Jane Evelyn Atwood : obsédée par son sujet

Tom Peeters
© Agenda Magazine
20/11/2013
(Les Gonaïves, Haïti, 2005 © Jane Evelyn Atwood)

De ses premiers reportages sur les prostituées de la rue des Lombards à Paris et sur les aveugles aux images de victimes de mines antipersonnel et de femmes incarcérées : la photographe Jane Evelyn Atwood se dédie toujours de manière presque obsessionnelle à son sujet. «La photographie n’était qu’un prétexte pour apprendre à connaître ces personnes ».

Ce sont en effet les gens qui sont la raison pour laquelle je fais des photos », insiste la photographe américaine lorsque nous lui rendons visite à Paris, où elle habite depuis le début des années 70. « Je voulais savoir ce qui les faisait avancer. Mais en même temps, à chaque nouveau projet, il devient vite évident que les photos suffisent pour continuer ».
(Blondine devant la porte, rue des Lombards, Paris, 1976-1977 © Jane Evelyn Atwood)

C’est cette passion à la fois personnelle et professionnelle qui fait que l’œuvre de Jane Evelyn Atwood (née en 1947) est bien au-dessus de la moyenne. Elle n’a jamais choisi le cliché pris en vitesse, et encore moins le succès facile. Ses reportages - elle-même préfère parler de « projets » - durent au minimum plusieurs mois, parfois même plusieurs années. La photographe confronte le monde aux conséquences du sida, à la problématique des réfugiés et au danger des mines antipersonnel. Mais qu’elle travaille au Darfour ou en Afghanistan, qu’elle parle avec des détenues dans une prison en Russie ou aux États-Unis, on remarque chaque fois qu’elle se dévoue presque totalement à son sujet. « Sur ce point, je suis assez carrée », reconnaît-elle franchement. « Mon métier m’occupe de façon obsessionnelle. Quand je choisis un projet, j’organise ma vie de manière à ce que tout s’organise autour. Je ne peux pas aborder plus d’une histoire personnelle à la fois. Ce serait trop lourd ».

Une seule expo : Diane Arbus
Et pourtant, dans sa famille, on traitait la photographie comme une plaisanterie. « Mon père était scientifique et considérait que les gens qui regardaient des photos étaient stupides. Les gens intelligents lisaient des livres. J’avais seulement un petit appareil Instamatic avec lequel j’embêtais tout le monde. Mais il a fini par se casser et le vendeur de la Fnac m’a dit que ce n’était pas la peine de le faire réparer, que je ferais mieux d’acheter un appareil digne de ce nom ». Aussitôt dit, aussitôt fait. Tout de suite après, Atwood a commencé à photographier les prostituées de la rue des Lombards, sans avoir suivi la moindre formation. « J’aime bien les défis et j’étais surtout très curieuse (rires). J’avais vu en tout et pour tout une seule exposition, celle de Diane Arbus. Mais ses photos me hantaient ».

(Rosita Domingas, Angola, 2002 © Jane Evelyn Atwood)

La vie malgré tout
Atwood a eu la chance de gagner la confiance de l’une des prostituées, Blondine. « Peut-être que mon terrible accent américain et mon français abominable de l’époque ont aidé. En tout cas, je n’avais pas l’air d’être une menace. Blondine était aussi la seule prostituée à travailler sans maquereau, ce qui lui laissait un peu plus de marge de manœuvre. J’étais aux anges quand elle m’a demandé de lui tenir compagnie pendant qu’elle attendait ses clients ». Leur affinité a formé l’amorce de ce qui allait devenir le premier livre d’Atwood. Lorsque, notamment sur base de ce livre, elle a remporté le fameux prix W. Eugene Smith et qu’elle a pu commencer son projet suivant - consacré aux aveugles - elle n’y croyait pas. « Je pensais qu’ils s’étaient trompés et j’avais peur d’abandonner mon boulot fixe à La Poste pour une existence incertaine en tant que photographe. Finalement, je l’ai quand même fait et voilà, aujourd’hui encore, je photographie des aveugles. C’est le seul projet que je n’ai jamais arrêté, probablement parce que comme photographe, je ne peux pas me représenter ce que c’est de ne rien voir et pour cela, ça continue à m’intriguer ».

