Mesmaeker (1929, Bruxelles), s’offre au public en cette étrange période de déconfinement n’est finalement pas si malvenu. Il est même possible d’y voir un signe de la providence pour cette plasticienne qui n’a eu de cesse d’agencer microcosme et macrocosme, intériorité et extériorité. Le tout avec une grande rigueur qui n’est pas sans rappeler les coupes à la serpe opérées par l’art américain au début des années soixante, en particulier celles d’un Barnett Newman.

« Je suis minimaliste de cœur et de religion », confesse-t-elle d’emblée quand on la questionne sur le sujet. Il reste que la rétrospective présentée au Palais des Beaux-Arts a pour le moins été chahutée, entre plusieurs séjours à l’hôpital et la période du confinement endurée en clinique « en se posant mille questions ».

« Même si le parcours et les œuvres ont été décidés avant la pandémie, on a pu continuer après ma sortie de l’hôpital grâce à des échanges par mails mais aussi par visioconférence. Le montage s’est surtout accompli par échange d’images. Heureusement, la veille de l’ouverture, j’ai pu venir sur place, en prenant toutes les précautions possibles, bien sûr. Ça m’a permis de régler les derniers détails et de faire quelques modifications », explique l’intéressée. En résulte une scénographie très épurée épousant le credo minimaliste de l’artiste. Soit un savant équilibre des différents médiums chers à la plasticienne, entre livres, interventions sur les murs, dispositifs, installations et vidéos.

Jacqueline Mesmaeker

Il faut bien vivre

L’épisode du montage un rien rocambolesque est à l’image d’un parcours tarabiscoté de 50 ans (Jacqueline Mesmaeker a repris des études à La Cambre à l’âge de 45 ans après avoir évolué dans l’architecture, le design et le stylisme) qui est celui d’une femme qui, époque oblige, fut avant tout circonscrite dans les sphères de la domesticité « il fallait que je m’occupe des enfants » et de l’enseignement car « il faut bien vivre ».

Il est à noter qu’aussi prégnantes qu’elles furent, ces obligations n’ont pas réussi à la faire dévier d’un pouce d’une production artistique vécue comme nécessaire. Il existe chez elle une certaine clandestinité de sa pratique, raison pour laquelle elle s’est longtemps refusée à exposer en galerie préférant limiter ses interventions à l’espace d’ouvrages littéraires déjà publiés. L’exposition à Bozar porte trace de cette pratique bibliophilique. Ainsi de A Childhood, une œuvre donnant à voir les pages dessinées au crayon par l’intéressée à la faveur d’une intervention dans le livre éponyme de Francesca Allinson ou encore Lire et Écrire composé de deux pages effacées extraites de La Cathédrale de brume de l’écrivain anversois Paul Willems.

Je suis minimaliste de cœur et de religion

Jacqueline Mesmaeker

La meilleure preuve du caractère profond et vécu de son œuvre, c’est son appartement d’Ixelles qui le donne. Depuis la moitié des années septante, c’est au sixième étage d’un immeuble s’élevant sur huit niveaux que la Bruxelloise déploie le territoire qui est le sien. La majesté du bâtiment donne le vertige. Les abords impressionnent, notamment l’entrée qui découvre d’imposants pilastres rangés sous une corniche finement cintrée. La réalisation est un fleuron d’inspiration Art Déco dessiné en 1929 par l’architecte Henri Jacobs. Paradoxalement, à aucun moment celui-ci ne laisse présumer sa fonction : il s’agit en réalité d’un logement à vocation sociale.

Un espace à soi

Dans le cas de la plasticienne, la béquille immobilière va au-delà de la question économique. C’est à partir du moment où elle peut s’établir dans un logement à elle que Jacqueline Mesmaeker se met à imaginer des œuvres conceptuelles et inspirées par la littérature, notamment Stéphane Mallarmé et Lewis Carroll. Mallarmé est celui qui lui révèle l’importance du langage et sa démiurgie. Ainsi quand en 1981, elle expose une œuvre intitulée Versailles avant sa construction, consistant en une photographie noir et blanc d’une plaine sans relief particulier, elle invite le lecteur à exhumer par l’imagination des symétries et des axes glorieux d’un paysage somme toute assez morne qui se présente à lui.

« En emménageant ici, une nouvelle disponibilité s’est offerte… sans compter que le rapport à l’architecture, qui est très important pour moi, s’est intensifié », résume celle qui reconnaît « la résolution des problèmes visuels » pour vocation. On rappellera ici, de manière adéquate, A Room of One’s Own, la célèbre nouvelle de Virginia Wolf, pour faire comprendre la nécessité émancipatrice d’un « espace à soi » qui a permis à la plasticienne de « déclencher son œuvre ».

Au cœur de sa pratique, il faut également pointer l’humour. Quand on le lui rappelle, l’artiste convoque ses jouissives Cascades, des sortes de poèmes verticaux composés de vocables apposés au mur sous forme de colonnes lexicales. « Je les ponctue de mots que j’ai plaisir à dire, des termes que je peux savourer en bouche. Je pense à ‘bigoudis’ et puis ‘ronfler’, ‘patatras’ aussi… », lance-t-elle avec l’œil malicieux d’une adolescente.

Portrait vivant

Tout aussi facétieux, on pense à La Chasse au Snark de Carroll, est sa propension à signer des pièces minuscules, à la discrétion totale. Ainsi des Introductions Roses, de fins morceaux de tissu rose qu’elle utilise pour combler les plus petits interstices, une plinthe ou l’encadrement d’une porte de son logement. Transposés à Bozar, ceux-ci nécessitent la pleine attention du spectateur qui aura vite fait de passer à côté des neuf salles qui accueillent l’événement.

Si, comme le pense William Kentridge, l’atelier est le portrait vivant de l’artiste, une sorte de « cerveau en plus grand », celui de la nonagénaire s’apparente à un sas de décompression au cœur duquel la vie dépose ses armes aux pieds de l’art. La pièce qu’elle utilise pour travailler affiche des contours familiers subtilement détournés.

Ainsi de cette entaille faite dans le papier peint qui se profile derrière la chevelure blanche de celle qui fut diplômée en 1967 de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (où elle fréquenta l’atelier de Georges De Vlaminck) avant de devenir professeure à La Cambre. « Cette découpe a été pratiquée par les propriétaires qui voulaient voir s’il y avait de l’humidité. » Laissée telle quelle et reproduite à la faveur d’un tirage, visible à Bozar, l’étrange faille est désormais une pièce à part entière métaphoriquement chargée. On peut y lire l’introspection, le temps qui passe ou pourquoi pas la sexualité.

Il en va de même du papier peint d’une petite chambre d’enfant annexe. Mis à jour et conservé par fragments, il dit la fragilité des destins individuels ainsi que la dimension psychologique cruciale de l’espace. Sans oublier tous ces objets, chinés ou hérités de l’histoire familiale – tableau hollandais, buste tourné vers la cheminée, fauteuil en forme de conque – qui sont une épiphanie artistique. Celle-ci révèle une double évidence, celle d’un appartement comme une œuvre d’art et d’un don… qui veut que tout ce que Jacqueline Mesmaeker touche, elle le consacre. à l’exception notable de la récente quarantaine qui n’a pas inspiré de pistes mais bien « des inquiétudes ».

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