(Jean-Louis, malade de SIDA, chez lui, 1987 © Jane Evelyn Atwood)

Plus tard sont arrivés des projets à vocation plus sociétale, comme les conséquences tragiques des guerres utilisant des mines antipersonnel. Il y a pourtant cette photo qui nous a marqué, représentant deux footballeurs en train de sautiller sur une seule jambe derrière la balle. Malgré les conditions particulièrement difficiles dans lesquelles se trouvent les personnes dont Atwood tire le portrait, on voit surtout ici une mise en avant de la vie. « Je suis contente que vous disiez ça car n’est-ce pas une formidable leçon ? Je déteste faire ‘celle qui veut passer des messages‘, mais quand on voit une photo comme ça, il est obscène de se plaindre de quoi que ce soit. La photo montre l’énorme flexibilité dont les gens peuvent faire preuve. J’ai aussi constaté dans ma série sur les femmes en prison comment les gens sont capables de s’adapter continuellement à une nouvelle situation ».

Le devoir de montrer
Le contraste avec une photo présentant une fosse vide avec à côté un corps emballé dans une couverture, prise dans un camp de réfugiés près du Darfour, ne peut être plus grand. « Mais c’était la réalité de ce camp. Il y avait là des gens qui mourraient tous les jours. Il ne faut pas être trop sentimental quand on veut montrer la réalité telle qu’elle est. Le sida ou un camp de réfugiés, ça n’a rien de beau. Et c’est cela qu’on peut montrer au monde. Ou plutôt, qu’on doit montrer au monde. Lorsque j’ai commencé mon reportage sur le sida avec Jean-Louis, il n’y avait que quelques images de malades, prises par Alon Reininger, qui circulaient aux États-Unis. Mais en Europe, personne n’avait vu ça, certainement pas Monsieur Tout-le-Monde. C’est seulement quand les images de Jean-Louis sont sorties dans Paris Match que les gens ont pu voir ce que cette maladie provoquait réellement et se rendre compte que ça pouvait leur arriver à eux aussi ».
(L'Institut Départemental des Aveugles, Saint-Mande, France, 1980 © Jane Evelyn Atwood / Cape Cod, Massachussetts, USA, 1983 © Jane Evelyn Atwood)

Atwood a suivi Jean-Louis les quatre derniers mois de sa vie et a eu juste le temps de lui montrer la première publication. « J’aime penser que cela l’a maintenu en vie encore quelques jours ». La photographe est fermement convaincue que si l’on veut rendre justice à un projet, il faut lui accorder le temps qu’il mérite. Lors de son projet sur les femmes incarcérées, qui a pris plus de dix ans, il s’est passé quelque chose de particulier dans presque chaque prison. « Aujourd’hui, je vois trop de photographes se contenter d’un angle d’approche anecdotique. Chez moi, il ne peut s’agir d’une femme qui meurt d’une crise d’asthme parce qu’on lui a confisqué ses médicaments, ou d’une femme qui accouche avec les menottes aux poignets, ou d’une femme qui est nue parce qu’on a peur qu’elle avale ses vêtements. Non, il s’agit de toutes ces choses ensemble et de bien plus encore. Si on ne tient pas jusqu’au bout, on ne fait pas les photos que l’on veut faire ».

JANE EVELYN ATWOOD: PHOTOGRAPHS 1976-2010 • 22/11 > 12/1, wo/me/We > zo/di/Su 12 > 20.00, €3,50/4,50/5,50, Botanique, Koningsstraat 236 rue Royale, Sint-Joost-ten-Node/Saint-Josse-ten-Noode, 02-218.37.32, www.botanique.be

Fijn dat je wil reageren. Wie reageert, gaat akkoord met onze huisregels. Hoe reageren via Disqus? Een woordje uitleg.

Read more about: Expo

Iets gezien in de stad? Meld het aan onze redactie

Site by wieni